https://drive.google.com/file/d/0B4OSt_hVPMKcR1JvWGxLbUY5cjA/view?usp=sharing
jeudi 29 juin 2017
mercredi 28 juin 2017
Au Cabaret vert
https://drive.g
oogle.com/file/d/0B4OSt_hVPMKcNkVFQWlwN2FyMUE/view?usp=sharing
Séquence N°1, Texte N°4
Au Cabaret-vert
cinq
heures du soir
1
Depuis
huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.
5 Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
9 - Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! -
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,
Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse
13 D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.
5 Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
9 - Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! -
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,
Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse
13 D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
Octobre
[18]70
Arthur
Rimbaud, Les Cahiers de Douai
Elle était déchaussée : grille d'analyse
https://drive.google.com/file/d/0B4OSt_hVPMKcLWp2c25xWFV3eFk/view?usp=sharing
Citations
|
procédés
|
analyses
|
« déchaussée »
« décoiffée » (V1) |
paronomase |
Fait
penser à une comptine |
« Elle »
x 2 (v1), (V5), (v9), (v10) |
Pronom
personnel 3e pers.anaphore |
Pas
de référent précis : anonymat Portrait d'une
inconnue et qui ne donnera jamais son nom |
« Elle
était déchaussée, // elle était décoiffée, » V1 « Ses cheveux dans ses yeux, // et riant au travers. » V16 |
Césure :
sépare l'alexandrin en 2 hémistiches de 6 syllabes
Même remarque |
Le
premier vers et le dernier vers montrent le calme et la
détermination du poète. |
Elle
était déchaussée, // elle était décoiffée,
Assise,/ les pieds nus,// parmi les joncs penchants ; Moi qui passais par là, //je crus voir une fée, Et je lui dis:/ Veux-tu// t'en venir dans les champs ? 5 Elle me regarda //de ce regard suprême Qui reste à la beauté //quand nous en triomphons, Et je lui dis : / Veux-tu, // c'est le mois où l'on aime, Veux-tu nous en aller// sous les arbres profonds ? Elle essuya ses pieds //à l'herbe de la rive ; 10 Elle me regarda //pour la seconde fois, Et la belle folâtre// alors devint pensive. Oh ! /comme les oiseaux //chantaient au fond des bois ! Comme l'eau caressait //doucement le rivage ! Je vis venir à moi, //dans les grands roseaux verts, 15 La belle fille heureuse, //effarée et sauvage, Ses cheveux dans ses yeux, // et riant au travers. |
6
+ 6 3+3+6 6+6 4+2+6 6+6 6+6 4+2+6 6+6 6+6 6+6 6+6 6+6 6+6 6+6 6+6 6+6 |
Très
forte perturbation dans le premier quatrain et au vers n°7 ensuite la tension baisse pour atteindre l’harmonie, l’apaisement. Rimes alternées alexandrin : poème isométrique |
était
déchaussée était décoiffée passais caressait
|
Verbes
à l’imparfait |
l’imparfait
crée une certaine nostalgie d’un temps révolu |
« Déchaussée,
décoiffées » (V1), pieds nus » (V2) |
3
adjectifs |
Donnent
un caractère sensuel à la scène. Peu de description de la jeune
fille. Ce qui permet au lecteur de lui donner le visage qu'il
souhaite |
« assise »
« parmi les joncs penchant » |
Notations
spatiales |
Tout
porte à croire qu’ »elle » tourne le dos au poète,
assise sur le bord de la rive, les pieds dans l’eau. Elle tourne
la tête lors du 1er appel du poète, se lève au
second et se dirige vers le poète. |
« penchant » |
Participe
présent : ce n’est pas un adjectif verbal : les joncs
agissent |
Les
joncs sont personnifiés : ils s'inclinent devant la « belle
fille ». |
« les
joncs »(V2), « roseaux verts » (V14) |
Nom
commun , sujet de penchant |
Nom
donné à des plantes à tige droite et flexible,
qui croissent ordinairement le long des eaux,
ou même dans
l’eau,
|
« Moi »,
« je » x 4
|
Pronom
personnel 1re pers. |
Désignent
le poète. C'est un narrateur-personnage (le poète). Le point de
vue est donc interne. |
«
passais » (V3) |
imparfait |
Le
poète est présenté comme un promeneur |
Pieds
Parmi Penchant Passais Par |
Allitération en P |
Est-ce
la forme des joncs ou le bruit des pas ? Allitération visuelle ou sonore ? |
« Et
je lui dis : veux-tu » (V7) |
Anaphore
(répétition d'un ou d'un groupe de mots en début de vers) |
Insistance
du poète |
TU
- T' |
Tutoiement
amoureux |
Pas
de voussoiement, le poète est tout de suite sur le même plan. |
« regarda
de ce regard » (v5) |
Un
polyptote (emploi de plusieurs formes grammaticales d'un même
mot) |
Jeu
de regard : la séduction passe par le regard. |
Une
fée (v3) |
Nom
féminin.
|
Personnage
féminin imaginaire dotée de pouvoirs magiques et censée influer
sur le monde des vivants.
|
« Je
crus voir une fée », « elle me regarda »
X2 , « je vis venir » |
regard |
Insistance
sur le regard comme vecteur de la rencontre amoureuse. Le champ
lexical du regard contribue à mettre en valeur la fascination
réciproque des deux personnages |
« Joncs,
champs, arbres, l'herbe de la rive, oiseaux, bois, l'eau, roseaux
verts » |
Champ
lexical de la nature |
Il
s'agit d'une scène printanière : toute trace de
civilisation a disparu |
triomphons |
Vocabulaire
militaire |
Victoire
amoureuse annoncée |
« le
mois où l'on s'aime » (v7) |
périphrase |
Peut-être
le mois de mai. C'est une justification donnée à l'amour |
« veux-tu
nous en aller » |
Pronom
pluriel + verbe infinitif |
Donne
l'impression que la jeune fille agit. La poésie est au ras de la
prose et introduit des éléments du langage courant. C'est une
rupture caractéristique de l'esprit de liberté du Romantisme. |
« Parmi
les joncs penchant », « au fond des bois »,
« arbres profonds » |
ccl |
La
nature accueille et dissimule les amoureux |
Regard
suprême |
adjectif |
amplification |
Elle
essuya ses pieds à l'herbe de la rive |
|
Semble
sortir de l'eau telle Vénus |
L'eau
caressait
|
VERBE
conjugué à l'imparfait |
Personnification
de la nature |
La
belle folâtre la belle fille heureuse |
périphrase |
mystérieuse |
Et
je lui dis x2 |
|
Le
poète est maître de la parole |
« Vis
Venir Verts » (V14) / « Fille eFFarée »
(V15) |
Allitération
en [V]
et en [F],
consonnes fricatives
|
qui
produisent comme un doux son de frottement, celui des pas de la
« fille » |
« effarée » |
Adjectif
féminin |
Qui
manifeste un grand trouble moral, un étonnement mêlé d'effroi.
A remarquer que ce terme s’emploie également en héraldique pour un cheval en position cabrée |
«La
belle fille heureuse, » V15 |
enjambement |
Mime
le rapprochement de la « belle fille » vers le poète. |
La
belle fille heureuse, //effarée et
sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, |
Allitération
en [S]
|
Pourquoi
pas ses cheveux dans les yeux ? A part la redondance,
probablement pour créer une allitération en [S]
qui
imite le bruit des cheveux qui balaient son visage. |
mardi 27 juin 2017
dimanche 25 juin 2017
Alice au pays des Merveilles
https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/pourquoi-il-faut-relire-alice-au-pays-des-merveilles-de-lewis?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1497609490
L’enfance en tant qu’elle est appréhendée par les écrivains adultes comme une sorte de silence primitif, de mutisme originel, qu’il appartient à l’écrivain de faire parler en lieu et place de l’enfant et au prix de ce qui peut apparaître comme une forme de trahison. Celle par laquelle l’adulte se substitue à l’enfant, parle en lieu et place de celui-ci. Une enfance dont il a le sentiment d’avoir été chassé, expulsé, d’où cet imaginaire nostalgique, mélancolique de l’enfance, comme paradis perdu.
L’enfance en tant qu’elle est appréhendée par les écrivains adultes comme une sorte de silence primitif, de mutisme originel, qu’il appartient à l’écrivain de faire parler en lieu et place de l’enfant et au prix de ce qui peut apparaître comme une forme de trahison. Celle par laquelle l’adulte se substitue à l’enfant, parle en lieu et place de celui-ci. Une enfance dont il a le sentiment d’avoir été chassé, expulsé, d’où cet imaginaire nostalgique, mélancolique de l’enfance, comme paradis perdu.
Comment est née Alice ?
Alice est née d’un conte par Lewis Carroll le 4 juillet 1862 à l’intention de trois petites filles, les soeurs Liddell, et ce conte fut ensuite transcrit sous la forme d’un récit illustré (…)
Comment l'imaginaire s’exprime dans "Alice au pays des merveilles" ?
Alice est une figure mythique de l’enfance où s’exprime une certaine représentation de l’expérience humaine saisie dans son originalité. Alice est un classique, peut-être le classique de la littérature d’enfance, par lequel une mythologie de l’enfance entre dans la littérature (…) Qui ne connait l'histoire d'Alice, de cette petite anglaise qui s'endormit par une belle journée printanière au son de la voix de sa sœur, et s'embarqua pour un voyage onirique aussi instructif que fantaisiste ? Qui n'a rêvé d'entreprendre un pareil voyage dans les bras de Morphée, abandonnant tous ses repères, parlant aux animaux et aux plantes, allant vers l'inconnu, tantôt fragile tantôt dominateur selon la taille que l'on a ?
Le personnage d’Alice est une invention personnelle sortie de l’imagination de Lewis Carroll, mais il a échappé à son créateur en débordant le cadre strictement livresque à l’intérieur duquel il avait été conçu. Vivant donc d’une vie autonome, qui plus que celle du personnage littéraire est à proprement parler celle du mythe. Tout le monde aujourd'hui sur la planète connait Alice.
Si le monde n'a absolument aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un ?
le sensationalisme
Sensationnalisme
"Dans les écoles de journalisme, on appelle cela, cyniquement : la « loi du mort-kilomètre ». Ou dit autrement, plus un événement se situe loin de nous et moins il éveillera l’attention. De sorte que toutes les victimes ne se valent pas puisque, selon la même logique, plus elles semblent éloignées et moins elles susciteront d’empathie. A cela, on pourrait encore ajouter la triste loi de l'actualité : Ou quand une catastrophe éclipse l’autre."
Dans les écoles de journalisme, on appelle cela, cyniquement : la « loi du mort-kilomètre ». Ou dit autrement, plus un événement se situe loin de nous et moins il éveillera l’attention. De sorte que toutes les victimes ne se valent pas puisque, selon la même logique, plus elles semblent éloignées et moins elles susciteront d’empathie. A cela, on pourrait encore ajouter la triste loi de l'actualité : Ou quand une catastrophe éclipse l’autre. Et pour peu que certaines violences paraissent récurrentes, alors elles ne finissent même par ne plus étonner. Hier soir, à Kaboul, au moins quatre personnes ont été tuées et huit autres blessées dans un attentat suicide contre une mosquée chiite. Tandis que les fidèles se préparaient à une assemblée pour cette nouvelle nuit de ramadan, les assaillants, précise THE GUARDIAN, se sont fait exploser dans la cuisine de la mosquée. Une attaque revendiquée par le groupe Etat islamique.
Mais là où, il y a 15 jours à peine, le précédent attentat faisant, lui, plus de 150 morts avait eu les faveurs des Unes de la presse, ce matin, force est de constater que l'information a du mal à se faire une place, au-delà du minimum requis. Et pourtant, cette attaque (la troisième revendiquée par l'EI depuis le mois d'octobre) semble bel et bien témoigner, tout d'abord, de ce que l'apparition de Daech, en Afghanistan, alimente désormais des affrontements violents entre sunnites et chiites, alors même que le pays (à majorité sunnite) avait été, jusqu'ici, épargné par ce type de phénomène. Sans compter que la veille de cet attentat, rappelle pour sa part THE ATLANTIC, l'EI a également pris le contrôle de Tora Bora, l'ancienne forteresse d'Oussama Ben Laden. Une prise non seulement symbolique pour Daech (qui en a chassé ses rivaux talibans) mais aussi stratégique. Elle devrait, en particulier, nous interpeller sur la capacité de résistance de l'organisation qui, même si elle perd aujourd'hui du terrain dans ses grands bastions (Raqqa et Mossoul) ne devrait pas pour autant perdre sa base sociale du jour au lendemain et pourrait même la faire prospérer en se repliant sur d'autres pays, comme l'Afghanistan. Enfin, cette attaque devrait également alimenter un autre débat, en toile de fond : peut-on continuer aujourd'hui à expulser les demandeurs d’asile déboutés vers l’Afghanistan ? Hier, l'organisation HUMAN RIGHTS WATCH faisait encore état d'incertitudes sur l'identité d'un adolescent expulsé de Suède et qui aurait possiblement trouvé la mort dans un attentat à Kaboul.
Lui était venu en Angleterre pour une vie meilleure. Et c’est en Angleterre qu’il a trouvé la mort
Après avoir survécu à l'insurrection syrienne et à la répression du président Bashar al-Assad, mais aussi à une campagne de bombardement de Daech et enfin à la traversée périlleuse de la Méditerranée, Mohammed Al-Haj Ali est mort, mercredi, dans l'incendie qui a dévasté une tour HLM de Londres. Dans un portrait émouvant publié par THE TELEGRAPH, il est écrit que Mohammed, étudiant en ingénierie civile à l'Université de West London, a été séparé de son frère dans les escaliers, alors que tous deux essayaient d’échapper aux flammes. Rapidement, les messages de soutien se sont multipliés sur les réseaux sociaux, où la mort de Mohammed a pris une dimension symbolique et ajouté, un peu plus encore, à la colère des Londoniens. Plusieurs internautes, en particulier, ont tenu à rappeler à l’ordre les médias (comme THE INDEPENDENT) qui n’auraient pas pris la peine d’écrire le nom du jeune homme dans leur titre, le présentant simplement comme « un réfugié syrien ». L'indignation, également, précise de son côté THE DAILY STAR, lorsque des idiots n'ont rien trouvé de mieux que d'infester les réseaux sociaux de leurs commentaires racistes, en s'interrogeant pourquoi seuls des « Britanniques », des vrais, ne faisaient pas partie de ce parc de logements sociaux.
Enfin la haine libre, toujours et encore, à l'œuvre cette fois-ci en Bulgarie
Depuis quelques jours, nous apprend le Courrier International, c’est une véritable série noire qui s’abat sur la classe politique bulgare. Quelques semaines à peine après la constitution du nouveau gouvernement, de troublantes photos de hauts responsables émergent, régulièrement, des réseaux sociaux : Toutes montrent les intéressés en train d'effectuer le salut nazi. Le premier à s’illustrer n'est autre que le vice-ministre du Développement régional. On le voit immortalisé en veste de cuir noir, dans le musée Grévin à Paris, face à deux officiers en cire de la Gestapo. Le bras levé, il effectue clairement le salut hitlérien. Arguant que la photo datait de 2008, lorsqu’il était à Paris en tant que touriste, il s'est défendu en expliquant que tout cela n’était qu’une plaisanterie. A la demande du Premier ministre, il a finalement dû démissionner. Et puis, ce fut au tour d’un haut responsable du ministère de la Défense de devoir s’expliquer. Sur la photo incriminée, il pose, là encore, le bras levé, tout en fixant l’objectif devant un char allemand de la Seconde Guerre mondiale. Poussé, lui aussi, à la démission par le Premier ministre, il s’est finalement fait hospitaliser. Et c’est depuis l’hôpital qu’il s’est fendu d’une lettre ouverte, présentant des « excuses » pour son geste. Depuis, l'homme est toujours fonctionnaire de la Défense, son ministre de tutelle ayant salué en lui un excellent professionnel. Enfin, troisième cas en quelques jours à peine, celui d'un conseiller du Président sur les questions de sécurité, arborant une moustache à la Hitler et le bras levé. Là encore, la photo a fait le tour des médias. Lundi, sur la chaîne de télévision NOVA, il a précisé qu’il s’agissait d’une photo sortie de son contexte, qu’elle provenait d’une fête masquée pour le Réveillon et qu’il ne comptait pas démissionner. Bien au contraire, puisqu'il entend à présent saisir les organes compétents, pour déjouer cette « tentative de discréditer l’institution présidentielle ». De son côté l’opposition, elle, tire désormais à boulets rouges contre le pouvoir en place, rappelant que le chef du gouvernement (au pouvoir pour la troisième fois depuis 2009) a, cette fois-ci, conclu une alliance inédite avec trois partis d’extrême droite.
Par Thomas CLUZEL
L' ennui
Le croiriez-vous ? On écrit beaucoup, ces temps-ci, sur l’ennui. La prestigieuse collection « Reader » chez Routledge, qui consacrait des volumes collectifs à étudier les grands auteurs, se penche dorénavant sur des sujets plus tendance comme la littérature diasporéique, les queer studies, la science-fiction dans la perspective de la cultural theory. Hé bien Routledge vient de publier un ouvrage collectif intitulé The Boredom Studies Reader : Frameworks and Perspectives. Manuel de lecture des études de l’ennui : structures et perspectives. Ca donne envie, non ?
Les contributions, toutes très savantes, sont regroupées en 5 parties affriolantes. Jugez-en par leurs intitulés : ennui et subjectivité, ennui et culture visuelle, l’ennui dans le monde techno-social, l’ennui et ses mécontents, les futurs de l’ennui. Courez l’acheter !
Il y a une manière d’aborder l’ennui de manière positive. C’est celle d’Andreas Elpidorou, assistant professeur de philosophie à l’Université de Louisville. L’ennui est précieux, écrit-il sur le site Aeon, même s’il n’y a rien de particulièrement gratifiant dans le fait de s’ennuyer. Et de développer la théorie de l’ennui-signal. Je résume. L’ennui naît d’un sentiment de décalage entre nos besoins de stimulation, notre soif de nouveauté et une situation insatisfaisante. Face à des activités répétitives et monotones, à des situations lassantes par leur familiarité, nous ressentons soudain une lassitude. Ou bien, nous sommes mêlés à une discussion qui manque, pour nous de sens, à une de ces réunions de travail dont rien de neuf ne sortira. Notre esprit se met à vagabonder. Notre perception du temps s’altère. Il nous paraît ralentir. Nous ressentons une fatigue inexpliquée.
Cette alarme interne est bénéfique : elle nous avertit d’avoir à rechercher une situation qui retrouve, à nos yeux du sens, et nous restitue la sensation de plénitude à laquelle nous aspirons légitimement.
Pourtant, Elpidorou reconnaît que l’ennui a toujours eu ses défenseurs, en particulier du côté des philosophes. Je me souviens d’un spécialiste de Hegel qui terminait fréquemment ses cours, à la Sorbonne, par cette sentence : « l’ennui n’est pas une objection ». Une manière élégante d’admettre qu’en effet, son cours n’était pas des plus distrayants. Bertrand Russell, de son côté, a écrit que savoir supporter l’ennui était essentiel à une vie heureuse. Et Nietzsche attribue à l’ennui des vertus créatives. Chez Proust, c’est souvent sur un fond d’ennui, que surgissent les révélations les plus bouleversantes. Et Joseph Brodsky a écrit que l’ennui était « une fenêtre ouverte sur l’infini du temps. » C’est, là encore, sur ce fond d’éternité que s’inscrit la finitude de nos vies et la futilité de nos actes. Dernière citation et j'arrête; elle est de Pessoa : « L’ennui est bien, réellement, la sensation charnelle de la vacuité surabondante des choses. »
Par un curieux hasard, deux auteurs portant le même nom viennent de commettre des livres consacrés à l’ennui. Sandi Mann, une psychologue britannique, signe un essai « The Upside of Downtime : why boredom is good » (Du bon côté du temps mort : pourquoi l’ennui est bon). Et une universitaire américaine spécialiste de l’art contemporain, Mary Mann, publie Yawn : Adventures in Boredom. Bâillement : Aventures en ennui… Prometteur, non ?
Bizarrement, remarque la seconde, la culture occidentale est passée d’une condamnation sans appel de l’ennui à son apologie. De péché mortel, qu’il était pour Thomas d’Aquin, voilà l’ennui devenu synonyme de désengagement, de vacuité propice à la méditation et à la reprise de contrôle sur soi-même. Souvenons-nous aussi de l’ennui chic à la Andy Warhol, sorte de passivité indifférente, opposée aux stimulations esthétiques et mondaines et témoignant d’un « tout-se-vaut » supérieur.
Les moines du Moyen-Age avaient nommé « acédie », l’ennui qui les étreignait en les éloignant de la prière et des tâches quotidiennes. Cette mélancolie (on dirait de nos jours « dépression »), cette indifférence, cette lassitude qui leur faisaient prendre en horreur leurs vies cloîtrées étaient aussi appelées « démon de midi ». Car c’est au milieu de la journée que le temps, mesuré au mouvement du soleil au-dessus des têtes, semble s’écouler le plus lentement. Il est probable que la Melancolia de Dürer témoigne aussi de cette fatigue d’exister.
L’ennui contemporain est alimenté par les écrans sur lesquels nous passons dorénavant une partie dévorante de nos existences. Il faut nous voir faire défiler des messages censés alimenter notre curiosité, des informations dépourvues d’intérêt et, pour cette raison, constamment renouvelées ! D’où la vogue des livres pratiques, nous exhortant à « ralentir », à « décrocher », à « faire le vide », à nous « désintoxiquer des écrans addictifs. Il s’agit d’échapper à l’extraordinaire frustration que provoque le défilé des gazouillis de Twitter et des proclamations de Facebook, de ces emails qu’on n’a jamais fini de dépouiller, puisqu’il en tombe tout le temps de nouveaux…
John Cage disait : « si quelque chose est ennuyeux sur deux minutes, faites le durer quatre minutes. Si c’est encore ennuyeux, essayez huit, 16, une demi-heure. A la fin, ce n’est plus ennuyeux, c’est devenu intéressant." Cage avait étudié le bouddhisme zen et découvert les pouvoirs hypnotiques des mantras, les vertus de la répétition.
En espérant ne vous avoir pas trop ennuyés…
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