mardi 11 avril 2017

4e séquence l'aveu au théâtre. Lecture complémentaire n°3 SOPHOCLE, Oedipe Roi

Tirésias : Hélas ! hélas ! qu'il est terrible de savoir, quand le savoir ne sert de rien
à celui qui le possède ! Je ne l'ignorais pas ; mais je l'ai oublié. Je ne fusse pas venu
sans cela.
Œdipe : Qu'est-ce là ? et pourquoi pareil désarroi à la pensée d'être venu ?
Tirésias : Va, laisse-moi rentrer chez moi : nous aurons, si tu m 'écoutes, moins de
peine à porter, moi mon sort, toi le tien.
Œdipe : Que dis-tu ? Il n'est ni normal ni conforme à l'amour que tu dois à Thèbes, ta mère, de lui refuser un oracle.
Tirésias : Ah ! C'est que je te vois toi-même ne pas dire ici ce qu'il faut ; et, comme
je crains de commettre la même erreur à mon tour…
Œdipe : Non, par les dieux ! si tu sais, ne te détournes pas de nous. Nous sommes
tous ici, à tes pieds, suppliants.
Tirésias  : C'est que tous, tous, vous ignorez...Mais non, n'attends pas de moi que
je révèle mon malheur-pour ne pas le dire : le tien.
Œdipe : Comment ? tu sais et tu ne veux rien dire ! Ne comprends-tu pas que tu nous trahis et perds ton pays ?
Tirésias : Je ne veux affliger ni toi ni moi. Pourquoi me pourchassez vainement de
la sorte ? De moi, tu ne sauras rien.
Œdipe : Ainsi, ô le plus méchants de méchants - car vraiment tu mettrais en fureur
un roc – ainsi, tu ne veux rien dire, tu prétend te montrer insensible, entêté à ce
point ?
Tirésias : Tu me reproches mon furieux entêtement, alors que tu ne sais pas voir celui qui loge chez toi, et c'est moi ensuite que tu blâmes !
Œdipe : Et qui ne serait en fureur à entendre de ta bouche des mots qui sont autant
d'affronts pour cette ville ?
Tirésias  : Les malheurs viendront bien seuls : peu importe que je me taise et cher-
che à te les cacher !
Œdipe : Mais alors, s'ils doivent venir, faut-il pas que tu me les dises ?
Tirésias : Je n'en dirais pas plus. Après quoi, à ta guise ! laisse ton dépit déployer sa
fureur la plus farouche.
Œdipe : Eh bien soit ! Dans la fureur où je suis, je ne cèlerai rien de ce que j'entre-
vois. Sache donc qu'à mes yeux c'est toi qui as tramé le crime, c'est toi qui l'as commis-à cela près seulement que ton bras n'a pas frappé. Mais si tu avais des
yeux, je dirais que même cela, c'est toi, c'est toi seul qui l'as fait.
Tirésias : Vraiment ? Eh bien, je te somme, moi, de t'en tenir à l'ordre que tu as
proclamé toi-même, et donc de ne plus parler de ce
jour à qui que ce soit, ni à moi, ni à ces gens ; car,
sache-le, c'est toi, c'est toi, le criminel qui souille ce
pays !
Œdipe : Quoi , tu as l'impudence de lâcher pareil mot !
Mais comment crois tu donc te dérober ensuite ?
Tirésias : Je demeure hors de tes atteintes : en moi vit
la force du vrai.
Œdipe : Et qui t'aurais appris le vrai ? Ce n'est certes
pas ton art.
Tirésias : C'est toi, puisque tu m'as poussé à parler
malgré moi.
                                                          Traduction Paul Mazon
Quatrième séquence : Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe à nos jours.
Lecture complémentaire n°3 Sophocle, Œdipe Roi, L'aveu de Tirésias


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