samedi 1 juillet 2017

MOLINET Jean (1435-1507) Liste poètique

Fourbissez votre ferraille, 
Aiguisez vos grands couteaux. 

Fourbissez votre ferraille 
Quotinailles, quetinailles, 
Quoquardaille, friandeaux, 
Garsonaille, ribaudaille, 
Laronnaille, brigandaille, 
Crapaudaille, lésardeaux, 
Cavestraille, goulardeaux, 
Villenaille, bonhommaille, 
Fouillardaille, paillardeaux, 
Truandaille et Lopinaille, 
Aiguisez vos grands couteaux. 
  


ÉPITAPHE DE SIMON MARMION, PEINTRE


Je suis Simon Marmion vif et mort,
Mort par nature et vif entre les hommes ;
Après le vif, moi vif, peindis la mort,
Qui durement m’a point et qui s’amort
À mordre tous, comme nous qui morts sommes.
Quand j’ai les morts, dormants les pesants sommes,
Ressuscité par vif art de peinture,
Aux vivants suis de le mort portraiture.

Du maître peintre, à qui devons hommage,
Tellement fus peint et enluminé
Qu’il me créa à sa divine image ;
Autres, voyant mon trait et mon limage,
Ont après moi leur œuvre patronné ;
Quand j’ai tout peint et tout imaginé,
La mort terrible a brouillé mes couleurs :
Au réveiller sont les grefves douleurs.

Ciel, soleil, feu, air, mer, terre visible,
Métaux, bestiaux, herbis, habits bruns, pers, 
Bois, blés, champs, prés et toute rien peingnible,
Par art fébrile ai atteint le possible,
Autant ou plus que nul de plus experts,
Tant vivement que nul bruit je n’y perds,
Car j’ai portrait tel mort gisant sous lame
Qu’il semble vif et ne reste que l’âme.

Les œils ont pris douce réfection,
En mes exploits tant propres et exquis
Qu’ils ont donné grande admiration,
Riant objet et consolation
Aux empereurs, rois, comtes et marquis ;
Ai décoré, par art et sens acquis,
Livres, tableaux, chapelles et autels,
Tels que pour lors n’étaient guères de tels.

Peintres mortels, qui prenez patronages
Sur mes couleurs vertes, noires et blanches,
Quand vous avez portrait vos personnages,
Après les miens, dont grands sont les sonnages,
Octroyez-nous vos douces bienveillances ; 
Priez aux saints, dont ai fait les semblances,
Que l’éternel peintre pardon nous fasse,
Si que là-sus je tire après sa face.

Le jour et l’an de la nativité
Notre Seigneur, mille avec quatre cents
Quatre vingt neuf, lors fort débilité,
La fière mort, par son habileté,
Me dépouilla âme, cœur, force et sens.
Vous qui voyez ces images présents,
Priez Saint Luc, dont voici la chapelle,
Que Dieu là-sus en sa gloire m’appelle.

  VÉRITÉ 
  
Princes puissants, qui trésors affinez 
Et ne finez de forger grands discours, 
Qui dominez, qui le peuple aminez, 
Qui ruminez, qui gens persécutez, 
Et tourmentez les âmes et les corps, 
Tous vos recours sont de piteux ahors, 
Vous êtes hors d’excellence boutés : 
Pauvres gens sont à tous lés rebutés. 
 
Que faites-vous, qui perturbez le monde 
Par guerre immonde et criminels assauts, 
Qui tempêtez et terre et mer parfonde 
Par feu, par fronde et glaive furibonde, 
Si qu’il n’abonde aux champs que vieilles saulx ? 
Vous faites sauts et mangez bonhommots, 
Villes, hameaux et n’y sauriez forger 
La moindre fleur qui soit en leur verger. 
 
Êtes-vous dieux, êtes-vous demi-dieux, 
Argus plein d’yeux, ou anges incarnés ? 
Vous êtes faits, et nobles et gentieux, 
D’humains outils, en ces terrestres lieux, 
Non pas ès cieux, mais tous de mère nés ; 
Battez, tonnez, combattez, bastonnez 
Et hutinez, jusques aux têtes fendre : 
Contre la mort nul ne se peut défendre. 
 
Tranchez, coupez, détranchez, découpez, 
Frappez, happez bannières et barons, 
Lancez, heurtez, balancez, behourdez, 
Quérez, trouvez, conquérez, controuvez, 
Cornez, sonnez trompettes et clairons, 
Fendez talons, pourfendez orteillons, 
Tirez canons, faites grands espourris : 
Dedans cent ans vous serez tous pourris.
On trouve aux champs pastoureaux sans brebis, 
Clercs sans habits, prêtres sans bréviaire,
Châteaux sans tours, granges sans fourragis,
Bourgs sans logis, étables sans seulis,
Chambres sans lits, autels sans luminaire,
Murs sans parfaire, églises sans refaire,
Villes sans maire et cloîtres sans nonnettes :
Guerre commet plusieurs faits déshonnêtes.

Chartreux, chartiers, charretons, charpentiers,
Moutons, moustiers, manouvriers, marissaux,
Villes, vilains, villages, vivandiers,
Hameaux, hotiers, hôpitaux, hôteliers,
Bouveaux, bouviers, bosquillons, bonhommots,
Fourniers, fourneaux, fèves, foins, fleurs et fruits
Par vos gens sont indigents ou détruits.

Par vos gens sont laboureurs lapidés,
Cassis cassés, confrères confondus,
Galants gallés, gardineurs gratinés,
Rentiers robés, receveurs rançonnés,
Pays passés, paysans pourfendus, 
Abbés abus, appentis abattus,
Bourgeois battus, baguettes butinées,
Vieillards vannés et vierges violées.

Que n’est exempt de ces cruels débats
Le peuple bas à vos guerres soumis !
Il vous nourrit, vous ne le gardez pas
Des mauvais pas, mais se trouve plus las
Dedans vos lacs que pris des ennemis ;
Il est remis de ses propres amis,
Perdu et mis à tourments éprouvés :
Il n’est tenchon que de voisins privés.

Pensez-vous point que de vos grands desroix
Au roi des rois il vous faut rendre compte ?
Vos pillards ont pillé, par grands effrois,
Chapes, orfrois d’église et cloche et croix,
Comme je crois et chacun le raconte,
Dieu, roi et comte et vicaire et vicomte,
Comtesse et comte et roi et roinotte,
Au départir faudra compter à l’hôte. 

De sainte Église êtes vous gardiens
Quotidiens, vous y devez regards ;
Mais vous mangez, en boutant le doy ens,
Docteurs, doyens, chapitres, citoyens,
Gerbes, liens, greniers, gardins et gars :
Gouges et gars, garnements et esgars
Sous leurs hangars ont tout gratté si net
Qu’on ne voit grain en gar n’en gardinet.

Lisez partout, vous verrez en chronique,
Bible authentique, histoires et hauts faits
Que toutes gens qui, par fait tyrannique,
Pillent relique, église catholique
Ou paganique, endurent pesants faix ;
D’honneurs défaits, sourds, bossus, contrefaits
Ou déconfits sont en fin de leurs jours :
Qui qui paie, Dieu n’accroit pas toujours.

Oyez-vous point la voix des pauvres gens,
Des indigents péris sans allégeance, 
Des laboureurs qui ont perdu leurs champs,
Des innocents, orphelins impotents,
Qui mal contents crient à Dieu vengeance ?
Vieillesse, enfance, air, feu, fer, florissance,
Brute naissance et maint noble édifice
Sont vrais témoins de votre maléfice.

Du firmament le grand cours cessera,
Le ciel sera cornu sans être rond,
Jamais en mer, fleuve n’arrivera,
Plomb nagera, le feu engèlera,
Glace ardera, cabillauds voleront,
Bœufs parleront, les femmes se tairont,
Et si seront monts et vaux tous unis,
Si vos méfaits demeurent impunis.



LE TESTAMENT DE LA GUERRE









La guerre suis en train de mort,
Qui n'attend que à passer le pas ;
Mais conscience me remort
Tant fort que j'en pers mon repas ;
Et pour cause que je n'ay pas
Satisfaict aux miens plainement,
Il me fault, avant mon trespas,
Faire mon petit testament. ...

Je laisse aux abbaïes grandes
Cloistres rompus, dortoirs gastés,
Greniers sans bled, tronez sans offrandes,
Celiers sans vins, fours sans pastés,
Prélatz honteux, moisnes crottés,
Pertes de biens et de bestaille
Et, pour redressier leurs costés,
Sus leurs dos une grande taille. ...

Je laisse au povre plat pays
Chasteaux brisiés, hosteux brullés,
Terres a riés, gens esbahis,
Bregiers battus et affollés,
Marchans murdris et mutillés
De grans cousteaux et de courbés,
Et corbaux crians a tous lés
Famine dessus les gibetz. ...

Je laisse aux jeunes estourdis
En vieillesse peine et tourment,
Qui Bourgs et Chasteaux plus de dix
Ont acquis cauteleusement,
Piteux cris et gemissements,
Gouttes aux mains, bras décroisez,
Et avant leur deffinement,
Le danger d'être racoursez. ...

Je laisse au pillart espillé
La pillade qui va pillant,
Tant qu'ung pilleur l'aura pillé,
Plus gorrier et plus espillant :
S'il est en pillart aggrapillant,
Il pillera sa pillerie,
Et l'autre qui fut espillant
Sera noyé en pillerie. ...

Je laisse aux vueilx souldars sans dens,
Bientaillez d'etre mal souppés,
Lesquels par bien donner dedens,
Ont plusieurs membres decoupez ;
Aucuns ont piedz et poings griffez,
Par approcher les horions,
Et les aultres fort brelaffrez,
Plaindans leurs grandes passions. ...

Je laisse à ceulx qui sans raison
Ont ravy les biens de ce monde,
Vrays heritiers de la maison
De l'ennemy ord et immonde :
Qui sus la pillade se fonde,
Et veult d'aultruy l'argent despendre,
Il se lance en bourbe profonde ;
Cer enfin convient rendre ou pendre.