samedi 8 septembre 2018

Histoire de La princesse de Montpensier, texte intégral

Mme de Lafayette, Histoire de La princesse de Montpensier, 1662


   Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l’amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres, et d’en causer beaucoup dans son Empire. La fille unique du marquis de Mézières, héritière très-considérable, et par ses grands biens, et par l’illustre maison d’Anjou, dont elle était descendue, était promise au duc du Maine, cadet du duc de Guise, que l’on appela  depuis le Balafré. Ils étaient tous les deux dans une extrême jeunesse et le duc de Guise, voyant souvent cette prétendue belle-sœur, en qui paraissaient déjà les commencements d’une grande beauté, en devint amoureux et en fut aimé.

Ils cachèrent leur intelligence avec beaucoup de soin, et le duc de Guise, qui n’avait pas encore autant d’ambition qu’il en eut depuis, souhaitait ardemment de l’épouser ; mais la crainte du cardinal de Lorraine son oncle, qui lui tenait lieu de père, l’empêchait de se déclarer.

Les choses étaient en cet état, lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu’avec envie l’élévation de celle de Guise, s’apercevant de l’avantage qu’elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter et de se le procurer à elle-même, en faisant épouser cette grande  héritière au jeune prince de Montpensier, que l’on appelait quelquefois le prince dauphin.

L’on travailla à cette affaire avec tant de succès, que les parents, contre les paroles qu’ils avaient données au cardinal de Guise, se résolurent de donner leur nièce au prince de Montpensier. Ce procédé surpris extrêmement toute la maison de Guise, mais le duc en fut accablé de douleur, et l’intérêt de son amour lui fit voir ce changement comme un affront insupportable.

Son ressentiment éclata bientôt, malgré les réprimandes du cardinal de Guise et du duc d’Aumale, ses oncles, qui ne voulaient pas s’opiniâtrer à une chose qu’ils voyaient ne pouvoir empêcher. Il s’emporta avec tant de violence, même en présence du jeune prince de Montpensier, qu’il en naquit une haine entre eux qui ne finit qu’avec leur vie.

Mademoiselle de Mézières, tourmentée par ses parents voyant qu’elle ne pouvait épouser M. de Guise et connaissant par sa vertu qu’il était dangereux d’avoir pour beau-frère un homme qu’elle souhaitait pour mari, se résolut enfin d’obéir à ses parents et conjura M. de Guise de ne plus apporter d’empêchement et d’opposition à son mariage. Elle épousa donc le jeune prince de Montpensier qui, peu de temps après, l’emmena à Champigny, séjour ordinaire des princes de sa maison, pour l’ôter de Paris, où apparemment tout l’effort de la guerre allait tomber.

Cette grande ville était menacée d’un siège par l’armée des huguenots, dont le prince de Condé était le chef, et qui venait de prendre les armes contre le roi pour la seconde fois.
Le prince de Montpensier, dans sa plus grande  jeunesse, avait fait une amitié très particulière avec le comte de Chabannes, et ce comte, quoique d’un âge beaucoup plus avancé, avait été si sensible à l’estime et à la confiance de ce prince que, contre tous ses propres intérêts, il abandonna le parti de huguenots, ne pouvant se résoudre à être opposé en quelque chose à un homme qui lui était si cher.

Ce changement de parti n’ayant point d’autre raison que celle de l’amitié, l’on douta qu’il fût véritable, et la reine mère, Catherine de Médicis, en eut de si grands soupçons, que, la guerre étant déclarée par les huguenots, elle eut dessein de le faire arrêter.

Mais le prince de Montpensier l’en empêcha, en lui répondant de la personne du comte de Chabannes, qu’il amena à Champigny en s’y en allant avec sa femme. Ce comte, étant d’un esprit fort sage et fort doux, gagna bientôt l’estime de la princesse de Montpensier et, en peu de temps, elle n’eut pas moins d’amitié pour lui, qu’en avait le prince son mari. Chabannes, de son côté, regardait avec admiration tant de beauté, d’esprit et de vertu qui paraissaient en cette jeune princesse et, se servant de l’amitié qu’elle lui témoignait pour lui inspirer des sentiments d’une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance, il la rendit en peu de temps une des personnes du monde la plus achevée.

Le prince étant revenu à la cour, où la continuation de la guerre l’appelait, le comte demeura seul avec la princesse, et continua d’avoir pour elle un respect et une amitié proportionnés à sa qualité et à son mérite.

 La confiance s’augmenta de part et d’autre, et à tel point du côté de la princesse de Montpensier qu’elle lui apprit l’inclination qu’elle avait eue pour M. de Guise, mais elle lui apprit aussi en même-temps qu’elle était presque éteinte et qu’il ne lui en restait que ce qui était nécessaire pour défendre l’entrée de son cœur à tout autre, et que la vertu se joignant à ce reste d’impression, elle n’était capable que d’avoir du mépris pour ceux qui oseraient lever les yeux jusques à elle.

Le comte, qui connaissait la sincérité de cette belle princesse, et qui lui voyait d’ailleurs des dispositions si opposées à la faiblesse de la galanterie, ne douta point qu’elle ne lui dît la vérité de ses sentiments ; et néanmoins, il ne put se défendre de tant de charmes qu’il voyait tous les jours de si près. Il devint passionnément amoureux de cette princesse et, quelque honte qu’il trouvât à se laisser surmonter, il fallut céder, et l’aimer de la plus violente et de la plus sincère passion qui fut jamais. S’il ne fut pas maître de son cœur, il le fut de ses actions. Le changement de son âme n’en apporta point dans sa conduite, et personne ne soupçonna son amour. Il prit un soin exact pendant une année entière de le cacher à la princesse, et il crut qu’il aurait toujours le même désir de le lui cacher. L’amour fit en lui ce qu’il fait en tous les autres ; il lui donna l’envie de parler, et, après tous les combats qui ont accoutumé de se faire en pareilles occasions, il osa lui dire qu’il l’aimait, s’étant bien préparé à essuyer les orages dont la fierté de cette princesse le menaçait. Mais il trouva en elle une tranquillité et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs à quoi il s’était attendu : elle ne prit pas la peine de se mettre en colère.

Elle lui représenta en peu de mots la différence de leurs qualités et de leur âge, la connaissance particulière qu’il avait de sa vertu et de l’inclination qu’elle avait eue pour le duc de Guise, et surtout ce qu’il devait à l’amitié et à la confiance du prince son mari.

Le comte pensa mourir à ses pieds de honte et de douleur. Elle tâcha de le consoler, en l’assurant qu’elle ne se souviendrait jamais de ce qu’il venait de lui dire, qu’elle ne se persuaderait jamais une chose qui lui était si désavantageuse, et qu’elle ne le regarderait jamais que comme son meilleur ami.
Ces assurances consolèrent le comte, comme on se le peut imaginer. Il sentit le mépris des paroles de la princesse dans toute leur étendue et, le lendemain, la revoyant avec visage aussi ouvert que de coutume sans que sa présence la troublât ni la fît rougir, son affliction en redoubla de la moitié et le procédé de la princesse ne la diminua pas. Elle vécut avec lui avec la même bonté qu’elle avait accoutumé, elle lui reparla, quand l’occasion en fit naître le discours, de l’inclination quelle avait eue pour le duc de Guise, et la renommée commençant alors à publier les grandes qualités qui paraissaient en ce prince, elle lui avoua qu’elle en sentait de la joie, et qu’elle était bien aise de voir qu’il méritait les sentiments qu’elle avait eus pour lui.

Toutes ces marques de confiance, qui avaient été si chères au comte, lui devinrent insupportables. Il ne l’osait pourtant témoigner, quoiqu’il osât bien la faire souvenir quelquefois de ce qu’il avait eu la hardiesse de lui dire.

Après deux années d’absence, la paix étant faite, le prince de Montpensier revint trouver la princesse sa femme, tout couvert de la gloire qu’il avait acquise au siège de Paris et à la bataille de Saint-Denis. Il fut surpris de voir la beauté de cette princesse dans une si grande perfection, et, par le sentiment d’une jalousie qui lui était naturelle, il en eut quelque chagrin, prévoyant bien qu’il ne serait pas seul à la trouver belle. Il eut beaucoup de joie de revoir le comte de Chabannes pour qui son amitié n’avait point diminué, et lui demanda confidemment des nouvelles de l’humeur et de l’esprit de sa femme, qui lui était quasi une personne inconnue par le peu de temps qu’il avait demeuré avec elle.

Le comte, avec une sincérité aussi exacte que s’il n’eût point été amoureux, dit au prince tout ce qu’il connaissait en cette princesse capable de la lui faire aimer, et avertit aussi madame de Montpensier des choses qu’elle devait faire pour achever de gagner le cœur et l’estime de son mari. Enfin, la passion du comte le portait si naturellement à ne songer qu’à ce qui pouvait augmenter le bonheur et la gloire de cette princesse, qu’il oubliait sans peine les intérêts qu’ont les amants à empêcher que les personnes qu’ils aiment ne soient dans une si parfaite intelligence avec leurs maris.

La paix ne fit que paraître. La guerre recommença aussitôt par le dessein qu’eut le roi de faire arrêter à Noyers le prince de Condé et l’amiral de Châtillon où ils s’étaient retirés et, ce dessein ayant été découvert, on commença de nouveau les préparatifs de la guerre, et le prince de Montpensier fut contraint de quitter sa femme, pour se rendre où son devoir l’appelait.

Chabannes le suivit à la cour, s’étant entièrement justifié auprès de la reine, à qui il ne resta aucun soupçon de sa fidélité. Ce ne fut pas sans une douleur extrême qu’il quitta la princesse, qui de son côté demeura fort triste des périls où la guerre allait exposer son mari. Les chefs des huguenots s’étant retirés à La Rochelle, Le Poitou et la Saintonge étant de leur parti, la guerre s’y ralluma fortement et le roi y rassembla toutes ses forces.

Le duc d’Anjou son frère, qui fut depuis Henri III, y acquit beaucoup de gloire par plusieurs belles actions, et entre autres par la bataille de Jarnac, où le prince de Condé fut tué. Ce fut dans cette guerre que le duc de Guise commença à avoir des emplois considérables et à faire connaître qu’il passait de beaucoup les grandes espérances qu’on avait conçues de lui.

Le prince de Montpensier, qui le haïssait et comme son ennemi particulier et comme celui de sa maison, ne voyait qu’avec peine la gloire de ce duc, aussi bien que l’amitié que lui témoignait le duc d’Anjou. Après que les deux armées se furent fatiguées par beaucoup de petits combats, d’un commun consentement on licencia les troupes pour quelque temps et le duc d’Anjou demeura à Loches pour donner ordre à toutes les places qui eussent pu être attaquées.

Le duc de Guise y demeura avec lui, et le prince de Montpensier, accompagné du comte de Chabannes, s’en alla à Champigny, qui n’était pas fort éloigné de là. Le duc d’Anjou allait souvent visiter les places qu’il faisait fortifier. Un jour qu’il revenait à Loches par un chemin peu connu de ceux de sa suite, le duc de Guise, qui se vantait de le savoir, se mit à la tête de la troupe pour lui servir de guide ; mais, après avoir marché quelque temps, il s’égara et se trouva sur le bord d’une petite rivière, qu’il ne reconnut pas lui-même. Toute la troupe fit la guerre au duc de Guise de les avoir si mal conduits, et, étant arrêtés en lieu, aussi disposés à la joie qu’ont accoutumé de l’être de jeunes princes, ils aperçurent un petit bateau qui était arrêté au milieu de la rivière, et, comme elle n’était pas large, ils distinguèrent aisément dans ce bateau trois ou quatre femmes, et une entre autres qui leur parut fort belle, habillée magnifiquement, et qui regardait avec attention deux hommes qui pêchaient auprès d’elle. Cette nouvelle aventure donna une nouvelle joie à ces jeunes princes et à tous ceux de leur suite : elle leur parut une chose de roman. Les uns disaient au duc de Guise qu’il les avait égarés exprès pour leur faire voir cette belle personne, les autres qu’après ce qu’avait fait le hasard, qu’il en devînt amoureux, et le duc d’Anjou soutenait que c’était lui qui devait être son amant. Enfin, voulant pousser l’aventure à bout, ils firent avancer de leurs gens à cheval le plus avant qu’il se put dans la rivière, pour crier à cette dame que c’était M. d’Anjou qui eût bien voulu passer de l’autre côté de l’eau, et qu’il priait qu’on le vînt prendre. Cette dame, qui était la princesse de Montpensier, entendant nommer le duc d’Anjou et ne doutant point à la quantité de gens qu’elle voyait au bord de l’eau que ce ne fût lui, fit avancer son bateau pour aller du côté où il était. Sa bonne mine le lui fit bientôt distinguer des autres  quoiqu’elle ne l’eût quasi jamais vu, mais elle distingua encore plus tôt le duc de Guise. Sa vue lui apporta un trouble qui la fit rougir et qui la fit paraître aux yeux de ces princes dans une beauté qu’ils crurent surnaturelle. Le duc de Guise la reconnut d’abord, malgré le changement avantageux qui s’était fait en elle depuis les trois années qu’il ne l’avait pas vue. Il dit au duc d’Anjou qui elle était, qui fut honteux d’abord de la liberté qu’il avait prise, mais, voyant Mme de Montpensier si belle et cette aventure lui plaisant si fort, il se résolut de l’achever, et, après mille excuses et mille compliments, il inventa une affaire considérable, qu’il disait avoir au-delà de la rivière, et accepta l’offre qu’elle lui fit de le passer dans son bateau. Il y entra seul avec le duc de Guise, donnant ordre à tous ceux qui les suivaient d’aller passer la rivière à un autre endroit, et de les venir joindre à Champigny, que Mme de Montpensier leur dit qui n’était qu’à deux lieues de là. Sitôt qu’ils furent dans le bateau, le duc d’Anjou lui demanda à quoi ils devaient une si agréable rencontre et ce qu’elle faisait au milieu de la rivière. Elle lui apprit qu’étant partie de Champigny avec le prince son mari dans le dessein de le suivre à la chasse, elle s’était trouvée trop lasse et elle était venue sur le bord de la rivière où la curiosité de voir prendre un saumon qui avait donné dans un filet l’avait fait entrer dans ce bateau.

M. de Guise ne se mêlait point dans la conversation, et sentant réveiller dans son cœur si vivement tout ce que cette princesse y avait autrefois fait naître, il pensait en lui-même qu’il pourrait demeurer aussi bien pris dans les liens de cette belle princesse que le saumon l’était dans les filets du pêcheur. Ils arrivèrent bientôt au bord, où ils trouvèrent les chevaux et les écuyers de madame de Montpensier qui l’attendaient. Le duc d’Anjou lui aida à monter à cheval, où elle se tenait avec une grâce admirable, et ces deux princes ayant pris des chevaux de main que conduisaient des pages de cette princesse, ils prirent le chemin de Champignyoù elle les conduisait. Ils ne furent pas moins surpris des charmes de son esprit qu’ils l’avaient été de sa beauté , et ne purent s’empêcher de lui faire connaître l’étonnement où ils étaient de tous les deux.

Elle répondit à leurs louanges avec toute la modestie imaginable, mais un peu plus froidement à celles du duc de Guise, voulant garder une fierté qui l’empêchât de fonder aucune espérance sur l’inclination qu’elle avait eue pour lui.

En arrivant dans la première cour de Champigny, ils y trouvèrent le prince de Montpensier qui ne faisait que de revenir de la chasse. Son étonnement fut grand de voir marcher deux hommes à côté de sa femme , mais il fut extrêmement surpris, quand, s’approchant de plus près, il reconnut que c’était le duc d’Anjou et le duc de Guise. La haine qu’il avait pour le dernier se joignant à sa jalousie naturelle lui fit trouver quelque chose de si désagréable à voir ces princes avec sa femme, sans savoir comment ils s’y étaient trouvés, ni ce qu’ils venaient faire chez lui, qu’il ne put cacher le chagrin qu’il en avait ; mais il en rejeta la cause sur la crainte de ne pouvoir recevoir un si grand prince selon sa qualité et comme il l’eût souhaité.

Le comte de Chabannes avait encore plus de chagrin de voir M. de Guise auprès de Mme de Montpensier, que M. de Montpensier n’en avait lui-même. Ce que le hasard avait fait pour rassembler ces deux personnes lui semblait de si mauvais augure qu’il pronostiquait aisément que ce commencement de roman ne serait pas sans suite. Madame de Montpensier fit les honneurs de chez elle avec le même agrément qu’elle faisait toutes choses.

Enfin elle ne plut que trop à ses hôtes. Le duc d’Anjou, qui était fort galant et fort bien fait, ne put voir une fortune si digne de lui sans la souhaiter ardemment. Il fut touché du même mal que M. de Guise  et, feignant toujours des affaires extraordinaires, il demeura deux jours à Champigny, sans être obligé d’y demeurer que par les charmes de Mme de Montpensier, le prince son mari ne faisant point de violence pour l’y retenir. Le duc de Guise ne partit pas sans faire entendre à Mme de Montpensier qu’il était pour elle ce qu’il était autrefois  et, comme sa passion n’avait été sue de personne, il lui dit plusieurs fois devant tout le monde sans être entendu que d’elle, que son cœur n’était point changé, partit avec le duc d’Anjou. Ils sortirent de Champigny l’un et l’autre avec beaucoup de regret, et marchèrent longtemps avec un profond silence. Enfin, le duc d’Anjou, s’imaginant tout d’un coup que ce qui causait sa rêverie pouvait bien causer celle du duc de Guise, il lui demanda brusquement s’il pensait aux beautés de la princesse de Montpensier.

Cette demande si brusque, jointe à ce qu’avait déjà remarqué le duc de Guise des sentiments du duc d’Anjou, lui fit voir qu’il serait infailliblement son rival, et qu’il lui était très important de ne pas découvrir son amour à ce prince. Pour lui en ôter tout soupçon, il lui répondit en riant qu’il paraissait si occupé lui-même de la rêverie dont il l’accusait, qu’il n’avait pas jugé à propos de l’interrompre ; que les beautés de la princesse de Montpensier n’étaient pas nouvelles pour lui ; qu’il s’était accoutumé à en supporter l’éclat du temps qu’elle était destinée à être sa belle-sœur, mais qu’il voyait bien que tout le monde n’en était pas si peu ébloui. Le duc d’Anjou lui avoua qu’il n’avait encore rien vu qui lui parût comparable à la princesse de Montpensier et qu’il sentait bien que sa vue pourrait lui être dangereuse, s’il y était souvent exposé. Il voulut faire convenir le duc de Guise qu’il sentait la même chose, mais ce duc, qui commençait à se faire une affaire sérieuse de son amour, n’en voulut rien avouer.

Ces princes s’en retournèrent à Loches, faisant souvent leur agréable conversation de l’aventure qui leur avait découvert la princesse de Montpensier. Ce ne fut pas un sujet de si grand divertissement à Champigny. Le prince de Montpensier était mal content de tout ce qui était arrivé sans qu’il en pût dire le sujet. Il trouvait mauvais que sa femme se fût trouvée dans ce bateau ; il lui semblait qu’elle avait reçu trop agréablement ces princes. Et ce qui lui déplaisait le plus était d’avoir remarqué que le duc de Guise l’avait regardée attentivement. Il en conçut dès ce temps-là, une jalousie si furieuse qu’elle le fit ressouvenir de l’emportement qu’il avait témoigné lors de son mariage, et il eut soupçon que, dès ce temps-là même, il en était amoureux.

Le chagrin que tous ses soupçons lui causèrent donna de mauvaises heures à la princesse de Montpensier. Le comte de Chabannes, selon sa coutume, prit soin d’empêcher qu’ils ne se brouillassent tout-à-fait afin de persuader par-là à la princesse combien la passion qu’il avait pour elle était sincère et désintéressée. Il ne put s’empêcher de lui demander l’effet qu’avait produit en elle la vue du duc de Guise. Elle lui apprit qu’elle en avait été troublée, par la honte du souvenir de l’inclination qu’elle lui avait autrefois témoignée ; qu’elle l’avait trouvé beaucoup mieux fait qu’il n’était en ce temps-là, et que même il lui avait paru qu’il voulait lui persuader qu’il l’aimait encore, mais elle l’assura en même temps que rien ne pouvait ébranler la résolution qu’elle avait prise de ne s’engager jamais.

Le comte de Chabannes fut très aise de ce qu’elle lui disait, quoique rien ne le pût rassurer sur le duc de Guise. Il témoigna à la princesse qu’il appréhendait pour elle que les premières impressions ne revinssent quelque jour, et il lui fit comprendre la mortelle douleur qu’il aurait pour son intérêt d’elle et le sien propre de la voir changer de sentiments. La princesse de Montpensier, continuant toujours son procédé avec lui, ne répondait presque pas à ce qu’il lui disait de sa passion, et ne considérait toujours en lui que la qualité du meilleur ami du monde, sans lui vouloir faire l’honneur de prendre garde à celle d’amant.
Les armées étant remises sur pied, tous les princes y retournèrent , et le prince de Montpensier trouva bon que sa femme s’en vînt à Paris pour n’être plus si proche des lieux où se faisait la guerre. Les huguenots assiégèrent Poitiers. Le duc de Guise s’y jeta pour la défendre et il y fit des actions qui suffiraient seules pour rendre glorieuse une autre vie que la sienne.
Ensuite la bataille de Moncontour se donna et le duc d’Anjou, après avoir pris Saint-Jean-d’Angely,  tomba malade et fut contraint de quitter l’armée soit par la violence de son mal ou par l’envie qu’il avait de revenir goûter le repos et les douceurs de Paris, où la présence de la princesse de Montpensier n’était pas la moindre qui l’y attirât. L’armée demeura sous le commandement du prince de Montpensier  et, peu de temps après, la paix étant faite, toute la cour se trouva à Paris. La beauté de la princesse effaça toutes celles qu’on avait admirées jusques alors ; elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne. Le duc d’Anjou ne changea pas en la revoyant les sentiments qu’il avait conçus pour elle à Champigny, et prit un soin extrême de les lui faire connaître par toutes sortes de soins et de galanteries, se ménageant toutefois à ne lui en pas donner des témoignages trop éclatants, de peur de donner de la jalousie au prince son mari. Le duc de Guise acheva d’en devenir violemment amoureux  et, voulant par plusieurs raisons tenir sa passion cachée, il se résolut de la déclarer d’abord à la princesse de Montpensier, pour s’épargner tous ces commencements qui font toujours naître le bruit et l’éclat. Étant un jour chez la reine à une heure où il y avait très peu de monde, et la reine s’étant retirée dans son cabinet pour parler au cardinale de Lorraine, la princesse arriva.
Ce duc se résolut de prendre ce moment pour lui parler, et, s’approchant d’elle : « Je vais vous surprendre, madame, lui dit-il, et vous déplaire, en vous apprenant que j’ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois, et qu’elle s’est si fort augmentée en vous revoyant, que votre sévérité, la haine de M.  de Montpensier pour moi et  la concurrence du premier prince du royaume, ne sauraient lui ôter un moment de sa violence. Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaître par mes actions que par mes paroles, mais, madame, mes actions l’auraient apprise à d’autres aussi bien qu’à vous, et je veux que vous sachiez seule que je suis assez hardi pour vous adorer. » La princesse fut d’abord si surprise et si troublée de ce discours, qu’elle ne songea pas à l’interrompre , mais ensuite, étant revenue à elle, et commençant à lui répondre, le prince de Montpensier entra. Le trouble et l’agitation étaient peints sur le visage de la princesse sa femme. La vue de son mari acheva de l’embarrasser, de sorte qu’elle lui en laissa plus entendre que le duc de Guise ne lui en venait de dire.
La reine sortit de son cabinet, et le duc se retira pour guérir la jalousie de ce prince. La princesse de Montpensier trouva, le soir, dans l’esprit de son mari tout le chagrin à quoi elle s’était attendue. Il s’emporta avec des violences épouvantables, et lui défendit de parler jamais au duc de Guise. Elle se retira bien triste dans son appartement, et bien occupée des aventures qui lui étaient arrivées ce jour-là. Le jour suivant, elle revit le duc de Guise chez la reine, mais il ne l’aborda pas, et se contenta de sortir un peu après elle, pour lui faire voir qu’il n’y avait que faire quand elle n’y était pas et il ne se passait point de jour qu’elle ne reçût mille marques cachées de la passion de ce duc, sans qu’il essayât de lui parler que lorsqu’il ne pouvait être vu de personne. Malgré toutes ces belles résolutions qu’elle avait faites à Champigny, elle commença à être persuadée de sa passion, et à sentir dans le fond de son cœur quelque chose de ce qui avait été autrefois. Le duc d’Anjou de son côté, qui n’oubliait rien pour lui témoigner sa passion en tous les lieux où il la pouvait voir, et qui la suivait continuellement chez la reine sa mère et la princesse sa sœur, en était traité avec une rigueur étrange et capable de guérir toute autre passion que la sienne.
On découvrit, en ce temps-là, que Madame, qui fut depuis la reine de Navarre, avait quelque attachement pour le duc de Guise, et ce qui le fit éclater davantage, ce fut le refroidissement qui parut du duc d’Anjou pour le duc de Guise. La princesse de Montpensier apprit cette nouvelle, qui ne lui fut pas indifférente, et qui lui fit sentir qu’elle prenait plus d’intérêt au duc de Guise qu’elle ne pensait. M. de Montpensier, son beau-père, épousant alors Mlle de Guise, sœur de ce duc, elle était contrainte de le voir souvent dans les lieux où les cérémonies des noces les appelaient l’un et l’autre. La princesse de Montpensier ne pouvant souffrir qu’un homme que toute la France croyait amoureux de Madame osât lui dire qu’il l’était d’elle, et se sentant offensée, et quasi affligée de s’être trompée elle-même, un jour que le duc de Guise la rencontra chez sa sœur un peu éloignée des autres, et qu’il lui voulut parler de sa passion, elle l’interrompit brusquement et lui dit d’un ton de voix qui marquait sa colère : « Je ne comprends pas qu’il faille, sur le fondement d’une faiblesse dont on a été capable à treize ans, avoir l’audace de faire l’amoureux d’une personne comme moi, et surtout quand on l’est d’une autre au su de toute la cour. »
 Le duc de Guise, qui avait beaucoup d’esprit et qui était fort amoureux, n’eut besoin de consulter personne pour entendre tout ce que signifiaient les paroles de la princesse, il lui répondit avec beaucoup de respect : « J’avoue madame, que j’ai eu tort de ne pas mépriser l’honneur d’être beau-frère de mon roi plutôt que de vous laisser soupçonner un moment que je pouvais désirer un autre cœur que le vôtre ; mais, si vous voulez me faire la grâce de m’écouter, je suis assuré de me justifier auprès de vous. » La princesse de Montpensier ne répondit point, mais elle ne s’éloigna pas, et le duc de Guise, voyant qu’elle lui donnait l’audience qu’il souhaitait, lui apprit que, sans s’être attiré les bonnes grâces de Madame par aucun soin, elle l’en avait honoré ; que, n’ayant nulle passion pour elle, il avait très-mal répondu à l’honneur qu’elle lui faisait, jusques à ce qu’elle lui eût donné quelque espérance de l’épouser ; qu’à la vérité, la grandeur où ce mariage pouvait l’élever l’avait obligé de lui rendre plus de devoirs et que c’était ce qui avait donné lieu au soupçon qu’ avaient eu le roi et le duc d’Anjou ; que la disgrâce de l’un ni de l’autre ne le dissuadait pas de son dessein, mais que, si ce dessein lui déplaisait il l’abandonnait dès l’heure même, pour n’y penser de sa vie.
Le sacrifice que le duc de Guise faisait à la princesse lui fit oublier toute la rigueur et toute la colère avec laquelle elle avait commencé à lui parler. Elle commença à raisonner avec lui de la faiblesse qu’avait eue Madame de l’aimer la première, de l’avantage considérable qu’il recevrait en l’épousant. Enfin, sans rien dire d’obligeant au duc de Guise, elle lui fit revoir mille choses agréables qu’il avait trouvées autrefois en Mlle de Mézières. Quoiqu’ils ne se fussent point parlé depuis si long-temps, ils se trouvèrent pourtant accoutumés ensemble et leurs cœurs se remirent aisément dans un chemin qui ne leur était pas inconnu. Ils finirent enfin cette conversation, qui laissa une sensible joie dans l’esprit du duc de Guise. La princesse n’en eut pas une petite de connaître qu’il l’aimait véritablement, mais, quand elle fut dans son cabinet, quelles réflexions ne fit-elle point sur la honte de s’être laissée fléchir si aisément aux excuses du duc de Guise, sur l’embarras où elle s’allait plonger en s’engageant dans une chose qu’elle avait regardée avec tant d’horreur, et sur les effroyables malheurs où la jalousie de son mari la pouvait jeter ! Ces pensées lui firent faire de nouvelles résolutions, qui se dissipèrent dès le lendemain par la vue du duc de Guise. Il ne manquait point de lui rendre un compte exact de ce qui se passait entre Madame et lui, la nouvelle alliance de leurs maisons leur donnait plusieurs occasions de se parler. Mais il n’avait pas peu de peine à la guérir de la jalousie que lui donnait la beauté de Madame, contre laquelle il n’y avait point de serment qui la pût rassurer, et cette jalousie lui servait à la princesse de Montpensier à défendre plus opiniâtrement le reste de son cœur contre les soins du duc de Guise, qui en avait déjà gagné la plus grande partie.
Le mariage du roi avec la fille de l’empereur Maximilien remplit la cour de fêtes et de réjouissances. Le roi fit un ballet, où dansaient Madame et toutes les princesses. La princesse de Montpensier pouvait seule lui disputer le prix de la beauté. Le duc d’Anjou dansait une entrée de Maures et le duc de Guise, avec quatre autres, était de son entrée : leurs habits étaient tous pareils, comme ont accoutumé de l’être les habits de ceux qui dansent une même entrée.
La première fois que le ballet se dansa, le duc de Guise, devant que de danser et n’ayant pas encore son masque, dit quelques mots en passant à la princesse de Montpensier. Elle s’aperçut bien que le prince son mari y avait pris garde, ce qui la mit en inquiétude et toute troublée, quelque temps après, voyant le duc d’Anjou avec son masque et son habit de Maure qui venait pour lui parler, elle crut que c’était encore le duc de Guise et, s’approchant de lui : « N’ayez des yeux ce soir que pour Madame, lui dit-elle ; je n’en serai point jalouse ; je vous l’ordonne, on m’observe, ne m’approchez plus. » Elle se retira sitôt qu’elle eut achevé ces paroles et le duc d’Anjou en demeura accablé comme d’un coup de tonnerre. Il vit dans ce moment qu’il avait un rival aimé. Il comprit par le nom de Madame que ce rival était le duc de Guise,  et il ne put douter que la princesse sa sœur ne fût le sacrifice qui avait rendu la princesse de Montpensier favorable aux vœux de son rival. La jalousie, le dépit et la rage se joignant à la haine qu’il avait déjà pour lui firent dans son âme tout ce qu’on peut imaginer de plus violent, et il eût donné sur l’heure quelque marque sanglante de son désespoir si la dissimulation qui lui était naturelle, ne fût venue à son secours, et ne l’eût obligé, par des raisons puissantes, en l’état qu’étaient les choses, à ne rien entreprendre contre le duc de Guise. Il ne put toutefois se refuser le plaisir de lui apprendre qu’il savait le secret de son amour  et l’abordant en sortant de la salle où l’on avait dansé : « C’est trop, lui dit-il, d’oser lever les yeux jusqu’à ma sœur et de m’ôter ma maîtresse. La considération du roi m’empêche d’éclater, mais souvenez-vous que la perte de votre vie sera peut-être la moindre chose dont je punirai quelque jour votre témérité. »
La fierté du duc de Guise n’était pas accoutumée à de telles menaces. Il ne put néanmoins y répondre parce que le roi, qui sortait en ce moment, les appela tous deux. Mais elles gravèrent dans son cœur un désir de vengeance qu’il travailla toute sa vie à satisfaire. Dès le même soir, le duc d’Anjou lui rendit toutes sortes de mauvais offices auprès du roi. Il lui persuada que jamais Madame ne consentirait à son mariage que l’on proposait alors avec le roi de Navarre, tant que l’on souffrirait que le duc de Guise l’approchât, et qu’il était honteux que ce duc, pour satisfaire sa vanité, apportât de l’obstacle à une chose qui devait donner la paix à la France.
Le roi avait déjà assez d’aigreur contre le duc de Guise  et ce discours l’augmenta si fort que le lendemain, que le roi voyant ce duc qui se présentait pour entrer au bal chez la reine, paré d’un nombre infini de pierreries mais plus paré encore de sa bonne mine, il se mit à l’entrée de la porte, et lui demanda brusquement où il allait. Le duc sans s’étonner lui dit qu’il venait pour lui rendre ses très humbles services, à quoi le roi répliqua qu’il n’avait pas besoin de ceux qu’il lui rendait et se tourna sans le regarder. Le duc de Guise ne laissa pas d’entrer dans la salle, outré, dans le cœur et contre le roi et contre le duc d’Anjou. Mais sa douleur augmenta sa fierté naturelle ; et, par une marque de dépit, il s’approcha beaucoup plus de Madame qu’il n’avait accoutumé, joint que ce que lui avait dit le duc d’Anjou de la princesse de Montpensier l’empêchait de jeter les yeux sur elle. Le duc d’Anjou les observait soigneusement l’un et l’autre et les yeux de cette princesse laissaient voir malgré elle quelque chagrin lorsque le duc de Guise parlait à Madame. Le duc d’Anjou, qui avait compris par ce qu’elle lui avait dit en le prenant pour le duc, qu’elle avait de la jalousie, espéra de les brouiller, et, se mettant auprès d’elle : « C’est pour votre intérêt, plutôt que pour le mien, madame, lui dit-il, que je m’en vais vous apprendre que le duc de Guise ne mérite pas que vous l’ayez choisi à mon préjudice. Ne m’interrompez point, je vous prie, pour me dire le contraire d’une vérité que je ne sais que trop. Il vous trompe, madame, et vous sacrifie à ma sœur comme il vous la sacrifie. C’est un homme qui n’est capable que d’ambition, mais, puisqu’il a eu le bonheur de vous plaire, c’est assez ; je ne m’opposerai pas à une fortune que je méritais sans doute mieux que lui, mais je m’en rendrais indigne, si je m’opiniâtrais davantage à la conquête d’un cœur qu’un autre possède. C’est trop de n’avoir pu attirer que votre indifférence : je ne veux pas y faire succéder la haine, en vous importunant plus longtemps de la plus fidèle passion qui fut jamais. » Le duc d’Anjou, qui était effectivement touché d’amour et de douleur, put à peine achever ces paroles, et, quoiqu’il eût commencé son discours dans un esprit de dépit et de vengeance, il s’attendrit, en considérant la beauté de cette princesse, et la perte qu’il faisait en perdant l’espérance d’en être aimé. De sorte que, sans attendre sa réponse, il sortit du bal, feignant de se trouver mal, et s’en alla chez lui rêver à son malheur.
La princesse de Montpensier demeura affligée et troublée, comme on se le peut imaginer ; de voir sa réputation et le secret de sa vie entre les mains d’un prince qu’elle avait maltraité et d’apprendre par lui, sans pouvoir en douter, qu’elle était trompée par son amant, étaient des choses peu capables de lui laisser la liberté d’esprit que demandait un lieu destiné à la joie. Il fallut pourtant y demeurer, et aller souper ensuite chez la duchesse de Montpensier sa belle-mère, qui la mena avec elle. Le duc de Guise, qui mourait d’impatience de lui conter ce qu’avait dit le duc d’Anjou le jour précédent, la suivit chez sa sœur. Mais quel fut son étonnement, lorsque, voulant entretenir cette belle princesse, il trouva qu’elle n’ouvrit la bouche que pour lui faire des reproches épouvantables, que le dépit lui faisait faire si confusément qu’il n’y pouvait rien comprendre, sinon qu’elle l’accusait d’infidélité et de trahison ! Désespéré de trouver une si grande augmentation de douleur où il avait espéré de se consoler de tous les siennes, et aimant cette princesse avec une passion qui ne pouvait plus le laisser vivre dans l’incertitude d’en être aimé, il se détermina tout d’un coup. « Vous serez satisfaite, madame, lui dit-il. Je m’en vais faire pour vous ce que toute la puissance royale n’aurait pu obtenir de moi. Il m’en coûtera ma fortune, mais c’est peu de chose pour vous satisfaire. » Et sans demeurer davantage chez la duchesse sa sœur, il s’en alla trouver à l’heure même les cardinaux ses oncles et, sur le prétexte du mauvais traitement qu’il avait reçu du roi, il leur fit voir une si grande nécessité pour sa fortune à ôter la pensée qu’on avait qu’il prétendait épouser Madame, qu’il les obligea à conclure son mariage avec la princesse de Portien, dont on avait déjà parlé, ce qui fut conclu et publié dès le lendemain.
Tout le monde fut surpris de ce mariage, et la princesse de Montpensier en fut touchée de joie et de douleur. Elle fut bien aise de voir par là le pouvoir qu’elle avait sur le duc de Guise, et elle fut fâchée en même temps de lui avoir fait abandonner une chose aussi avantageuse que le mariage de Madame.
Le duc de Guise, qui voulait que l’amour le récompensât de ce qu’il perdait du côté de la fortune, pressa la princesse de lui donner une audience particulière, pour s’éclaircir des reproches injustes qu’elle lui avait faits. Il obtint qu’elle se trouverait chez la duchesse de Montpensier sa sœur à une heure que la duchesse n’y serait pas, et qu’il s’y rencontrerait. Cela fut exécuté comme il avait été résolu. Le duc de Guise eut la joie de se pouvoir jeter à ses pieds, de lui parler en liberté de sa passion, et de lui dire ce qu’il avait souffert de ses soupçons. La princesse ne pouvait s’ôter de l’esprit ce que lui avait dit le duc d’Anjou, quoique le procédé du duc de Guise la dût absolument rassurer. Elle lui apprit le juste sujet qu’elle avait de croire qu’il l’avait trahie, puisque le duc d’Anjou savait ce qu’il ne pouvait avoir appris que de lui. Le duc de Guise ne savait par où se défendre, et était aussi embarrassé que la princesse de Montpensier à deviner ce qui avait pu découvrir leur intelligence.
Enfin, dans la suite de leur conversation, cette princesse lui faisant voir qu’il avait eu tort de précipiter son mariage avec la princesse de Portien et d’abandonner celui de Madame, qui lui était si avantageux, elle lui dit qu’il pouvait bien juger qu’elle n’en eût eu aucune jalousie, puisque, le jour du ballet, elle-même l’avait conjuré de n’avoir des yeux que pour Madame. Le duc de Guise lui dit qu’elle avait eu intention de lui faire ce commandement, mais que sa bouche ne l’avait pas exécuté. La princesse lui soutint le contraire. Enfin, à force de disputer et d’approfondir, ils trouvèrent qu’il fallait qu’elle se fût trompée dans la ressemblance des habits, et qu’elle-même eût appris au duc d’Anjou ce qu’elle-même accusait le duc de Guise de lui avoir dit.
Le duc de Guise, qui était presque justifié dans son esprit par son mariage, le fut entièrement par cette conversation. Cette belle princesse ne put refuser son cœur à un homme qui l’avait possédé autrefois et qui venait de tout abandonner pour elle. Elle consentit donc à recevoir ses vœux et lui permit de croire qu’elle n’était pas insensible à sa passion.
L’arrivée de la duchesse de Montpensier, sa belle-mère, finit cette conversation, et empêcha le duc de Guise de lui faire voir les transports de sa joie. Peu après, la cour s’en alla à Blois, où la princesse de Montpensier la suivit. Le mariage de Madame avec le roi de Navarre y fut conclu et le duc de Guise, ne connaissant plus de grandeur ni de bonne fortune que celle d’être aimé de la princesse, vit avec joie la conclusion de ce mariage qui l’aurait comblé de douleur dans un autre temps. Il ne pouvait si bien cacher son amour que la jalousie du prince de Montpensier n’en entrevît quelque chose, et, n’étant plus maître de son inquiétude, il ordonna à la princesse sa femme de s’en aller à Champigny pour se guérir de ses soupçons.
Ce commandement lui fut bien rude, mais il fallut l’exécuter. Elle trouva moyen de dire adieu en particulier au duc de Guise, mais elle se trouva bien embarrassée à lui donner des moyens sûrs pour lui écrire. Enfin, après avoir bien cherché, elle jeta les yeux sur le comte de Chabannes, qu’elle comptait toujours pour son ami, sans considérer qu’il était son amant. Le duc de Guise, qui savait à quel point ce comte était ami du prince de Montpensier, fut épouvanté qu’elle le choisît pour son confident ; mais elle lui répondit si bien de sa fidélité, qu’elle le rassura, et ce duc se sépara d’elle avec toute la douleur que peut causer l’absence d’une personne que l’on aime passionnément. Le comte de Chabannes, qui avait toujours été malade chez lui pendant le séjour de la princesse de Montpensier à la cour, sachant qu’elle s’en allait à Champigny, la vint trouver sur le chemin, pour s’y en aller avec elle. Il fut d’abord charmé de la joie que lui témoigna cette princesse de le voir, et plus encore de l’impatience qu’elle avait de le pouvoir entretenir. Mais quels fut son étonnement et sa douleur, quand il trouva que cette impatience n’allait qu’à lui conter qu’elle était passionnément aimée du duc de Guise, et qu’elle l’aimait pas moins ! Sa douleur ne lui permit pas de répondre ; mais cette princesse, qui était pleine de sa passion et qui trouvait un soulagement extrême à lui en parler, ne prit pas garde à son silence, et se mit à lui conter jusqu’aux plus petites circonstances de son aventure et lui dit comme le duc de Guise et elle étaient convenus de recevoir, par son moyen. Ce fut les lettres qu’ils devaient s’écrire. Ce fut le dernier coup pour le comte de Chabannes de voir que sa maîtresse voulait qu’il servît son rival, et qu’elle lui en faisait la proposition comme d’une chose naturelle, sans envisager le supplice où elle l’exposait. Il était si absolument maître de lui-même, qu’il lui cacha tous ses sentiments et lui témoigna seulement la surprise où il était de voir en elle un si grand changement. Il espéra d’abord que ce changement, qui lui ôtait toute espérance, lui ôterait infailliblement son amour. Mais il trouva cette princesse si belle, et sa grâce naturelle si augmentée par celle que lui avait donnée l’air de la cour, qu’il sentit qu’il l’aimait plus que jamais. Toutes les confidences qu’elle lui faisait sur la tendresse et sur la délicatesse de ses sentiments pour le duc de Guise lui faisaient voir le prix du cœur de cette princesse et lui donnaient un violent désir de le posséder. Comme sa passion était la plus extraordinaire du monde, elle produisit l’effet du monde le plus extraordinaire, car elle le fit résoudre de porter à sa maîtresse les lettres de son rival.
L’absence du duc de Guise donnait un chagrin mortel à la princesse de Montpensier, et, n’espérant de soulagement que par ses lettres, elle tourmentait incessamment le comte de Chabannes pour savoir s’il n’en recevait point, et se prenait quasi à lui de n’en avoir pas assez tôt. Enfin, il en reçut par un gentilhomme exprès et il les lui apporta à l’heure même pour ne lui pas retarder sa joie d’un moment.
La joie qu’elle eut de les recevoir fut extrême ; elle ne prit pas le soin de la lui cacher, et lui fit avaler à longs traits tout le poison imaginable, en lui lisant ses lettres, et la réponse tendre et galante qu’elle y faisait. Il porta cette réponse au gentilhomme, avec autant de fidélité qu’il avait fait la lettre, mais avec plus de douleur. Il se consola pourtant un peu, dans la pensée que cette princesse ferait quelque réflexion sur ce qu’il faisait pour elle, et qu’elle lui en témoignerait de la reconnaissance, mais la trouvant tous les jours plus rude pour lui par le chagrin qu’elle avait d’ailleurs, il prit la liberté de la supplier de penser un peu à ce qu’elle lui faisait souffrir. La princesse, qui n’avait dans la tête que le duc de Guise et qui ne trouvait que lui digne de l’adorer, trouva si mauvais qu’un autre mortel osât encore penser à elle qu’elle maltraita bien plus le comte de Chabannes qu’elle n’avait fait la première fois qu’il lui avait parlé de son amour.
Ce comte, dont la passion et la patience étaient aux dernières épreuves, sortit en même temps d’auprès d’elle et de Champigny et s’en alla chez un de ses amis dans le voisinage, d’où il lui écrivit avec toute la rage que pouvait lui causer son procédé, mais néanmoins avec tout le respect qui était dû à sa qualité, et par sa lettre, il lui disait un éternel adieu.
La princesse commença à se repentir d’avoir si peu ménagé un homme sur qui elle avait tant de pouvoir,  et ne pouvant se résoudre à le perdre à cause de l’amitié qu’elle avait pour lui et par l’intérêt de son amour pour le duc de Guise où il lui était nécessaire, elle lui manda qu’elle voulait absolument lui parler encore une fois et puis qu’elle le laisserait libre de faire ce qu’il lui voudrait. L’on est bien faible quand on est amoureux. Le comte revint, et en une heure la beauté de la princesse de Montpensier, son esprit et quelques paroles obligeantes le rendirent plus soumis qu’il n’avait jamais été, et il lui donna même des lettres du duc de Guise, qu’il venait de recevoir.
Pendant ce temps, l’envie qu’on eut à la cour d’y faire venir les chefs du parti huguenot pour cet horrible dessein qu’on exécuta le jour de la Saint-Barthélemy fit que le roi, pour les mieux tromper, éloigna de lui tous les princes de la maison de Bourbon et tous ceux de la maison de Guise. Le prince de Montpensier s’en revint à Champigny, pour achever d’accabler la princesse sa femme par sa présence, et tous princes de Guise s’en allèrent à la campagne, chez le cardinal de Lorraine leur oncle. L’amour et l’oisiveté mirent dans l’esprit du duc de Guise un si violent désir de voir la princesse de Montpensier que, sans considérer ce qu’il hasardait pour elle et pour lui, il feignit un voyage, et, laissant tout son train dans une petite ville, il prit avec lui ce seul gentilhomme qui avait déjà fait plusieurs voyages à Champigny et s’y en alla en poste. Comme il n’avait d’autre adresse que celle du comte de Chabannes, il lui fit écrire un billet par ce même gentilhomme qui le priait de le venir trouver en un lieu qu’il lui marquait. Le comte de Chabannes, croyant que c’était seulement pour recevoir des lettres du duc de Guise, alla trouver le gentilhomme, mais il fut étrangement surpris, quand il vit le duc de Guise, et n’en fut pas moins affligé. Ce duc, occupé de son dessein, ne prit non plus garde à l’embarras du comte que la princesse de Montpensier avait fait à son silence lorsqu’elle lui avait conté son amour, et il se mit à lui exagérer sa passion et à lui faire comprendre qu’il mourrait infailliblement s’il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir.
Le comte de Chabannes lui répondit seulement qu’il dirait à cette princesse tout ce qu’il souhaitait , et qu’il viendrait lui en rendre réponse. Le comte de Chabanne reprit le chemin de Champigny, combattu de ses propres sentiments avec une violence qui lui ôtait quelquefois toute sorte de connaissance. Souvent il résolvait de renvoyer le duc de Guise sans le dire à la princesse de Montpensier. Mais la fidélité exacte qu’il lui avait promise changeait sa résolution. Il arriva à Champigny sans savoir ce qu’il devait faire, et, apprenant que le prince de Montpensier était à la chasse, il alla droit à l’appartement de la princesse qui, le voyant avec toutes les marques d’une violente agitation, fit retirer aussitôt ses femmes pour savoir le sujet de ce trouble. Il lui dit, se modérant le plus qu’il lui fut possible, que le duc de Guise était à une lieue de Champigny, qui demandait à la voir. La princesse fit un grand cri à cette nouvelle, et son embarras ne fut guère moindre que celui du comte. Son amour lui présenta d’abord la joie qu’elle aurait de voir un homme qu’elle aimait si tendrement. Mais quand elle pensa combien cette action était contraire à sa vertu et qu’elle ne pouvait voir son amant qu’en le faisant entrer la nuit chez elle à l’insu de son mari, elle se trouva dans une extrémité épouvantable. Le comte attendait sa réponse comme une chose qui allait décider de sa vie ou de sa mort, mais, jugeant de son incertitude par son silence, il prit la parole pour lui représenter tous les périls où elle s’exposerait par cette entrevue, et, voulant lui faire voir qu’il ne lui tenait pas ce discours pour ses intérêts, il lui dit : « Si, après tout ce que je viens de vous représenter, madame, votre passion est la plus forte, et que vous vouliez voir le duc de Guise, que ma considération ne vous en empêche point, si celle de votre intérêt ne le fait pas. Je ne veux point priver de sa satisfaction une personne que j’adore ou être cause qu’elle cherche des personnes moins fidèles que moi pour se la procurer.
« Oui, madame, si vous le voulez, je vais quérir le duc de Guise dès ce soir, car il est trop périlleux de le laisser plus long-temps où il est, et je l’amènerai dans votre appartement. - Mais par où et comment ?, interrompit la princesse. -Ah ! madame, s’écria le comte, c’en est fait, puisque vous ne délibérez plus que sur les moyens. Il viendra, madame, ce bienheureux ; je l’amènerai par le parc. Donnez ordre seulement à celle de vos femmes à qui vous vous fiez qu’elle baisse, précisément à minuit, le petit pont-levis qui donne de votre antichambre dans le parterre, précisément à minuit, et ne vous inquiétez pas du reste. »
En achevant ces paroles, le comte de Chabannes se leva, et, sans attendre d’autre consentement de la princesse de Montpensier, il remonta à cheval et vint trouver le duc de Guise, qui l’attendait avec une violente impatience. La princesse de Montpensier demeura si troublée qu’elle demeura si troublée qu’elle demeura quelques temps sans revenir à elle. Son premier mouvement fut de faire rappeler le comte de Chabannes pour lui défendre d’amener le duc de Guise  mais elle n’en eut pas la force, et elle pensa que, sans le rappeler, elle n’avait qu’à ne point faire abaisser le pont. Elle crut qu’elle continuerait dans cette résolution, mais quand onze heures approchèrent, elle ne put résister à l’envie de voir un amant qu’elle croyait si digne d’elle, et instruisit une de ses femmes de tout ce qu’il fallait faire pour introduire le duc de Guise dans son appartement.
Cependant et ce duc et le comte de Chabannes approchaient de Champigny  dans un état bien différent. Le duc abandonnait son âme à la joie et à tout ce que l’espérance inspire de plus agréable, et le comte s’abandonnait à un désespoir et à une rage qui le poussa mille fois à donner de son épée au travers du corps de son rival.
Enfin ils arrivèrent au parc de Champigny, et laissèrent leurs chevaux à l’écuyer du duc de Guise  et, passant par des brèches qui étaient aux murailles, ils vinrent dans le parterre. Le comte de Chabannes, au milieu de son désespoir, avait conservé quelque rayon d’espérance que la princesse de Montpensier aurait revenir sa raison et qu’elle se serait résolue à ne point recevoir le duc de Guise. Quand il vit ce petit pont abaissé, ce fut alors qu’il ne put douter de rien, et ce fut alors qu’il fut tout prêt à se porter aux dernières extrémités. Mais venant à penser que, s’il faisait du bruit, il serait ouï apparemment du prince de Montpensier, dont l’appartement donnait sur ce même parterre, et que tout ce désordre tomberait ensuite sur la princesse de Montpensier, sa rage se calma à l’heure même, et il acheva de conduire le duc de Guise aux pieds de sa princesse. Il ne put se résoudre à être témoin de leur conversation, quoique la princesse lui témoignât le souhaiter, et qu’il l’eût bien souhaité lui-même. Il se retira dans un petit passage qui regardait du côté de l’appartement du prince de Montpensier, ayant dans l’esprit les plus tristes pensées qui aient jamais occupé l’esprit d’un amant.
Cependant, quelque peu de bruit qu’ils eussent fait en passant sur le pont, le prince de Montpensier, qui par malheur était éveillé dans ce moment, l’entendit, et fit lever un de ses valets de chambre pour voir ce que c’était. Le valet de chambre mit la tête à la fenêtre, et, au travers de l’obscurité de la nuit, il aperçut que le pont était abaissé. Il en avertit son maître, qui lui commanda en même temps d’aller dans le parc voir ce que ce pouvait être, et un moment après il se leva lui-même, étant inquiété de ce qu’il lui semblait avoir ouï marcher, et s’en vint droit à l’appartement de la princesse sa femme, où il savait que le pont venait répondre. Dans le moment qu’il approchait de ce petit passage où était le comte de Chabannes, la princesse de Montpensier, qui avait quelque honte de se trouver seule avec le duc de Guise, pria plusieurs fois le comte d’entrer dans sa chambre ; il s’en excusa toujours, et, comme elle l’en pressait davantage, possédé de rage et de fureur, il lui répondit si haut qu’il fut ouï du prince de Montpensier , mais si confusément qu’il entendit seulement la voix d’un homme, sans distinguer celle du comte. Une pareille aventure eût donné de l’emportement à un esprit plus tranquille et moins jaloux. Aussi mit-elle d’abord l’excès de la rage et de la fureur dans celui du prince, qui heurta aussitôt à la porte avec impétuosité et, criant pour se faire ouvrir, il donna la plus cruelle surprise qui ait jamais été à la princesse, au duc de Guise et au comte de Chabannes.
Ce dernier, entendant la voix du prince, vit d’abord qu’il était impossible de lui cacher qu’il n’y eût quelqu’un dans la chambre de la princesse sa femme, et la grandeur de sa passion lui montrant en un moment, que si le duc de Guise était trouvé, Mme de Montpensier aurait la douleur de le voir tuer à ses yeux et que la vie même de cette princesse ne serait pas en sûreté, il résolut, par une générosité sans exemple, de s’exposer pour sauver une maîtresse ingrate et un rival aimé, et, pendant que le prince de Montpensier donnait mille coups à la porte, il vint au duc de Guise qui ne savait quelle résolution prendre, et il le mit entre les mains de cette femme de madame de Montpensier qui l’avait fait entrer pour le faire ressortir par le même pont, pendant qu’il s’exposerait à la fureur du prince.
À peine le duc était sorti par l’antichambre, que le prince, ayant enfoncé la porte du passage, entra dans la chambre comme un homme possédé de fureur et qui cherchait des yeux sur qui la faire éclater. Mais quand il ne vit que le comte de Chabannes, et qu’il le vit appuyé sur la table, avec un visage où la tristesse était peinte, il demeura immobile lui-même et la surprise de trouver dans la chambre de sa femme l’homme qu’il aimait le mieux et qu’il aurait le moins cru y trouver le mit hors d’état de pouvoir parler.
La princesse était à demi évanouie sur des carreaux, et jamais peut-être la fortune n’a mis trois personnes en des états si violents.
Enfin, le prince de Montpensier, qui ne croyait pas ce qu’il voyait, et qui voulait éclaircir ce chaos où il venait de tomber, adressant la parole au comte, d’un ton qui faisait voir que l’amitié combattait encore pour lui : « Que vois-je, lui dit-il ? Est-ce une illusion ou une vérité ? Est-il possible qu’un homme que j’ai aimé si chèrement choisisse ma femme entre toutes les femmes du_ monde pour la séduire ? Et vous, madame, dit-il à la princesse, en se tournant de son côté, n’était-ce point assez de m’ôter votre cœur et mon honneur, sans m’ôter le seul homme qui me pouvait consoler de ces malheurs ? Répondez-moi l’un ou l’autre, leur dit-il, et éclaircissez-moi d’une aventure que je ne puis croire telle qu’elle me paraît. » La princesse n’était pas capable de répondre, et le comte de Chabannes ouvrit plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler. « Je suis criminel à votre égard, lui dit-il enfin, et indigne de l’amitié que vous avez eue pour moi, mais ce n’est de la manière que vous pouvez l’imaginer : je suis plus malheureux que vous, s’il se peut, et plus désespéré. Je ne saurais vous en dire davantage ; ma mort vous vengera, et si vous voulez me la donner tout à l’heure, vous me donnerez la seule chose qui peut m’être agréable. »
Ces paroles, prononcées avec une douleur mortelle et avec un air qui marquait son innocence, au lieu d’éclaircir le prince de Montpensier, lui persuadaient encore plus qu’il y avait quelque mystère dans cette aventure, qu’il ne pouvait démêler, et, son désespoir s’augmentant par cette incertitude : « Ôtez-moi la vie vous-même, lui dit-il, ou tirez-moi du désespoir où vous me mettez : c’est la moindre chose que vous devez à l’amitié que j’ai eue pour vous, et à la modération qu’elle me fait encore garder, puisque tout autre que moi aurait déjà vengé sur votre vie un affront dont je ne puis quasi douter. - Les apparences sont bien fausses, interrompit le comte. -Ah ! c’est trop, répliqua le prince de Montpensier; il faut que je me venge, et puis je m’éclaircirai à loisir. » En disant ces paroles, il s’approcha du comte de Chabannes avec l’action d’un homme emporté de rage, et la princesse, craignant un malheur, qui ne pouvait pourtant arriver, le prince son mari n’ayant point d’arme, se leva pour se mettre entre deux.
La faiblesse où elle était la fit succomber à cet effort et, en approchant de son mari, elle tomba évanouie à ses pieds. Le prince fut touché de la voir en cet état aussi bien que de la tranquillité où le comte était demeuré lorsqu’il s’était approché de lui et, ne pouvant plus soutenir la vue de ces deux personnes qui lui donnaient des mouvements si opposés, il tourna la tête de l’autre côté, et se laissa tomber sur le lit de sa femme, accablé d’une douleur incroyable. Le comte de Chabannes, pénétré de repentir d’avoir abusé d’une amitié dont il recevait tant de marques, et, ne trouvant pas qu’il pût jamais réparer ce qu’il venait de faire, sortit brusquement de la chambre, et, passant par l’appartement du prince dont il trouva les portes ouvertes, descendit dans la cour, se fit donner des chevaux, et s’en alla dans la campagne, guidé par son seul désespoir. Cependant, le prince, qui voyait que la princesse ne revenait point de son évanouissement, la laissa entre les mains de ses femmes, et se retira dans sa chambre avec une douleur mortelle.
Le duc de Guise, qui était sorti heureusement du parc, sans savoir quasi ce qu’il faisait, tant il était troublé, s’éloigna de Champigny de quelques lieues, mais il ne put s’éloigner davantage, sans savoir des nouvelles de la princesse. Il s’arrêta dans une forêt et envoya son écuyer pour apprendre du comte de Chabannes ce qui était arrivé de cette terrible aventure.
L’écuyer ne trouva point le comte de Chabannes, et il sut seulement qu’on disait que la princesse était extraordinairement malade. L’inquiétude du duc de Guise ne fut qu’augmentée par ce qu’il apprit de son écuyer ; mais sans la pouvoir soulager, il fut contraint d’aller retrouver ses oncles, pour ne pas donner du soupçon par un plus long voyage.
L’écuyer du duc de Guise lui avait rapporté la vérité en lui disant que Mme de Montpensier était extrêmement malade. Car il était vrai que, sitôt que ses femmes l’eurent mise dans son lit, la fièvre lui prit si violente et avec des rêveries si horribles que dès le second jour l’on craignit pour sa vie. Le prince feignit d’être malade, afin qu’on ne s’étonnât de ce qu’il n’entrait point dans sa chambre.
L’ordre qu’il reçut de s’en retourner à la cour, où l’on rappelait tous les princes catholiques pour exterminer les huguenots, le tira de l’embarras où il était et il s’en alla à Paris, ne sachant ce qu’il avait à souhaiter ou à craindre du mal de la princesse sa femme. Il n’y fut pas sitôt arrivé, qu’on commença d’attaquer les huguenots en la personne d’un de leurs chefs, l’amiral de Châtillon, et, deux jours après, on fit cet horrible massacre si renommé par toute l’Europe.
Le pauvre comte de Chabannes, qui s’était venu cacher dans l’extrémité de l’un des faubourgs de Paris pour s’abandonner à sa douleur, fut enveloppé dans la ruine des huguenots. Les personnes chez qui il s’était retiré l’ayant reconnu, et s’étant souvenues qu’on l’avait soupçonné d’être de ce parti le massacrèrent cette même nuit qui fut si funeste à tant de gens.
Le matin, le prince de Montpensier, allant donner quelques ordres hors la ville, passa dans la même rue où était le corps de Chabannes. Il fut d’abord saisi d’étonnement à ce pitoyable spectacle. Ensuite, son amitié se réveillant lui donna de la douleur ; mais enfin le souvenir de l’offense qu’il croyait en avoir reçue lui donna de la joie, et il fut bien aise de se voir vengé par les mains par la fortune.
Le duc de Guise, occupé du désir de venger la mort de son père et, peu après, joyeux de l’avoir vengée, laissa peu à peu éloigner de son âme le soin d’apprendre des nouvelles de la princesse de Montpensier, et, trouvant la marquise de Noirmoutier, personne de beaucoup d’esprit, de beauté, et qui donnait plus d’espérance que cette princesse, il s’y attacha entièrement et l’aima jusques à la mort.
Cependant, après que le mal de madame de Montpensier fut venu au dernier point, il commença à diminuer. La raison lui revint, et, se trouvant un peu soulagée par l’absence du prince son mari, elle donna quelque espérance de sa vie. Sa santé revenait pourtant avec grand-peine, par le mauvais état de son esprit , qui fut travaillé de nouveau, se souvenant de n’avoir eu aucune nouvelle du duc de Guise pendant toute sa maladie. Elle s’enquit de ses femmes si elles n’avaient vu personne, si elles n’avaient point de lettres, et, ne trouvant rien de ce qu’elle eût souhaité, elle se trouva la plus malheureuse du monde, d’avoir tout hasardé pour un homme qui l’abandonnait.
Ce lui fut encore un nouvel accablement d’apprendre la mort du comte de Chabannes, qu’elle sut bientôt par les soins du prince son mari.
L’ingratitude du duc de Guise lui fit sentir plus vivement la perte d’un homme dont elle connaissait si bien la fidélité. Tant de déplaisirs si pressants la remirent bientôt dans un état aussi dangereux que celui dont elle était sortie : et, comme madame de Noirmoutier était une personne qui prenait autant de soin de faire éclater ses galanteries que les autres en prennent de les cacher, celles du duc de Guise et d’elle étaient si publiques, que, toute éloignée et toute malade qu’était la princesse de Montpensier, elle les apprit de tant de côtés, qu’elle n’en put douter.
Ce fut le coup mortel pour sa vie : elle ne put résister à la douleur d’avoir perdu l’estime de son mari, le cœur de son amant, et le plus parfait ami qui fut jamais. Elle mourut en peu de jours, dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la plus heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions.







samedi 1 septembre 2018

PROGRAMME TERMINALE L

Classe terminale de la série littéraire

Programme de littérature pour l'année scolaire 2018-2019

NOR : MENE1808374N
note de service n° 2018-047 du 18-4-2018
MEN - DGESCO MAF 1


Texte adressé aux rectrices et recteurs d'académie ; aux vice-rectrices et vice-recteurs ; au directeur du Siec d'Île-de-France ; aux inspectrices et inspecteurs d'académie-inspectrices et inspecteurs pédagogiques régionaux de lettres ; aux proviseures et proviseurs ; aux professeures et professeurs de lettres
Références : arrêté du 12-7-2011 

Pour l'année scolaire 2018-2019, la liste des œuvres obligatoires inscrites au programme de littérature de la classe terminale de la série littéraire est la suivante :
A. Domaine d'étude « Littérature et langages de l'image »
Œuvres
- Madame de Lafayette, La Princesse de Montpensier, 1662 (édition au choix du professeur)
- Bertrand Tavernier, La Princesse de Montpensier, film français, 2010 (édition au choix du professeur).
Le programme de l'enseignement de littérature en classe terminale de la série littéraire (arrêté du 12 juillet 2011 publié au Bulletin officiel de l'éducation nationale spécial n° 8 du 13 octobre 2011) indique que le travail sur le domaine « Littérature et langages de l'image » doit« conduire les élèves vers l'étude précise des liens et des échanges qu'entretiennent des formes d'expression artistiques différentes ».L'inscription au programme de la nouvelle de Madame de Lafayette, La Princesse de Montpensier (1662), et du film de Bertrand Tavernier (2010) met en jeu les relations entre littérature et langage cinématographique, ici envisagées sous l'angle de l'adaptation. La lecture croisée des deux œuvres, recourant aux outils d'analyse adéquats, permettra aux élèves de les apprécier « dans la double perspective de leur singularité et de leur intertextualité ».
Première œuvre publiée, anonymement, par Madame de Lafayette, La Princesse de Montpensier est aussi parmi les premières nouvelles françaises. Rompant avec l'invraisemblance des romans héroïques, l'auteur puise dans l'histoire de la fin du XVIe siècle la matière première de ce court récit qui met en scène, dans un style épuré proche de la chronique, des événements et des personnages le plus souvent réels. Mais tout en prenant appui sur une base historique soigneusement documentée, l'intrigue se déroule dans les marges de l'histoire, empruntant à « l'histoire particulière » des figures ou épisodes mal connus du passé que l'écriture romanesque recrée, développe, voire invente, afin de donner à voir une vérité moins historique que morale. À travers le destin tragique d'une jeune femme qui, déchirée entre son devoir et sa passion amoureuse, préfigure les grandes héroïnes raciniennes autant que La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette montre en effet le danger que représentent les passions dans un monde qui, strictement codifié par les règles de bienséance, condamne toute femme qui leur aurait sacrifié sa « vertu » et sa « prudence ».
Le film de Bertrand Tavernier s'attache « à respecter [les] passions que décrivait Madame de Lafayette, à suivre leur progression, mais aussi à mettre à nu ces émotions, en trouver le sens, les racines, la vérité profonde, charnelle » (1). Il transpose ainsi doublement le langage de la nouvelle, puisque l'adaptation cinématographique se fonde sur une interprétation de la langue classique de Madame de Lafayette. Dans un double geste d'épure et d'amplification, le réalisateur libère le texte de son imprégnation janséniste et précieuse pour en développer les implicites et les non-dits. Le scénario s'écrit dans les blancs d'un récit dont il comble les ellipses pour restituer en pleine lumière une réalité historique et morale que l'esthétique classique édulcorait, et ainsi projeter le texte, par-delà les siècles, dans notre modernité. À travers le destin exemplaire de Marie de Montpensier, le film montre la vérité à la fois émotionnelle et charnelle de la passion qui, du XVIe au XXIe siècles, garde la même force de contestation de l'ordre établi. À l'insoumission de la jeune femme répond, dans l'adaptation cinématographique, celle du comte de Chabannes, personnage secondaire du récit dont l'itinéraire moral devient le fil conducteur du film où il incarne, en référence aux grands humanistes du XVIe siècle, la lutte contre l'ignorance et le fanatisme religieux. Le film de Bertrand Tavernier montre ainsi que, déliée des contraintes de la bienséance, la nouvelle de Mme de Lafayette est porteuse d'une réflexion très actuelle, mais qui prend sa source dans la Renaissance, sur l'aspiration légitime de l'individu à la liberté, face à toutes les formes de coercition sociale, morale ou idéologique.
Le professeur aura soin d'inscrire chacune des deux œuvres dans son contexte socioculturel et artistique spécifique, afin de favoriser leur dialogue mais aussi leur confrontation. Il veillera notamment à faire percevoir aux élèves l'importance que revêt la prise en compte de la réception de l'œuvre dans l'acte créateur.
Quelques ressources pour les professeurs
- Madame de Lafayette, Œuvres complètes (édition établie, présentée et annotée par Camille Esmein-Sarrazin), Paris, NRF, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 2014.
Sur Madame de Lafayette et La Princesse de Montpensier
- Cuénin, Micheline (introduction et édition critique de), Histoire de la Princesse de Montpensier sous le règne de Charles IXème Roi de France et Histoire de la Comtesse de Tende, Genève, Librairie Droz, 1979.
- Goldsmith, Elizabeth, « Les lieux de l'histoire dans La Princesse de Montpensier », in XVIIe siècle, n° 181, oct.-déc. 1993 : « Autour de Madame de Lafayette », pp.705-715.
- Giorgi, Giorgetto, « Forme narrative longue, forme narrative brève : le cas de Mme de Lafayette », in Littératures classiques, n° 49, 2003, pp. 371-383.
- Virmaux, Odette, Les Héroïnes romanesques de Madame de Lafayette (La Princesse de Montpensier, La Princesse de Clèves, La Comtesse de Tende), Paris, Klincksieck, « Femmes en littérature », 1981.
- Dejean, Joan, « De Scudéry à Lafayette : la pratique et la politique de la collaboration littéraire dans la France du XVIIe siècle », in XVIIe siècle, n° 181, op.cit., pp. 673-685.
- Gérard-Chieusse, Sophie, Madame de Lafayette et la préciosité, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2001.
- Godenne, René, Histoire de la nouvelle française aux XVIIe et XVIIIe siècles, Genève, Droz, 1970.
- Grand, Nathalie, Le Roman au XVIIe siècle, Paris, Bréal, coll. « Amphi lettres », 2015.
- Zonza, Christian, La Nouvelle historique en France à l'âge classique (1657-1703), Paris, Honoré Champion, 2007.
Sur Bertrand Tavernier et La Princesse de Montpensier
- Tavernier, Bertrand, avant-propos de La Princesse de Montpensier (un film de Bertrand Tavernier suivi de la nouvelle de Madame de Lafayette), Paris, Flammarion, 2010.
Le Cinéma dans le sang (entretiens avec Noël Simsolo), Paris, Écriture, coll. « entretiens », 2011, et notamment les pages 146, 194-195, 259, 270, 275.
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/bertrand-tavernier-raconte-le-tournage-de-la-princesse-de-montpensier_892297.html
- Morice, Jacques, une critique du film à lire sur http://www.telerama.fr/cinema/films/la-princesse-de-montpensier,410517.php
- Nuttens, Jean-Dominique, Bertrand Tavernier (Film après film, le parcours d'un cinéaste humaniste et en prise avec son temps), Rome, Gremese, 2009 (anthologie commentée de la filmographie de Tavernier jusqu'en 2009).
- Raspiengeas, Jean-Claude, Bertrand Tavernier, Paris, Flammarion, 2001.
B. Domaine d'étude « Lire-écrire-publier »
Œuvre
- Victor Hugo, Hernani, 1830 (édition au choix du professeur)
Le programme de l'enseignement de littérature en classe terminale de la série littéraire (arrêté du 12 juillet 2011 publié au Bulletin officiel de l'éducation nationale spécial n° 8 du 13 octobre 2011) précise que le travail sur le domaine « Lire-écrire-publier » doit amener les élèves à « une compréhension plus complète du fait littéraire, en les rendant sensibles, à partir d'une œuvre, et pour contribuer à son interprétation, à son inscription dans un ensemble de relations, qui intègrent les conditions de sa production comme celles de sa réception et de sa diffusion. ». L'inscription au programme limitatif d'œuvres d'Hernani de Victor Hugo permet d'étudier la pièce de théâtre et la fameuse « bataille » qui l'accompagne depuis sa création à la Comédie-Française au début de l'année 1830.
En effet, Hernani est à la fois une œuvre, publiée chez Mame et Delaunay-Vallée le 9 mars 1830, et un événement littéraire, depuis sa création quelques jours plus tôt. La date mythique de sa première représentation est aujourd'hui un repère dans l'histoire du théâtre et du romantisme, qui résonne presque comme une victoire militaire : « C'était le 25 février 1830, le jour d'Hernani, une date qu'aucun romantique n'a oubliée et dont les classiques se souviennent peut-être, car la lutte fut acharnée de part et d'autre », écrira Théophile Gautier dans le Moniteur universel le 25 juin 1867 à l'occasion d'une reprise. Entre le brouhaha et les vivats, la première est un triomphe : Hugo est parvenu à s'imposer sur la scène du théâtre, étape décisive en 1830 pour qui veut compter dans le monde littéraire. Le scandale, empêchant les représentations, ne s'installera que progressivement dans les semaines qui suivent, probablement au fur et à mesure que la « claque » romantique laisse les classiques occuper le terrain de la bataille.
Pourtant, la pièce est loin d'être esthétiquement aussi révolutionnaire que ce qu'en disent les romantiques a posteriori : les règles et la hiérarchie des genres sont remises en cause dès le XVIIIe siècle, le goût classique est contesté depuis la Révolution, et le drame bourgeois a ouvert une voie dans laquelle Hugo s'inscrit, avec d'autres. La critique littéraire condamne néanmoins avec véhémence la présence dans la pièce d'éléments matériels, corporels ou triviaux qui heurtent les spectateurs, mais aussi les irrégularités rythmiques ou l'emphase de certains passages. Avec ces choix dramaturgiques et poétiques, Hugo invente aussi un nouveau public et ouvre le théâtre à une autre société, qu'il juge plus représentative de son temps, et fait de la scène un espace de débat esthétique, mais aussi très politique.
Or, l'auteur, après la censure de Marion Delorme en 1829, a le souci de préparer la réception de sa nouvelle pièce. Malgré l'autorisation d'Hernani, des fuites dans la presse sont organisées pour créer le scandale, des parodies circulent avant même la première. Pour faire face, Hugo mobilise la jeunesse romantique, prépare son « armée » et engage une « bataille » : « celle des idées, celle du progrès. C'est une lutte en commun. Nous allons combattre cette vieille littérature crénelée, verrouillée. » 
Dès lors, la création d'Hernani devient un événement littéraire dont le public est partie prenante. Les spectateurs sont eux-mêmes en costume et jouent un rôle dans la représentation. La bataille prend cette forme parce qu'elle est intimement liée au texte de la pièce lui-même. La pièce comme la bataille ont une dimension héroïque forte, elles mettent en scène l'opposition entre les générations et célèbrent la jeunesse, elles conjuguent toutes deux l'épique et le trivial. Quelques mois avant la Révolution de Juillet et la fin de la Restauration, Hernani sonne comme un appel à la libéralisation de l'Art et revendique haut et fort la vigueur de la Littérature et du romantisme. Et voici la bataille convertie en légende romantique.
Au format « poche », les éditions proposent dans les annexes des documents divers concernant la réception de la pièce et la « bataille ». Il appartient éventuellement au professeur de les compléter par les textes et les documents utiles à son projet (articles de presse ou encore récits de témoins : Théophile Gautier, Adèle Hugo, Alexandre Dumas,  notamment).
Quelques ressources pour les professeurs
Sur le texte, sa représentation et la bataille
- Evelyn Blewer, La Campagne d'Hernani, édition du manuscrit du souffleur, Eurédit, 2002
- Jean Gaudon, Victor Hugo et le théâtre, « La Bataille d'Hernani », Eurédit, 2008
- Florence Naugrette, Le Théâtre romantique, « Une première mythique », Éditions du Seuil, 2001
- Myriam Roman, « La "bataille" d'Hernani racontée au XIXe siècle : pour une version romantique de la "querelle" », dans Qu'est-ce qu'un événement littéraire au XIXe siècle ?, 1. Faire événement, sous la direction de Corinne Saminadayar-Perrin, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2008
- Agnès Spiquel, « La Légende de la bataille d'Hernani », dans Quel scandale !, sous la direction de Marie Dollé, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Culture et Société », 2006
- Agnès Spiquel et Myriam Roman, « Hernani, récits de bataille », 2006, contribution du groupe Hugo : http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo/06-12-16RomanSpiquel.htm
- Anne Ubersfeld, Le Roman d'Hernani, Mercure de France, 1985
Sur la réception par les contemporains
- Alexandre Dumas, articles publiés dans La Presse en août 1852 consacrés à Hugo et publiés en volume la même année ; disponibles dans Mémoires, Éditions Robert Laffont, « Bouquins », 1989
- Théophile Gautier, Victor Hugo, Honoré Champion, 2000 (choix de textes par Françoise Court-Perez) Id., Histoire du romantisme, 1872
- Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, Lacroix, 1863 (publication par Anne Ubserfeld et Guy Rosa, Victor Hugo racontée par Adèle Hugo, Plon, 1985)
- « Journal de l'acteur Joanny », « Documents divers autour d'Hernani », Œuvres complètes de Victor Hugo, édition chronologique sous la direction de Jean Massin, Le Club français du livre, tome III, 1967
- Dossier Gallica : http://gallica.bnf.fr/blog/01012013/la-bataille-dhernani-dans-gallica

(1) Bertrand Tavernier, avant-propos de La Princesse de Montpensier (un film de Bertrand Tavernier, suivi de la nouvelle de Madame de Lafayette), Paris, Flammarion, 2010.