Séquence
IV bis / Groupement de textes. 1re
L
Les
dénouements de Médée
«
Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille
ans
qu'il
y a des hommes et qui pensent.
La
Bruyère, Caractères,
« Des ouvrages de l'esprit »
|
|
Objet d'étude | Les réécritures du XVIIe siècle à nos jours. |
Problématique |
Comment
les auteurs représentent-ils le crime de Médée au cours des
siècles ? Quelles questions et quels enjeux pose ce dénouement
en fonction des époques et des auteurs ?
|
Objectifs de connaissances |
Comprendre
l'évolution du mythe à travers l'histoire :
Qui
est la Médée d'Euripide dans la Grèce du Ve siècle avant J.-C.
?
Que
devient-elle plus tard, à Rome, lorsque Sénèque, philosophe
Stoïcien et précepteur de Néron s'en empare ? Qu'en fait la
plume de Pierre Corneille, dramaturge français, dans la première
partie du XVIIe siècle ? Comment évolue-t-elle encore avec
Anouilh en 1946 qui la fait vivre dans une roulotte, Max Rouquette
en 2003 qui la peint comme une "sorcière aux mains rouges",
Laurent Gaudé avec Médé
Kali à
la fois Méduse et Kali et enfin Christa Wolf et sa Médé
: Voix (1997)
qui fait de Médée une victime totalement innocente du crime
d'infanticide. |
Lectures analytiques |
1)
Euripide, Médée (431
av. J.-C.)
2)
Sénéque, Médée (65 après J.-C.)
3)
Pierre Corneille, Médée (1635)
4)
José Maria de Hérédia, "Jason et Médée"
5)
Jean Anouilh, Médée (1946)
6)
Laurent Gaudé, Médée kali (2003)
7)
Max Rouquette, Médée (2003)
8)
Christa
Wolf, Médée :
Voix
(1946) |
Textes complémentaires |
Thomas
Corneille et Marc-Antoine Charpentier, Médée(deux
versions)
Ovide, Les Héroïdes,
« Epitre XII », lettre de Médée à JasonLa Fontaine, « Epître à Huet » (1687) |
Iconographie |
Médée
s'apprêtant à tuer ses enfants, Villa
des Dioscures
Bernard Safran, Medea (1964) |
Activités de classe |
Écrit
d'invention :Lettre de Médée à Jason avant le crime.
Dans cette lettre, Médée rend
responsable Jason du drame qui va suivre en raison de son
infidélité.
Dissertation :
L’héroïne
tragique, un personnage ambigu. Vous suivrez le fil directeur
(problématique) suivant : dans quelle mesure peut-on dire
que l’héroïne tragique vient perturber les représentations
habituelles que le lecteur se fait du héros ?Mémorisation de "Jason et Médée" VIDEO : Opéra de Marc Antoine Charpentier & Thomas Corneille, Médée (en totalité) Médée, film de Pier Paolo Pasolini avec Maria Callas (extrait) |
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Médée, figure féminine tragique
Ce nom de Médée, issu du verbe grec mêdomai, qui signifie méditer, indique l'idée d'une aptitude à raisonner chez ce personnage.Petite-fille du dieu du Soleil, Médée est magicienne ; exilée dans sa fuite après avoir volé la fameuse Toison d'Or avec Jason ; répudiée ensuite par ce dernier, elle sera considérée comme sorcière et redoutée comme telle.
Intuitive et instruite par les astres, Médée comprend son destin, elle s'en empare de tout son être, accomplissant en conscience les actes pour lesquels elle est incarnée.
Médée s’apprêtant à tuer ses enfants (Pompéi, Villa des Dioscures)
Cette peinture médite, pré-médite, se tient en « embuscade dans le visible » de façon vraiment sublime. Elle est incroyablement pensive, méditante, parce que son image absente un peu à la façon d’Isaac par Abraham) s’approfondit d’une autre image qu’elle devance. La fresque anticipe ainsi, sans même la représenter, . Il y a aussi une dernière image qui « pré-médite ». Elle pré-médite une action qui est, elle aussi, absente. Elle a comme protagoniste une figure que Quignard aime beaucoup : Médéa. L’écrivain choisit encore une fresque de la Casa dei Dioscuri. Il s’agit de Médéa Méditante. L’image représente la matricide, ses deux fils (Merméros et Phérès) mais aussi l’enfant qu’elle porte dans son ventre (Mèdeia). Tragos, le précepteur de ses enfants, est également présent. Quignard souligne le fait que, dans cette fresque, il y a une scène manquante. En particulier, il y a une action qui n’est pas encore accomplie, mais qui est en train d’être pensée : Bien sûr, soudain, elle va les tuer – mais on ne la voit pas tuer. Bien sûr, aussitôt après, elle soulèvera sa tunique ; elle écartera ses cuisses ; avec son épée elle nettoiera l’intérieur de sa vulve de toute trace du troisième enfant qu’elle conçu de Jason – mais on ne voit rien de ce qui va advenir. Les éléments qui pré-annoncent la préméditation de Médée sont plusieurs : la femme tient une épée dans la main, Tragos « guette la scène qui va avoir lieu » , Merméros et Phérès « jouent aux osselets qu’ils sont en train de devenir ». Alors, selon Quignard, « L’image voit ce qui manque », tout comme « Le mot nomme ce qui fut » . L’écrivain fait une telle distinction entre l’écriture et la peinture : si l’écriture est quelque chose de limité, fini, un instrument fonctionnel à décrire des actions accomplies dans l’image, par contre : « L’image, elle, appartient encore au monde vivant ; elle est biologique ; elle vit avant la fin ; elle est indicielle, elle erre dans la puissance prémotrice de l’action ». En particulier, Quignard souligne comment : « Les fresques romaines ne songent même pas illustrer l’action d’un récit qui leur serait préalable. Elles font émerger ce qui va suivre peut-être l’instant qui est encore en instance (to gignomenon) ». Les images que Quignard prend en examen contiennent ainsi une image qui manque, une action inachevée. Le sens de l’art réside selon lui justement dans cette absence. Il observe à ce propos : L’art cherche quelque chose qui n’est pas là. On songe à la devise de Victor Hugo, dont il avait couvert les murs de Guernesey. Absentes adsunt. (Les absents sont présents. Les morts sont là.) Si le désir est l’appétit de voir l’absent, l’art voit l’absent . L’émotion qui dérive du texte naît alors à partir de quelque chose qui n’est pas là, mais qui existe parce que c’est notre esprit qui le conçoit et qui complète la scène observée. Mais alors, « Comment l’image, à l’intérieur de l’image, voit-elle absente ? » , se demande Quignard. Il essaie d’expliquer cela grâce à d’autres exemples : En français on appelle « nouvelle lune » la lune qui manque dans le ciel. C’est étrange. […] On ne voit rien, on voit la lune absente dans le ciel, et on dit : « Elle est neuve ». […]
Tragos, le précepteur des deux enfants, Merméros et Phérès, observe la scène. Nous sommes quelques minutes avant le crime. Il semble calme et pensif, peut-être qu'une légère inquiétude se laisse deviner. Mais que peut-il faire ? Que pourrait-il faire pour tout arrêter ? Il va bientôt partir, faussement rassuré, et le drame va se produire.
Pascal QUIGNARD, Medea (2011) : prologue, incipit, excipit. Dans l’eau du ventre ils se dépliaient, ils touchaient, ils exploraient, appuyant le pied sur un point d’élan ils gravitaient, ils tournaient et se retournaient, ils dansaient presque. Tout à coup ils dansent vraiment : tout à coup ils surgissent dans la lumière dans le froid dans l’air ils tombent, ils s’effondrent dans la décoordination, dans la non motricité, dans la défaillance musculaire. Ils font sous eux. Ils ne sont plus des fœtus, ils sont devenus des enfants. Ils ne nagent plus dans l’eau nourrissante de celle-qui-est-sans-nom-dans-leur-mère-avant-leur-mère. Ils sont tombés sur la terre. L’air envahit tout leur corps comme une tempête. Médée méditante. Les mots sont vivants. « Med » est la racine du nom de Médée. Du nom de Médée, trois mots en latin, en italien, en français, dérivent encore. Midi. Médecine. Méditer. Médée est midi. Médée est la petite fille du soleil. Le soleil à son plus haut définit midi. C’est le moment le plus brillant du jour. C’est le point le plus haut du parcours de l’astre dans le ciel. Enfin c’est le moment le plus visible du temps. Le mot de médecine vient de Médée la magicienne. Les « médecines » de « Médée », ce sont les onguents, les oints, les christs, les baumes, tout ce qui permet à « Médée » de re-méditer. Enfin Médée est celle qui médite (meditari), qui pré-médite, qui voit à l’avance, qui voit en songe. De même que le mot de méditation procède du nom même de Médée, de même se tient derrière Médée la Magna Mater, la Grande Mère de la montagne, Mèter Oreia. Elle est la chamane qui voit, à l’intérieur d’elle-même, ce qui monte et va surgir. En dormant, elle s’est retournée et son petit est mort. La mère, celle qui a soin des medea du père, celle qui garde dans son ventre les semences qui proviennent des medea du père, celle qui a soin des tout petits enfants qui sortent de son sexe, peut aussi bien, dans un mouvement inverse, tout à coup, se retournant simplement sur elle-même, d’un coup de rein, non pas les nourrir de son lait, mais empoisonner leur existence, non pas les sauvegarder mais, anéantir. En dormant, elle s’est retournée, et son petit est mort. Dormiens, eum oppressit. Elle s’est retournée, elle l’a opprimé, elle a oppressé son souffle, et il est mort. Car celle qui, dans la société humaine, a l’unique pouvoir de reproduire la société humaine, celle qui a l’unique pouvoir de la naissance, du temps, du soleil, de la fécondité, du sang mensuel, de la vie, possède, dans un mouvement inverse, tout à coup, se retournant simplement sur elle-même, d’un coup de rein, la toute puissance de la mort, du désert stérile, de l’esseulement, du désespoir, du sang mortel, de la nuit. Alors, Salomon tendit son épée aux deux mères et leur demanda de découper l’enfant. |
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