jeudi 22 février 2018

Séquence 5 bis L : Les réécritures / LES FINS DE DON JUAN / 1re L / Nikolaus Lenau, Don Juan (1844)


A la fin du poème dramatique de l’écrivain romantique allemand Lenau, apparaît Don Pet (personnage grotesque : Pet= Pedro= Pierre), accompagné par toutes les maîtresses et des bâtards de Don Juan. Don Pet provoque Don Juan en duel . Ce dernier décide alors, avant de se battre, de coucher sur son testament ses 1003 maîtresses .

Nikolaus Lenau, Don Juan (1844)


DON JUAN , à Don Pedro : je dépose entre vos mains de chevalier mon testament, exécutez-le après ma mort. Quoique j'ai toujours oublié d'épargner, il m'est pourtant resté des biens en excédent. Pour chaque nom mentionné sur la liste il y a un legs dans ce testament et chaque legs est d'un si fort montant qu'il permet d'entretenir largement femme et enfant. Pour que ce relevé ne provoque aucun doute, je l'ai pourvu d'un sceau et d'une signature. Je n'ai pas négligé le vieux Catalinon, désormais il pourra lui-même tenir valet.
Il regarde la liste.
CATALINON, réprimant ses larmes : Quelle farce joue encore mon seigneur ! Il fait comme s'il allait succomber en duel et pourtant son adversaire meurt dans tous les cas, je vois déjà clos ses petits yeux si fiers. Qui veut battre Don Juan, le grand bretteur, devra être quelqu'un d'autre que ce médiocre et saugrenu adversaire de Ulloa, le fiston de Don Gonzalo de Ulloa, ce blanc-bec au menton velouté, à l'esprit frocard, à pattes d'araignée, avec une voix comme le chant des cigales, cette perche sèche et allongée, si svelte à la façon d'une potence que l'un de nous, s'il était justement hépatique et désespéré, pourrait se pendre en s'accrochant à lui.
DON JUAN (lisant la liste, à part lui)
Souvenirs, dames autrefois aimées! desséchées jusqu’à la fleur dernière, jadis céleste musique ce qui à présent est un mot insipide. Que les choses se fanent donc vite, et les noms! Encore une fois le souvenir me fait passer de l’une à l’autre de ces gracieuses dames.Coutume pleine de sens que de sacrifier tous les ans sur l’autel des dieux les premiers-nés. Qu’elle est aimable, la première verdure des feuilles, le premier parfum, le premier chant d’une journée printanière ! qu’il est délicieux en mer près du lointain rivage, le premier coup d’œil sur la terre désirée! Les premières couronnes de la gloire sont aussi les plus brillantes, c’est le premier baiser qui donne l’ivresse la plus douce. S’il est encore dans l’au-delà un ciel, il doit lui aussi être au plus beau à sa frontière. C’est pourquoi l’on pouvait nommer ce qu’il y a de plus doux dans l’amour le premier effleurement d’une passion nouvelle. La tristesse provenant de ce que d’anciens enchantements se dissolvent rehausse l’attrait et la force du nouveau bonheur. Pourquoi faut-il que la source la plus riche tarisse! Oh! si nous pouvions mourir en chaque plaisir et renaissant avec un cœur rajeuni, nous précipiter au devant de délices toujours nouvelles!
(A Don Pedro.)
Voulez-vous prendre charge de ce document et l’exécuter ?
DON PEDRO
Sur ma parole de chevalier! par égard pour les délaissées.
DON JUAN (lui tendant le document)
C’est bien! Montrez maintenant si vous possédez l’art de l’escrime. Que vous êtes une mazette, je vais vous le prouver.(Ils se battent.)
DON JUAN
Vraiment, vous êtes ce pour quoi je vous ai pris. Trois fois déjà j’aurais facilement pu vous percé le cœur, ce cœur si plein de haine, mais si mal protégé, si je me servais plus sérieusement de mon épée. Voici touché -encore touché – et encore! Vous versez bien du sang sur mes planches. En maints endroits je vous ai mis en perce, mais je ne vous fais en jouant que des piqûres légères. Don Pedro, par ma foi, je ne me suis jamais senti plus à l’abri que devant votre attaque. Le duel avec vous, je l’appelle jeu d’enfant. Oui, votre escrime est de tout repos.
DON PEDRO
Inflige-moi la mort, non ces petites saignées. Ne me fais pas d’affront, homme exécré! Au combat le diable seul peut te vaincre. Pousse ferme, que je ne puisse plus te voir!
DON JUAN
Mon ennemi mortel est livré entre mes mains. Mais cela même m’indiffère, comme la vie tout entière.
(Il jette son épée, Don Pedro le transperce).
                                                                          NIKOLAUS LENAU (1802-1850), Don Juan (1844) fin, (trad. W. Thomas).

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