Edmond Rostand, La Dernière nuit de Don Juan (1922)
Edmond
Rostand, La
Dernière nuit de Don Juan,
écrite
en 1911 et créée en mars 1922
DON JUAN Pas
d'excuse ! Je meurs, du moins, les poings fermés.
Sans t'avoir supplié !... L'Enfer ! J'en suis avide !
LE DIABLE au
Pauvre. Traîne-moi jusqu'ici ce beau costume vide
Où chacun glissera
son rêve...
DON JUAN
Hein ?
LE DIABLE
Tu vas voir
Quel drôle de petit enfer tu vas avoir !
DON JUAN L'enfer des
monstres... de Néron... d'Héliogabale?
LE DIABLE
Non ! un petit enfer de toile qu'on trimbale.
DON JUAN Le guignol
?... Je veux être un damné !
LE DIABLE
Tu seras
Une marionnette, et tu ressasseras
L'adultère éternel dans un carré bleuâtre.
DON JUAN
Grâce ! l'éternel feu !
LE DIABLE
Non! l'éternel théâtre!
DON JUAN Je ne veux
pas...
LE DIABLE, au
Pauvre.
Viens sur le sac me l'étrangler!
DON JUAN, [se
débattant entre les mains du Pauvre.] ... Aller dans le
guignol... Je ne veux pas aller...
LE DIABLE à Don Juan.
Viens aux doigts des montreurs abdiquer ta personne !
DON JUAN Dans
le guignol !
LE DIABLE
Nous commençons ! La cloche sonne !
Asseyez-vous toutes les femmes, sur le sol !
DON JUAN
Je ne veux pas aller dans le guignol !
LE DIABLE, au
Pauvre. Traîne-le jusqu'ici !
DON JUAN
Non, pas cette guérite !
Le grand cercle de feu que mon orgueil mérite !
LE PAUVRE Allons !
DON JUAN
Je veux souffrir ! Je n'ai jamais souffert !
J'ai gagné mon enfer ! J'ai droit à mon enfer !
LE DIABLE L'enfer
est où je veux, c'est moi qui le situe :
Certains hommes fameux le font dans leur statue ;
Tu
le feras dans ton pantin !
DON JUAN
En te bravant.
Du moins ! Le
marbre est mort, le pantin est vivant !
Il faudra
là-dedans, quand même…
LE DIABLE
Que tu brilles ?
DON JUAN Oui, je les
ferai rire encor...
LE DIABLE
Qui donc ?
DON JUAN
Les filles !
Je les amuserai sous les yeux des
parents !
L'OMBRE BLANCHE Toi
qui pouvais remplir les destins les plus grands !
DON JUAN
Je chanterai, frappant d'un bâton des poupées...
L'OMBRE BLANCHE Toi
qui pouvais tenir les plus grandes épées !
DON JUAN Je
chanterai : « C'est moi... »
L'OMBRE BLANCHE
Ah ! Ma larme s'éteint !
DON JUAN «
C'est moi le fameux Burl... »
LE PAUVRE [le
poussant dans le guignol.] Assez !
LE DIABLE
Sois donc pantin.
Homme qui veux te recréer à mon
image !
DON JUAN
[apparaissant dans le guignol, en marionnette.]
Le fameux Burlador !... Burlador... »
L'OMBRE BLANCHE,
[avec un désespoir infini.] Quel dommage!
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