Chateaubriand,
Atala
(1801)
Au
matin de leur premier jour dans la mission du père Aubry, alors que
Chactas part visiter le village et rencontrer les indiens convertis
qui l’accueillent, Atala avale un poison mortel. À leur
retour, Chactas et le père Aubry trouvent Atala mourante. Ils ne
peuvent que recueillir ses dernières paroles : elle leur
explique la raison secrète de son geste : promise par sa mère
au célibat et à la chasteté, elle a préféré mourir que
d’enfreindre son serment.
Ici
la voix d’Atala s’éteignit ; les ombres de la mort se
répandirent autour de ses yeux et de sa bouche ; ses doigts errants
cherchaient à toucher quelque chose ; elle conversait tout bas avec
des esprits invisibles. Bientôt,
faisant un effort, elle essaya, mais en vain, de détacher de son cou
le petit crucifix ; elle me pria de le dénouer moi-même, et elle me
dit :
« Quand
je te parlai pour la première fois, tu vis cette croix briller à la
lueur du feu sur mon sein ; c’est le seul bien que possède Atala.
Lopez, ton père et le mien, l’envoya à ma mère, peu de jours
après ma naissance. Reçois donc de moi cet héritage, ô mon frère,
conserve-le en mémoire de mes malheurs. Tu auras recours à ce Dieu
des infortunés dans les chagrins de ta vie. Chactas, j’ai une
dernière prière à te faire. Ami, notre union aurait été courte
sur la terre, mais il est après cette vie une plus longue vie. Qu’il
serait affreux d’être séparée de toi pour jamais! Je ne fais que
te devancer aujourd’hui, et je te vais attendre dans l’empire
céleste. Si tu m’as aimée, fais-toi instruire dans la religion
chrétienne, qui préparera notre réunion. Elle fait sous tes yeux
un grand miracle cette religion, puisqu’elle me rend capable de te
quitter, sans mourir dans les angoisses du désespoir. Cependant,
Chactas, je ne veux de toi qu’une simple promesse, je sais trop ce
qu’il en coûte, pour te demander un serment. Peut-être ce vœu te
séparerait-il de quelque femme plus heureuse que moi... O ma mère,
pardonne à ta fille. O Vierge, retenez votre courroux. Je retombe
dans mes faiblesses, et je te dérobe, ô mon Dieu, des pensées qui
ne devraient être que pour toi ! »
Navré
de douleur, je promis à Atala d’embrasser un jour la religion
chrétienne. A ce spectacle, le Solitaire se levant d’un air
inspiré, et étendant les bras vers la voûte de la grotte : « Il
est temps, s’écria-t-il, il est temps d’appeler Dieu ici ! »
A
peine a-t-il prononcé ces mots, qu’une force surnaturelle me
contraint de tomber à genoux, et m’incline la tête au pied du lit
d’Atala. Le prêtre ouvre un lieu secret où était renfermée une
urne d’or, couverte d’un voile de soie ; il se prosterne et adore
profondément. La grotte parut soudain illuminée ; on entendit dans
les airs les paroles des anges et les frémissements des harpes
célestes ; et lorsque le Solitaire tira le vase sacré de son
tabernacle, je crus voir Dieu lui-même sortir du flanc de la
montagne.
Le
prêtre ouvrit le calice ; il prit entre ses deux doigts une hostie
blanche comme la neige, et s’approcha d’Atala, en prononçant des
mots mystérieux. Cette sainte avait les yeux levés au ciel, en
extase. Toutes ses douleurs parurent suspendues, toute sa vie se
rassembla sur sa bouche ; ses lèvres s’entrouvrirent, et vinrent
avec respect chercher le Dieu caché sous le pain mystique. Ensuite
le divin vieillard trempe un peu de coton dans une huile consacrée ;
il en frotte les tempes d’Atala, il regarde un moment la fille
mourante, et tout à coup ces fortes paroles lui échappent :
« Partez, âme chrétienne: allez rejoindre votre Créateur! »
Relevant alors ma tête abattue, je m’écriai, en regardant le vase
où était l’huile sainte : « Mon père, ce remède
rendra-t-il la vie à Atala? » « Oui, mon fils, dit le
vieillard en tombant dans mes bras, la vie éternelle! » Atala
venait d’expirer.
Chateaubriand,
Atala
(1801)
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