Séquence 3 : Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe siècle à nos jours.
Œuvre intégrale. Victor Hugo, Hernani, Acte I , scène 1, vers 1 à 32
Doña
Josefa Duarte, vieille, en noir,avec le corps de sa jupe cousu de
jais à la mode d'Isabelle-la-catholique ; Don Carlos. Une chambre à
coucher. La nuit. Une lampe sur une table.
DOÑA
JOSEPHA, seule.
Elle
ferme les rideaux cramoisis de la fenêtre et met en ordre quelques
fauteuils. On frappe à une petite porte dérobée à droite.
Elle
écoute. On frappe un second coup.
Serait-ce
déjà lui.
Un
nouveau coup.
C'est
bien à l'escalier
Dérobé.
Un
quatrième coup.
Vite,
ouvrons.
Elle
ouvre la petite porte masquée. Entre don Carlos, le manteau sur le
visage et le chapeau sur les yeux.
Bonjour,
beau cavalier.
Elle
l'introduit. Il écarte son manteau, et laisse voir un riche costume
de velours et de soie à la mode castillane de 1519. Elle le
regarde sous le nez et recule.
Quoi
! Seigneur Hernani, ce n'est pas vous ! — Main forte !
Au
feu !
DON
CARLOS, lui saisissant le bras.
Deux
mots de plus, duègne, vous êtes morte !
Il la regarde fixement. Elle
se tait effrayée.
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Suis-je
chez doña Sol ? Fiancée au vieux duc
De
Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable
et jaloux ? Dites ! La belle adore
Un
cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et
reçoit tous les soirs, malgré les envieux ,
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Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je
bien informé ?
Elle
se tait. Il la secoue par le bras.
— Vous
répondrez peut-être.
DOÑA
JOSEPHA.
Vous
m'avez défendu de dire deux mots, maître.
DON
CARLOS.
Aussi
n'en veux-je qu'un. — Oui, non. — Ta dame est bien
Doña
Sol De Silva ? Parle.
DOÑA
JOSEPHA.
Oui.
— Pourquoi ?
DON
CARLOS.
Pour
rien.
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Le
duc, son vieux futur, est absent à cette heure ?
DOÑA
JOSEPHA.
Oui.
DON
CARLOS.
Sans
doute elle attend son jeune ?
DOÑA
JOSEPHA.
Oui.
DON
CARLOS.
Que
je meure !
DOÑA
JOSEPHA.
Oui.
DON
CARLOS.
Duègne,
c'est ici qu'aura lieu l'entretien ?
DOÑA
JOSEPHA.
Oui.
DON
CARLOS.
Cache-moi
céans.
DOÑA
JOSEPHA.
Vous
?
DON
CARLOS.
Moi.
DOÑA
JOSEPHA.
Pourquoi
?
DON
CARLOS.
Pour
rien.
DOÑA
JOSEPHA.
Moi,
vous cacher !
DON
CARLOS.
Ici.
DOÑA
JOSEPHA.
Jamais.
DON
CARLOS, tirant de sa ceinture un
poignard et une bourse.
Daignez,
madame,
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Choisir de cette bourse ou bien
de cette lame.
DOÑA
JOSEPHA, prenant la bourse.
Vous
êtes donc le diable ?
DON
CARLOS.
Oui,
duègne.
DOÑA
JOSEPHA, ouvrant une armoire étroite
dans le mur.
Entrez
ici.
DON
CARLOS, examinant l'armoire.
Cette
boîte ?
DOÑA
JOSEPHA, refermant l'armoire.
Va-t'en,
si tu n'en veux pas.
DON
CARLOS, rouvrant l'armoire.
Si
!
L'examinant
encore.
Serait-ce
l'écurie où tu mets d'aventure
Le
manche du balai qui te sert de monture ?
Il s'y blottit avec
peine.
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Ouf !
DOÑA
JOSEPHA, joignant les mains avec
scandale.
Un
homme ici !
DON
CARLOS, dans l'armoire restée
ouverte.
C'est
une femme, est-ce pas,
Qu'attendait
ta maîtresse ?
DOÑA
JOSEPHA.
Ô
ciel ! j'entends le pas
De
doña Sol. — Seigneur, fermez vite la porte.
Elle pousse la porte de
l'armoire qui se referme.
DON
CARLOS, de l'intérieur de l'armoire.
Si
vous dites un mot, duègne, vous êtes morte.
DOÑA
JOSEPHA, seule.
Qu'est
cet homme ? Jésus mon Dieu ! si j'appelais ?...
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Qui ? Hors madame et moi, tout dort dans le palais.
Bah
! l'autre va venir. La chose le regarde.
Il
a sa bonne épée, et que le ciel nous garde
De
l'enfer !
Pesant la bourse.
Après
tout, ce n'est pas un voleur.
Entre
doña Sol, en blanc. Doña Josefa cache la bourse.
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Après avoir vu sa pièce de théâtre, Marion de Lorme, refusée par la censure de Brifaut, sous le gouvernement de Charles X, Victor Hugo écrit une nouvelle pièce du 29 août au 24 septembre 1829. Il l’intitule Hernani en souvenir d’une ville espagnole où il passa enfant. Cette pièce est reçue par acclamation à la Comédie-Française et réussit son passage à la censure. Brifaut espère que le public s’en chargera. Le 25 février 1830 est le jour de la première. Dans la salle, deux camps se font face : d’une part les jeunes romantiques emmenés par Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Vigny, Nerval et d’autres, de l’autre un public plus âgé, habitué à la tragédie classique. Hernani expose la convoitise de trois hommes pour une femme Dona Sol. « Tres para una » était le premier sous-titre envisagé par Hugo. De ces trois hommes : le vieux Don Ruy Gomes, oncle et futur époux de Dona Sol, Don Carlos, sorte de Dom Juan et accessoirement roi d’Espagne, seul Hernani, le bandit trouve grâce aux yeux de Dona Sol. Don Carlos entre en scène dans la scène 1, Hernani dans la scène 2 et Don Ruy dans la scène 3. La scène 1 est la scène d’exposition, « elle doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver » écrit Corneille dans son traité du discours dramatique. Il s’agit donc de fournir toutes les informations nécessaires à la compréhension de l’intrigue, de procurer une entrée la plus immédiate possible dans l’action déjà en cours et de captiver le spectateur/lecteur afin de lui donner envie de connaître la suite. Dans quelle mesure la scène 1 de l’acte I d’Hernani, qui est un dialogue animé entre don Carlos, dont l’identité est masquée, et la duègne, dona Josepha, remplit-elle la fonction classique de la scène d’exposition ? En quoi est-elle originale ? Nous verrons tout d’abord comment les fonctions de cette scène d’exposition sont remplies puis ensuite nous insisterons sur sa spécificité.
I Une scène d’exposition classique :
a) situation :lieu, nom des personnages
b)intrigue : trois prétendants, dévoilement et horizon d’attente
c) registre comique : caractère, situation et mots
II Originalité
a) la langue : alexandrin désarticulé, prosaïsme de la langue
b) atmosphère mystérieuse : rendez-vous nocturne, porte et escalier dérobé, personnage déguisé
c) un roi dom Juan
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