samedi 24 novembre 2018

3e Séquence Victor Hugo, Hernani (1830) Texte 1 : scène d'exposition Acte I, scène 1


Séquence 3 : Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe siècle à nos jours.

 Œuvre intégrale. Victor Hugo, Hernani, Acte I , scène 1, vers 1 à 32

Doña Josefa Duarte, vieille, en noir,avec le corps de sa jupe cousu de jais à la mode d'Isabelle-la-catholique ; Don Carlos. Une chambre à coucher. La nuit. Une lampe sur une table.
DOÑA JOSEPHA, seule.
Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenêtre et met en ordre quelques fauteuils. On frappe à une petite porte dérobée à droite.
Elle écoute. On frappe un second coup.
Serait-ce déjà lui.
Un nouveau coup.
C'est bien à l'escalier
Dérobé.
Un quatrième coup.
Vite, ouvrons.

Elle ouvre la petite porte masquée. Entre don Carlos, le manteau sur le visage et le chapeau sur les yeux.

Bonjour, beau cavalier.

Elle l'introduit. Il écarte son manteau, et laisse voir un riche costume de velours et de soie à la mode castillane de 1519. Elle le regarde sous le nez et recule.

Quoi ! Seigneur Hernani, ce n'est pas vous ! — Main forte !
Au feu !
DON CARLOS, lui saisissant le bras.
Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte ! Il la regarde fixement. Elle se tait effrayée.
5 Suis-je chez doña Sol ? Fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? Dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux ,
10 Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ? Elle se tait. Il la secoue par le bras.
Vous répondrez peut-être.

DOÑA JOSEPHA.
Vous m'avez défendu de dire deux mots, maître.

DON CARLOS.
Aussi n'en veux-je qu'un. — Oui, non. — Ta dame est bien
Doña Sol De Silva ? Parle.

DOÑA JOSEPHA.
Oui. — Pourquoi ?

DON CARLOS.
Pour rien.
15 Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure ?

DOÑA JOSEPHA.
Oui.

DON CARLOS.
Sans doute elle attend son jeune ?

DOÑA JOSEPHA.
Oui.

DON CARLOS.
Que je meure !

DOÑA JOSEPHA.
Oui.

DON CARLOS.
Duègne, c'est ici qu'aura lieu l'entretien ?

DOÑA JOSEPHA.
Oui.
DON CARLOS.
Cache-moi céans.
DOÑA JOSEPHA.
Vous ?

DON CARLOS.
Moi.
DOÑA JOSEPHA.
Pourquoi ?

DON CARLOS.
Pour rien.

DOÑA JOSEPHA.
Moi, vous cacher !

DON CARLOS.
Ici.

DOÑA JOSEPHA.
Jamais.
DON CARLOS, tirant de sa ceinture un poignard et une bourse.
Daignez, madame,
20 Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.

DOÑA JOSEPHA, prenant la bourse.
Vous êtes donc le diable ?

DON CARLOS.
Oui, duègne.

DOÑA JOSEPHA, ouvrant une armoire étroite dans le mur.
Entrez ici.

DON CARLOS, examinant l'armoire.
Cette boîte ?

DOÑA JOSEPHA, refermant l'armoire.
Va-t'en, si tu n'en veux pas.

DON CARLOS, rouvrant l'armoire.
Si ! L'examinant encore.
Serait-ce l'écurie où tu mets d'aventure
Le manche du balai qui te sert de monture ? Il s'y blottit avec peine.
25 Ouf !

DOÑA JOSEPHA, joignant les mains avec scandale.
Un homme ici !

DON CARLOS, dans l'armoire restée ouverte.
C'est une femme, est-ce pas,
Qu'attendait ta maîtresse ?

DOÑA JOSEPHA.
Ô ciel ! j'entends le pas
De doña Sol. — Seigneur, fermez vite la porte. Elle pousse la porte de l'armoire qui se referme.

DON CARLOS, de l'intérieur de l'armoire.
Si vous dites un mot, duègne, vous êtes morte.

DOÑA JOSEPHA, seule.
Qu'est cet homme ? Jésus mon Dieu ! si j'appelais ?...
30 Qui ? Hors madame et moi, tout dort dans le palais.
Bah ! l'autre va venir. La chose le regarde.
Il a sa bonne épée, et que le ciel nous garde
De l'enfer ! Pesant la bourse.
Après tout, ce n'est pas un voleur.

Entre doña Sol, en blanc. Doña Josefa cache la bourse.


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 Après avoir vu sa pièce de théâtre, Marion de Lorme, refusée par la censure de Brifaut, sous le gouvernement de Charles X, Victor Hugo écrit une nouvelle pièce du 29 août au 24 septembre 1829. Il l’intitule Hernani en souvenir d’une ville espagnole où il passa enfant. Cette pièce est reçue par acclamation à la Comédie-Française et réussit son passage à la censure. Brifaut espère que le public s’en chargera. Le 25 février 1830 est le jour de la première. Dans la salle, deux camps se font face : d’une part les jeunes romantiques emmenés par Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Vigny, Nerval et d’autres, de l’autre un public plus âgé, habitué à la tragédie classique. Hernani expose la convoitise de trois hommes pour une femme Dona Sol. « Tres para una » était le premier sous-titre envisagé par Hugo. De ces trois hommes : le vieux Don Ruy Gomes, oncle et futur époux de Dona Sol, Don Carlos, sorte de Dom Juan et accessoirement roi d’Espagne, seul Hernani, le bandit trouve grâce aux yeux de Dona Sol. Don Carlos entre en scène dans la scène 1, Hernani dans la scène 2 et Don Ruy dans la scène 3. La scène 1 est la scène d’exposition, « elle doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver » écrit Corneille dans son traité du discours dramatique. Il s’agit donc de fournir toutes les informations nécessaires à la compréhension de l’intrigue, de procurer une entrée la plus immédiate possible dans l’action déjà en cours et de captiver le spectateur/lecteur afin de lui donner envie de connaître la suite. Dans quelle mesure la scène 1 de l’acte I d’Hernaniqui est un dialogue animé entre don Carlos, dont l’identité est masquée, et la duègne, dona Josepha, remplit-elle la fonction classique de la scène d’exposition ? En quoi est-elle originale ? Nous verrons tout d’abord comment les fonctions de cette scène d’exposition sont remplies puis ensuite nous insisterons sur sa spécificité.

I Une scène d’exposition classique :
a) situation :lieu, nom des personnages
b)intrigue : trois prétendants, dévoilement et horizon d’attente
c) registre comique : caractère, situation et mots

II Originalité
a) la langue : alexandrin désarticulé, prosaïsme de la langue
b) atmosphère mystérieuse : rendez-vous nocturne, porte et escalier dérobé, personnage déguisé
c) un roi dom Juan

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