Victor
Hugo, préface de Cromwell
Le drame doit tout englober, toute
la vie. Mais il n’est pas « un miroir qu’on promène sur
les chemins », ce n’est pas du réalisme. Toute la vie, mais
la vie accentuée dans ses malheurs et bonheurs. Victor
Hugo
parle du prisme qui grossit les choses :
« La poésie de notre temps est
donc le drame ; le caractère du drame est le réel ; le
réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le
sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se
croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la
poésie
complète, est dans l’harmonie des contraires. »
Sur le mélange du laid et du
beau : « Tout dans la création n’est pas humainement
beau, le laid y existe à côté du beau, le difforme près du
gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien,
l’ombre avec la lumière »
Ce que l’on peut reprocher à la
tragédie classique, c’est de raconter au lieu de montrer :
« Tout ce qui est trop
caractéristique, trop intime, trop local, pour se passer dans
l’antichambre ou dans le carrefour se passe dans la coulisse. Nous
ne voyons en quelque sorte sur
le théâtre que les coudes de l’action ; ses mains sont
ailleurs. Au lieu de scènes, nous avons des récits ; au lieu
de tableaux, des descriptions. De graves personnages, placés entre
le drame et nous, viennent nous raconter ce qui se fait dans le
temple, dans le palais, dans la place publique, de façon que
souventes fois nous sommes tentés de crier : « Vraiment !
Mais conduisez-nous donc là-bas!On s’y doit bien amuser, cela doit
être beau à voir ! »
Sur le lieu de l’action qui doit
être exact, et le nécessaire abandon de l’unité de lieu :
«La
localité exacte est un des premiers éléments de la réalité. Le
lieu où telle catastrophe s’est passée en devient un témoin
terrible et inséparable ; et l’absence de cette sorte de
personnage muet décompléterait dans le drame les plus grandes
scènes de l’histoire. » « Le
poète oserait-il brûler Jeanne d’Arc autre part que dans le
vieux-marché ? »
Sur l’unité de temps qu’il faut
aussi abandonner :
« Toute
action a sa durée propre comme son lieu particulier. »
« C’est
ainsi qu’on a borné l’essor de nos plus grands poètes. C’est
avec les ciseaux des unités qu’on leur a coupé l’aile. »
Seule l’unité d’action doit
être conservée : « l’unité d’action, la seule
admise de tous parce qu’elle résulte d’un fait : l’œil
ni l’esprit humain ne sauraient saisir plus d’un ensemble à la
fois. »
« L’unité
d’action ne répudie en aucune façon les actions secondaires sur
lesquelles doit s’appuyer l’action principale. Il faut seulement
que ces parties, savamment subordonnées au tout, gravitent sans
cesse vers l’action centrale et se groupent autour d’elle aux
différents étages ou plutôt sur les divers plans du drame. »
Le drame n’est pas réaliste :
« On doit donc reconnaître, sous peine de l’absurde, que le
domaine de l’art et celui de la nature sont parfaitement
distincts. » « Le théâtre est un point d’optique.
Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire, dans la vie,
dans l’homme, tout doit et peut s’y réfléchir, mais sous la
baguette magique de l’art. » Plus loin, Victor
Hugo
continue la métaphore de l’optique : « Le vers est la
forme optique de la pensée. »
Victor Hugo est un adepte du parler
vrai avec un contre-exemple : « Comment tolérer des
rois et des reines qui jurent ? C’est ainsi que le roi du
peuple, nettoyé par M.Legouvé, a vu son ventre-saint-gris chassé
honteusement de sa bouche et qu’il a été réduit comme la jeune
fille du fabliau, à ne plus laisser tomber de cette bouche royale
que des perles, des rubis et des saphirs ; le tout faux, à la
vérité. »
Victor Hugo veut maintenir
l’alexandrin contre l’avis des réformateurs : « Nous
vou[l]ons
un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout
exprimer sans recherche ; passant d’une naturelle allure de la
comédie à la tragédie, du sublime au grotesque ; tour à tour
positif et poétique, tout ensemble artiste et inspiré, profond
et soudain, large et vrai »
Sur la césure mobile : « [un
vers]
sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa
monotonie d’alexandrin »
Sur l’enjambement : «
[un
vers]plus
ami de l’enjambement qui l’allonge que de l’inversion qui
l’embrouille »
Sur la rime : « [un
vers]
fidèle à la rime, cette esclave reine, cette suprême grâce de
notre poésie, ce générateur de notre mètre ; inépuisable
dans la variété de ses tours, insaisissable dans ses secrets
d’élégance et de facture »
et pour conclure : « Il
nous semble que ce vers-là serait bien aussi
beau que de la prose »
et « L’idée, trempée
dans le vers, prend soudain quelque chose de plus incisif et de plus
éclatant. C’est le fer qui devient acier »
Sur la nécessité d’écrire au
XIXe siècle la langue du XIXe siècle : « Toute époque
a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à
ces idées. Les langues sont comme la mer, elles oscillent sans
cesse. Les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où
elles se fixent, c’est qu’elles meurent. »
Victor Hugo veut « la liberté
en art contre le despotisme des systèmes, des codes et des
règles. »
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