mercredi 5 juin 2019

5e séquence : Education de Gargantua

Séquence 5 François Rabelais, « L’éducation de Gargantua », XXI, Gargantua (1534)


Ensuite, il lui imposa un tel rythme d’études qu’il ne perdait pas un moment de la journée, mais passait tout son temps à étudier les Lettres et le savoir utile.
Gargantua se réveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu’on l’astiquait, on lui lisait une page de la divine Ecriture, à haute et intelligible voix et avec une diction claire ; mission confiée à un jeune page de Basché1, nommé Anagnostes2. En fonction du thème et du sujet de ce passage, il se consacrait à vénérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu, dont la lecture montrait la majesté et le jugement merveilleux.
Puis il se retirait aux lieux d’aisance pour se purger de ses excréments naturels. Là son précepteur répétait ce qui avait été lu en lui expliquant les points les plus obscurs et difficiles.
En revenant, ils considéraient l’état du ciel : s’il se présentait comme ils l’avaient noté le soir précédent, dans quelle partie du zodiaque entraient le soleil et la lune pour la journée.
Cela fait, il était habillé, peigné, coiffé, adorné3 et parfumé ; pendant ce temps on lui répétait les leçons de la veille. Lui-même les récitait par cœur et en tirait quelques conclusions pratiques sur la condition humaine ; ils y passaient parfois jusqu’à deux ou trois heures, mais d’habitude ils s’arrêtaient lorsqu’il avait fini de s’habiller.
Puis pendant trois bonnes heures on lui faisait la lecture.
Cela fait, ils sortaient, en conversant toujours du sujet de la leçon, et allaient se récréer au Jeu de Paume4 du Grand Braque ou dans une prairie ; ils jouaient à la balle ou à la paume, s’exerçant le corps aussi lestement qu’ils l’avaient fait auparavant de leur esprit.
Ils jouaient librement, abandonnant la partie quand ils voulaient et s’arrêtant ordinairement quand ils étaient bien en sueur ou fatigués. Alors, bien essuyés et frottés, ils changeaient de chemise et, se promenant tranquillement, ils allaient voir si le déjeuner était prêt. En attendant, ils récitaient clairement, en y mettant le ton, quelques sentences retenues de la leçon.
Cependant, Monsieur l’Appétit venait, et ils s’asseyaient à table au moment opportun. Au début du repas, on lisait quelque histoire plaisante tirée des anciennes légendes, jusqu’à ce qu’il eût bu son vin.
Alors, selon l’envie, on continuait la leçon ou bien ils commençaient à converser joyeusement ensemble ; les premiers temps, ils parlaient des vertus, des propriétés efficaces et de la nature de tout ce qu’on leur servait à table : le pain, le vin, l’eau, le sel, les viandes, les poissons, les fruits, les herbes, les légumes, et la façon dont ils étaient apprêtés. De cette façon, il apprit en peu de temps tous les passages se rapportant à ces sujets chez Pline, Athénée, Dioscoride, Galien, Porphyre, Opien, Polybe, Héliodore, Aristote, Elien5 et d’autres. En parlant, ils faisaient souvent, pour plus de sûreté, apporter à table les livres en question. Et il retint si bien en mémoire ce qu’on y disait qu’il n’y avait pas alors de médecin qui en sût moitié autant que lui.
Par la suite, ils parlaient des leçons lues le matin ; après avoir achevé le repas d’une confiture de coings, il se curait les dents avec un tronc de giroflier et se lavait les mains et le visage de belle eau fraîche, puis ils rendaient grâce à Dieu par quelque beau cantique à la gloire de la grandeur et de la bonté divines. Cela fait, on apportait des cartes, non pour jouer mais pour y apprendre mille petits tours et inventions nouvelles relevant de l’arithmétique.
Ainsi il se prit de passion pour la science des nombres, et tous les jours, après dîner et souper, ils y passaient leur temps aussi agréablement qu’il le faisait avant avec les dés ou les cartes. A force, il devint si savant en cette discipline, aussi bien théorique que pratique, que l’Anglais Tunstall6, qui en avait abondamment disserté, confessa qu’en vérité, par rapport à lui, il n’y entendait que les rudiments.
1Localité près de Chinon, en Indre-et-Loire
2Mot grec qui signifie « lecteur »
3Habillé
4Jeu qui consistait à se renvoyer une balle
5Références à des auteurs de l’Antiquité grecque ou latine
6Evêque de Durham


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L’éducation de Gargantua
Éduqué selon la méthode traditionnelle héritée des précepteurs du Moyen Âge, Gargantua, père de Pantagruel, est devenu « niais, tout rêveux et rassotté ». Son père décide de le confier à un maître moderne « Ponocrates », (en grec : dur à la fatigue ou bourreau de travail), qui lui fait alors oublier ce qu’il a appris en lui administrant un remède « qui lui lava le cerveau de toutes ses habitudes perverties ». Une nouvelle éducation lui est proposée. En quoi l’éducation donnée à Gargantua illustre-t-elle l’idéal humaniste ? Une nouvelle méthode d’éducation qui privilégie de nouveaux savoirs afin de créer un homme nouveau.
I Une nouvelle méthode éducative :
a) une maîtrise du temps
b) une répartition équilibrée des savoirs
II De nouveaux savoirs
a) éducation corporelle
b) éducation intellectuelle
c) éducation morale
III un homme nouveau
a) l’homme dans sa globalité
b) éducation d’un prince



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