mercredi 5 juin 2019

5e séquence : Prologue de Gargantua


Séquence n°5 : François Rabelais, « Prologue »,
Gargantua (1534)
   Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux (car c'est à vous, non à d'autres que sont dédiés mes écrits). Alcibiade, quand il loue, dans le dialogue de Platon intitulé Le Banquet, son précepteur Socrate, sans conteste prince des philosophes, le déclare, entre autres propos, semblable aux Silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boîtes, comme nous en voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, peintes par-dessus de figures plaisantes et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs attelés, et autres peintures telles, imaginées à plaisir pour inciter le monde à rire (tel était Silène, maître du bon Bacchus) ; mais au-dedans, l'on gardait de précieuses essences : baume, ambre gris, l’amone, musc, civette, pierreries et autres choses précieuses. C'est ainsi, disait-il, qu'était Socrate, parce qu'en considérant son extérieur, et en le jugeant sur l'apparence, on n'en aurait pas donné une pelure d'oignon, tant son corps était laid et son maintien ridicule : le nez pointu, un regard de taureau, un visage de fou, simple de manière, grossièrement vêtu, pauvre de biens, malheureux en amour, inapte à toutes les fonctions publiques, toujours riant, toujours défiant chacun à boire, toujours raillant, toujours dissimulant son divin savoir. Mais en ouvrant cette boîte, vous y auriez trouvé une céleste et inappréciable drogue : intelligence plus qu'humaine, extraordinaire vertu, courage invincible, sobriété sans égale, indiscutable constance, certitude parfaite, mépris incroyable de tout ce pourquoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent.
    A quoi tend, selon vous, ce prélude et ce coup d'essai ? C'est que vous, mes bons disciples, avec quelques autres fous désœuvrés, en lisant les titres joyeux de certains livres de notre invention, Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La Dignité des braguettes, Des pois au lard accompagnés d'un commentaire, etc., vous estimez trop facilement qu'on y traite seulement de railleries, de bagatelles et de mensonges joyeux, puisque l'enseigne extérieure (c'est-à-dire le titre), si l'on ne cherche pas plus loin, offre ordinairement matière à dérision ou à plaisanterie. Mais il ne faut pas juger si légèrement les œuvres des hommes. Vous dites bien vous-mêmes que l'habit ne fait pas le moine, et tel est vêtu d'une cape espagnole qui n'a rien à voir avec l'Espagne. C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et peser soigneusement ce qui y est exposé. Vous connaîtrez alors que l'essence contenue au-dedans est de bien autre valeur que ne le promettait la boîte : c'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont pas si folâtre que le titre ci-dessus le laissait entendre
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Introduction et commentaire du « Prologue » de Gargantua
Au début du XVIe siècle, un nouveau mouvement littéraire, culturel et philosophique apparaît en France : l’humanisme. François Rabelais, auteur de cinq romans : Pantagruel (1532), Gargantua (1534), le Tiers Livre (1546), le Quart Livre (1552) et publié posthumement le Cinquième Livre (1565), l’illustre parfaitement. En effet, si ses romans ont un aspect particulièrement burlesque, c’est pour mieux critiquer l’enseignement traditionnel , les moines, etc., et pour promouvoir les idées de l’humanisme. Mais surtout ce prologue nous invite à nous méfier des apparences. En quoi ce prologue est-il déjà un manifeste de l’humanisme ? L’aspect comique de l’œuvre laisse place une visée didactique qui promeut l’humanisme.
I Le comique du prologue :
a) la laideur de Socrate qui va jusqu’à l’animalisation : « nez pointu », « regard de taureau », etc. .
b) Rabelais choisit son lecteur parmi les « vérolé » et les « buveurs illustres »
c) R. fait preuve d’une grande imagination pour inventer des titres d’œuvres imaginaires : « Fessepinte » ou bien « La Dignité des braguettes ».
d) Enfin R. revendique le rire : « inciter le monde à rire », « figures plaisantes »
II Visée didactique revendiquée :
a) R. insiste sur les qualités intellectuelles de Socrate : « intelligence plus qu’humaine », « divin savoir »
b) R. développe un raisonnement : utilisation de connecteurs logiques : « mais », « ainsi », « or »
c) R. se souvient de son passé de médecin avec les remèdes d’apothicaire : «  ambre », « baume », « amome », « civette »
III L’humanisme
a) R.raille les penchants de l’homme pour des activités futiles avec une énumération : « veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent  ».
b) R. oppose par une antithèse l’aspect physique de Socrate et son intelligence aiguë.
c) Enfin R . s’adresse au lecteur pour lui conseiller de passer outre l’apparence et apprendre à lire le monde.
Conclusion : Des préceptes de l’humanisme, nous retiendrons la demande faite au lecteur de ne pas rester sur un premier niveau de lecture, posture qui doit lui permettre d’accéder au savoir, à tous les savoirs. Nous retiendrons également l’éloge paradoxal de Socrate dont la laideur effrayante est compensé par une intelligence « divin[e] ».

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baume \bom\ masculin
Substance résineuse et odorante qui coule de certains végétaux et qu’on emploie souvent en médecine. En chimie, les baumes sont proprement des substances résineuses qui contiennent de l’acide benzoïque ou de l’acide cinnamique

Ambre Gris



une sécrétion formée au niveau des organes digestif des cachalots, ce produit est généralement utilisé en parfumerie. une matière première d'origine animale. Il s'agit en réalité des concrétions intestinales du cachalot, qui sont produites lorsque les parois de l'estomac sont blessées, généralement par les becs des calamars mangés par la bête.
Amome (un)
Syntagmes amome cardamome, espèce d'amome indigène de l'Inde qui produit des semences, dont les fruits sont utilisés en médecine ou pour les liqueurs de table; amome en grappe; faux amome, plante de la famille des ombellifères dont les semences ont une odeur analogue à celle de l'amome.

civette :



nom vernaculaire régional pour la ciboulette (Allium schoenoprasum) Civette , le nom vernaculaire de quelque trente espèces de mammifères carnivores de la famille des Viverridae, dont une sécrétion est utilisée en parfumerie mais aussi dans la fabrication de cigares.
Les harpies
ont en commun l'analogie avec un rapace féroce Dans la mythologie grecque, les Harpies sont des divinités mi-femmes, mi-oiseaux.
Les Harpies (ou Harpyes), étaient les filles du dieu marin Thaumas et de l'Océanide Électre (ne pas confondre avec la fille d'Agamemnon). Leur nombre et leur nom varient selon les auteurs. Aellô ou Nicothoé (la bourrasque), Ocypétès (vole-vite), et Célaeno (sombre nuée), étaient considérées par Hésiode comme des femmes ailées à la belle chevelure, puis petit à petit, la légende se modifia et elles prirent l'apparence de monstres épouvantables.
On les représentait comme des êtres monstrueux au corps d'oiseau et à la tête de femme. Elles avaient des serres acérées et répandaient une odeur infecte.
Elles passaient pour enlever (d'où le nom de "ravisseuses") les enfants et les âmes des morts. On retrouve d'ailleurs sur certains tombeaux leurs images emportant l'âme dans leurs serres.
Elles habitaient les îles Strophades, dans la mer d'Ionie, sur la côte du Péloponnèse. Plus tard Virgile les situera à l'entrée des Enfers avec les autres monstres.

oison bridé
(oiseau à qui l’on a passé une plume dans les ouvertures qui sont à la partie supérieure du bec, pour l’empêcher d’entrer dans les lieux fermés de haies; personne niaise et sotte à qui l’on fait croire ou faire tout ce que l’on veut)
Lièvre cornu
 un animal imaginaire du folklore américain, mélange entre un lièvre (jackrabbit) et une antilope (antelope). Il est habituellement représenté comme un lièvre avec des bois. On l'appelle aussi parfois « lapin cornu » (horny bunny), ce qui rejoint le nom scientifique Lepus cornutus que donnaient les naturalistes à ce qu'ils pensaient être jusqu'au xviiie siècle une espèce réelle1. Il est parfois appelé « Buckdjeuve » (de l'anglais « buck », un cerf, et « Djeuve », une variante orale du mot lièvre) en français, plus particulièrement en Acadie, voir dans la région du Madawaska



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