lundi 10 juin 2019

1re Séquence "A la recherche du bonheur" : Texte 4 : "Au Cabaret vert"


Séquence N°1, Texte N°4



Au Cabaret-vert

cinq heures du soir


1      Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
         Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
         - Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
        D
e beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

5      Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
        Verte : je contemplai les sujets très naïfs
        De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
        Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

9      - Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! -
       Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
      Du jambon tiède, dans un plat colorié,

     Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse
13 D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
     Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Octobre [18]70

Arthur Rimbaud, Les Cahiers de Douai




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Question orale :


Comment l'écriture poétique parvient-elle à retranscrire le moment de bonheur éprouvé par le poète ?

 L’analyse de la question posée : « écriture poétique » et « moment de bonheur » sont les mots-clés de la question : le passage de l’un à l’autre se faisant au moyen du verbe « retranscrire ». En d’autres termes, comment le poète parvient-il à traduire en mots un moment de bonheur intense et simple ?

Les éléments qui vont guider la réponse
• Il s’agit de voir comment au moyen des images, du rythme, des sonorités, Rimbaud parvient à rendre sensible ce qui a constitué pour lui un moment privilégié.
• L’intitulé de l’objet d’étude nous invite à examiner deux aspects : la manière dont la poésie constitue un effort pour donner sens aux multiples expériences de la vie en les traduisant dans des images et des jeux de langage ; la manière dont Rimbaud s’approprie les formes poétiques dont il hérite pour traduire sa sensibilité et son imaginaire.
• La date situe le texte dans la deuxième moitié du xixe siècle (en fait le poème a été écrit en 1871) et correspond à la période « symboliste » de la poésie, héritière de Baudelaire.
• Le titre du poème évoque un journal de voyage : un lieu et une heure précise.
• Le texte confirme la dimension autobiographique suggérée par le titre : indication de lieu, évocation d’une longue marche, les plaisirs de la vie.
• La forme se caractérise par la reprise de la tradition poétique (le sonnet) et des éléments d’innovation hérités de Hugo : multiplication des enjambements qui cassent le rythme de l’alexandrin et donnent un élan émotionnel ; insistance sur les sensations (« Verte », « d’ail ») ; attitude complaisante de la serveuse (« rieuse »), etc.
• Prosaïsme et truculence du langage en rapport avec la description qui évoque les scènes de taverne de la peinture flamande.
Le poème à analyser est un sonnet narratif d’Arthur Rimbaud, racontant sa « bohème » des années 1870. Le titre, « Le Cabaret-Vert », annonce plutôt une chanson à boire ou si l’on prend en compte l’indication temporelle, un journal de voyage. Il contraste avec la forme choisie, caractéristique de la grande tradition poétique. Quel effet Rimbaud recherche-t-il par ce contraste ? Comment Rimbaud utilise-t-il les moyens de la poésie pour rendre sensible l’intensité avec laquelle un jeune homme peut vivre certaines expériences en apparence ordinaires ?

La démarche  choisie est celle de l’analyse thématique :
 1) un moment de bonheur simple ;
 2) l’amplification des sensations et des émotions par les procédés poétiques ;
 3) Un tableau truculent.


PLAN détaillé  : 



I. Un moment de bonheur simple

1. Une poésie narrative avec des indications de lieu et de temps précises et des
éléments d’histoire évoquant un épisode de vagabondage
2. Le titre évoque un havre de paix, une halte joyeuse.
3. La description associe des impressions de modestie et d’abondance. Un lieu
modeste : repas de tartines, décor de mauvais goût mais la convergence de tous les
plaisirs de la vie (satisfaction sensorielle, plaisir de la table et de la chair).

II. L’amplification des sensations et des émotions par les procédés poétiques

1. La répétition du mot « jambon » qui entre par le son en écho avec « jambes » et par
le sens avec les « tétons énormes ».
2. Les plaisirs de la bouche célébrés à la rime : « tartines », « beurre », « gousse »,
« mousse ».
3. La reprise de la couleur verte dans le nom du cabaret et la description de la table.
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4. La syntaxe émotionnelle renforcée par les enjambements, qui donne l’impression
d’une suite d’exclamation : « verte », « rieuse ».
5. Des rimes fantaisistes qui évoquent un plaisir enfantin de jouer avec les mots :
tartines rimant avec bottines.

III. Un tableau truculent

1. L’effet d’accumulation produit à la fois par la liste des ingrédients et leur répétition,
mêlant dans une même jubilation visuelle les mets et les appas de la serveuse.
2. La vivacité de couleurs primaires et les jeux de lumières dignes de la peinture flamande ou impressionniste : la mousse dorée par le soleil couchant.

Conclusion :

Rimbaud joue avec la liberté qu’il s’octroie et la virtuosité des ressources du langage poétique. Il confère à une forme très classique, le sonnet, une énergie renouvelée qui réjouit le lecteur en donnant par la force du langage une couleur intense à un moment simple de l’existence. On sent bien que ce moment a été réellement vécu :
le poète réussit à partager avec le lecteur sa faim, sa lassitude et la détente que lui procure cette halte au « Cabaret-Vert ».

LES EPREUVES DU BAC NATHAN 



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