Etude
de détails du « Cabaret-Vert »
axes
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Outils
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Relevés
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Interprétations
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rimes
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Schéma
de rimes inhabituelles pour un sonnet : rimes croisées dans
les deux quatrains. De plus ces deux quatrains ne sont pas fondés sur les mêmes rimes.Il n'y a pas d'opposition entre les quatrains et les tercets puisque la phrase commencée au vers cinq se termine au dernier vers.
C'est une revendication de liberté pour le poète.
Humeur
fantaisiste
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Sept
enjambements
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V1,
V3, V5, V6, V8, V12, V13
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Forme
pour le moins décousue.
Mettent en valeur des objets de convoitise : appétit du voyageur-poète et faim sensuelle. Les enjambements sont singuliers car ils séparent souvent un groupe nominal en deux parties : "la table/Verte", "destartines/ De beurre |
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Trois
rejets
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V4,
V6 et V13
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Un
contre-rejet
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V13
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Alexandrins
dissymétriques
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4/8
6/6
5/7
2/4/6
3/9
2/10
6/6
9/3
3/9
3/9
5/7
6/6
1/7/4
3/3/3/3
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Evoquent
peut-être le chemin et ses cailloux (?)
En
tout cas revendication de liberté.
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Cadre
spatio-temporel
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« Depuis
huit jours »
« Cinq
heures du soir »
« Charleroi »
« Au
Cabaret-Vert »
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Précisions
réalistes qui ancrent le poème dans un lieu et un temps. Le lecteur peut penser à une espèce de carnet de route qui servirait pour des notes prises sur le vif
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Notations
réalistes
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« déchiré
mes bottines »
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Chaussures
usagées : voyage à pied de Charleville à Charleroi :
100Km
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Sonorité
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« Depuis
HUIT jours »
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Le
nombre huit sonne mieux que sept ou cinq mais paraît
difficilement réaliste pour un voyage de 100km.
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Les
couleurs et autres sensations visuelles
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« cabaret-Vert »
-
« beurre » (jaune)
-
« jambon rose et blanc »
-
« table verte »
« plat
colorié »
« dorait »
(mousse)
« contemplai
les sujets très naïfs »
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Le
poète est émerveillé par toutes ces couleurs Trois occurence du mot "jambon"
Décor
accueillant
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Sensations
olfactives
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« parfumé
d'une gousse d'ail »
jambon
« tiède »
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Satisfaction
des sens
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Vocabulaire
familier
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« tétons
énormes »
« celle-là »
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Connivence
rêvée (?) avec la serveuse
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Adjectifs
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« Bienheureux »
« adorable »
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Bienheureux
les pauvres d’esprit, car le royaume des cieux leur appartient.
"Ces
esprits bienheureux de la patrie céleste,
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Pronom
personnel sujet 1re personne du singulier
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« J' »
et « Je »
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Présence
du poète . Il est le narrateur-personnage qui a vécu cette scène
autobiographique. Le pronom personnel disparaît dans les deux
tercets. Le poète n'est
plus actif, il contemple.
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Verbes
conjugués
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1)
« avais déchiré » : plus-que-parfait de
l'indicatif
2)
« entrais » (V2) : imparfait de l'indicatif
3)
« demandai »(V3) : passé simple de l'indicatif.
4)
« fût » (V4) :
subjonctif
imparfait
5)
« allongeai » (V5) :
passé
simple de l'indicatif
6)
« contemplai » (V6) :
passé
simple de l'indicatif
7)
« fut » (V7) : passé simple de l'indicatif
8)
« est » (V9) : présent de l'indicatif.
9)« épeure »
(V9) : présent de l'indicatif. = faire peur à (transitif).
épeurer
10)
« apporta » (V10) : passé simple de l'indicatif
11)
« emplit » (V13) : passé simple de l'indicatif
12)
« dorait » (V14) :
imparfait
de l'indicatif
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Exprime
une action antérieure à celle de l'imparfait « j'entrais à
Charleroi »
2)
action assez longue
3)
action brève. Affirmation du poète.
4)
Ordre ou souhait. Le poète s'affirme de plus en plus.
5)
action brève. Suite d'actions.
6)
Est-ce que l'imparfait aurait été mieux indiqué ?
7)
brièveté
8)
et 9) Valeur de vérité générale. Le caractère de la servante
ne bougera pas et ne dépend pas de circonstances extérieure.
C'est aussi un présent d'énonciation.
10)
action brève
11)
action brève
12)
imparfait de description
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Allitérations :
répétition
de son consonantique dans le but d'imiter un bruit
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(V10) :
« Rieuse,
m'appoRta des taRtines de beuRRe »
(V14) :
« doRait
un Rayon de soleil aRRiéRé »
(V13) :
« la
chope immenSe avec Sa mouSSe »
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Consonne
rugueuse : on peut entendre les éclats de rire
Consonne
rugueuse
Bruit
de la mousse qui éclate
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(V5)
et (V6) :
« J'allongeai
les jambes [sous
la table
verte
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Le
poète prend toute sa place dans le poème jusqu'à repousser un
mot au vers suivant.
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Portrait
de la servante
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« celle-là »
« ce
n'est pas un baiser qui l'épeure »
« fille
aux tétons énormes, aux yeux vifs »
« Rieuse »
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Portrait
de la servante en fille agréable, pas farouche. Le poète se sent
sur un pied d'égalité avec elle.
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Sensation
gustative
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« tiède »
« à
moitié froid »
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Apporte
le bonheur par la satisfaction des sens. Ni trop froid, ni trop chaud : juste la bonne température. Peut-être celle des chemins des Ardennes empruntés par Rim
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Adjectifs
hyperboliques
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« adorable »
« immense »
« énorme »
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Satisfaction
qui va au-delà de ce qui était prévu.
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Adjectifs
personnification
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« arriéré »
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Le
soleil est l'ami du poète. Il s'attarde pour éclairer la scène.
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1er
axe : La satisfaction des sens ou l'éloge du plaisir
a) Une servante agréable
b) Eloge de la nourriture simple
c) Un décor accueillant
2e
axe : Eloge de la liberté
a) liberté dans l'écriture
b) le poète s'affirme
c) un poème autobiographique
c) un poème autobiographique
Introduction
La
poésie à la fin du XIXe devient "moderne"par la grâce
d'Arthur Rimbaud qui bouscule les anciennes formes et ose un
vocabulaire familier voire prosaïque. Arthur Rimbaud a tout juste
seize ans quand il fuit le foyer maternel de Charleville pour un long
périple vers la Belgique. Nous sommes en octobre 1870, la guerre
franco-prussienne s'est soldée par la défaite de la France à Sedan
le 2 septembre. Au cours de sa fugue qui le ramènera à Charleville,
celui que Verlaine baptisera « L'Homme aux semelles de vent »
débarque à Charleroi. Il a franchi la frontière à pied pour
éviter la douane. Nous l'imaginons fatigué et affamé quand il
entre au Cabaret-Vert. Cette expérience donnera lieu à un poème :
"Au Cabaret-Vert" qui sera recopié sur les cahiers de
Douai et confié à Paul Demeny avec pour mission de les imprimer.
"Au Cabaret-Vert" relate cette soirée mémorable pour le
jeune poète qui entre au Cabaret-Vert, commande du jambon et des
tartines de beurre, gagne une table, allonge ses jambes, contemple la
tapisserie et s'efface ensuite devant la servante, le décor haut en
couleurs et la nourriture simple. Comment le poète nous fait-il
partager son goût du bonheur ? Il conviendra d'examiner dans un
premier temps l'éloge du plaisir par la satisfaction des sens et en
second lieu un éloge de la liberté.
Questions possibles à l'oral :
1. Quelles hypothèses de lecture créent le titre et le sous-titre du sonnet ?
Comment sont-elles confirmées par la lecture du poème ?
2. Quels sont les différents plaisirs des sens décrits par le poète ?
Comment sont-ils mis en valeur par la versification ?
3. Relevez les adjectifs de couleur et les hyperboles.
Comment le regard de l’adolescent transforme-t-il le réel pour le sublimer ?
Une fugue adolescente
Le deuxième Cahier de Douai est constitué en majeure partie des poèmes inspirés par les fugues successives de Rimbaud vers la Belgique pendant l’année de ses seize ans. Le Cabaret-Vert dont
il est question ici est en réalité un cabaret de routiers, à l’entrée de Charleroi, la « Maison Verte ». Le nom du cabaret et le nom de la ville, au vers 2 « J’entrais à Charleroi », situent très précisément
la scène décrite, et le sous-titre « cinq heures du soir » accentue le réalisme de la scène racontée. Le lecteur a l’impression d’un carnet de voyage, tant l’écriture semble en rapport immédiat avec le
vécu, à la manière de notes esquissées par le jeune adolescent. Le premier vers du poème, par la notation temporelle « Depuis huit jours », accroît cette impression, et le champ lexical évoque clairement la fugue : « déchiré mes bottines / aux cailloux des chemins ». On retrouve, comme dans « Ma bohème » ou « Sensation », l’évocation des pieds du poète – Rimbaud n’est-il pas appelé par Verlaine « L’homme aux semelles de vent » ?
Ce réalisme parcourt tout le sonnet. L’affirmation « J’entrais à Charleroi », mise en valeur par sa position en fin de vers et par la brièveté de la phrase qui couvre un hémistiche, exprime le soulagement du fugueur : il arrive dans un lieu civilisé, où il va pouvoir se restaurer. L’enseigne du restaurant s’inscrit dans le corps même du poème, par le choix des majuscules, le tiret initial et la position en début d’alexandrin. Tout le poème se concentre alors sur la commande, dont l’impatience se lit avec le recours aux deux-points : « Au CABARET-VERT : je demandais des tartines ». L’enjambement, audacieux (« des tartines / De beurre »), assez humoristique, mime dans sa simplicité enfantine la simplicité du thème. Ces « tartines » rêvées sont reprises au vers 10, répétition doublée par celle du mot « jambon » dont on trouve trois occurrences : « du jambon qui fût à
moitié froid » (vers 11), « Du jambon tiède » (vers 11), « Du jambon rose et blanc » (vers 12).
L’adolescent fugueur est libre, et découvre, émerveillé, un monde sans contraintes, qu’elles soient sociales ou poétiques.
À la simplicité du thème s’allie en effet une simplicité poétique extrême et provocatrice, comme dans un lexique prosaïque, voire apoétique : répétition de « jambon » et « tartine », présence d’une
« gousse d’ail » que l’enjambement met en valeur de manière explicite.
Rimbaud use également d’une grande simplicité dans l’appellation « la fille » et, évidemment, dans la description de ses « tétons énormes ». Les alexandrins sont presque tous bousculés, et les
conventions du sonnet ne sont pas respectées : les deux premiers quatrains ne sont pas fondés sur les mêmes rimes, et il n’y a pas d’opposition entre les quatrains et les tercets, puisque la phrase
commencée au vers 5 se termine au dernier vers. Enfin, les enjambements sont bien trop nombreux, et surtout fort audacieux, puisqu’ils coupent souvent en deux un groupe nominal : « la table / Verte »,
« des tartines / De beurre », « une gousse / D’aïl », ou encore « Les sujets très naïfs / De la tapisserie ». Le sonnet est une image colorée, vive et souvent enfantine dans la provocation, de l’adolescent libéré de toute convention.
Une sensualité exacerbée et auto dérisoire
Les plaisirs de la chère sont au coeur du poème. À deux reprises, le jambon est caractérisé par sa tiédeur, qui apporte un véritable apaisement des sens : rien de trop « froid », rien de trop chaud, mais une chaleur régulière qui vient sans doute s’opposer aux « chemins » évoqués plus haut. Il y a une forme de jouissance dans la description du « jambon rose et blanc parfumé d’une gousse / d’aïl », plat aussi rustique que les « tartines de beurre » mais élevé ici au rang de plaisir gastronomique : le poète est si affamé qu’il fait bombance d’un jambon-beurre. La pointe du sonnet met en valeur la bière, « chope immense ». L’adjectif hyperbolique rappelle le choix de l’article partitif (« du jambon ») et du pluriel (« des tartines ») : le repas, aussi frugal qu’il soit, est démesurément copieux pour le jeune fugueur.
Les plaisirs de la chère ne vont pas sans les plaisirs de la chair. La description de la serveuse est marquée par une sensualité omniprésente et trop appuyée pour ne pas être également teintée d’autodérision. Elle est intentionnellement précédée d’une description de la posture du poète : « j’allongeais les jambes sous la table », dans un vers allongé par l’allitération en [j] et les nombreuses nasales. L’apposition « Bienheureux », mise en valeur par sa position en début de vers, traduit un bien-être absolu. Le poète est prêt pour l’apparition de la serveuse. L’adjectif « adorable » rend le lecteur impatient de la découvrir – de la même manière que le tiret et le présentatif « Et ce fut », en début de proposition, montrent l’impatience du jeune homme. La description qui suit est fort drôle, qui commence par les « tétons énormes » avant même de décrire « les yeux vifs », sans parler
du commentaire du poète en incise qui en dit long sur ses sentiments. Le démonstratif un peu péjoratif « celle-là » et le passage au présent de vérité générale (« ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! ») créent une complicité avec le lecteur, comme si nous savions parfaitement de quel type de fille Rimbaud nous parle. Complicité et autodérision, enfin, dans la description du jambon « rose et blanc », qui ne peut qu’évoquer les couleurs de la peau de la servante – et l’adjectif « parfumé » le confi rme, dans une analogie parfaite entre les plaisirs de la nourriture et les plaisirs de l’amour.
Le plaisir est enfin d’ordre esthétique – et encore une fois mâtiné d’autodérision. Les adjectifs de couleur dans le sonnet sont nombreux : « verte », « rose », « blanc », mais également la mention
des « sujets très naïfs / De la tapisserie » ou encore du « plat colorié ». Tout est effectivement « naïf » dans cette description colorée. Les couleurs sont simples, pastel, le « vert » est plusieurs fois présent, et il faut leur ajouter la couleur du « beurre » que vient rappeler le verbe « dorait » de la pointe. L’adjectif « colorié » employé pour décrire le plat est très enfantin, et le tout n’est pas sans rappeler une image d’Épinal, peut-être inspirée par les « tapisseries » qui décorent le cabaret. La sensualité est donc également dans cette contemplation d’ordre esthétique qui semble se réjouir de la naïveté du décor, bien éloignée des standards esthétiques de la poésie, parnassienne par exemple.
Une transfiguration du réel
Au fil des strophes, l’évocation des plaisirs sensuels extrait peu à peu le lecteur du cadre spatio-temporel précis induit par les premiers vers, et l’amène à une attitude contemplative et à une
réflexion esthétique. Le dernier vers décrivant la bière et « sa mousse / que dorait un rayon de soleil arriéré » ouvre à une véritable communion des sens et de la nature. Le substantif « mousse », qui
désigne au départ celle de la bière, peut alors être pris en syllepse et évoquer la « mousse » des bois, d’autant qu’il est éclairé par « un rayon de soleil ». Enfin, les assonances en [y] des trois derniers mots du poème, éclairent, elles aussi, la scène de manière lumineuse.
Le regard de l’adolescent fugueur transfi gure le réel :
– l’hyperbole « tétons énormes » métamorphose une simple serveuse en une déesse de l’amour ;
– l’exagération « chope immense » fait d’un simple verre un calice démesuré ;
– le verbe « dorait » nimbe d’une aura riche un intérieur pourtant simplissime ;
– la nature participe à ce mouvement : le « rayon de soleil » vient volontairement dorer la mousse.
À partir du substantif « Bienheureux » (vers 5), l’accumulation des termes mélioratifs transforme une scène de repas en un moment de jouissance. Le bonheur de la liberté, de ce moment volé, fait de cette scène banale un tableau impressionniste. Et, parce que la forme poétique permet d’aller plus loin peut-être qu’un tableau, cette sensation de bonheur se pare d’atemporalité : le bonheur, dans la communion des sens et de la nature, est éternel.
Les prémices des théories symbolistes se joignent dans ce sonnet à la désinvolture et à l’autodérision du Rimbaud des jeunes années. Le poète s’éloigne de la tradition poétique, en mettant à mal l’alexandrin et en refusant l’application stricte des règles du sonnet. Le jeu sur le lexique, entre prosaïsme et poétique, participe de la révolte poétique de Rimbaud, qui trouvera son aboutissement dans L’Album zutique, très peu de temps après. Enfin, en mettant la liberté au coeur de la poésie et en évoquant une communion sensuelle dans la nature, le poète invente un monde nouveau que seule la création poétique permet de transfigurer.
HORS-SÉRIE NRP LYCÉE ARTHUR RIMBAUD, LES CAHIERS DE DOUAI MARS 2017
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