Séquence N°1, Texte
complémentaire
Sénèque, De Vita
beata (1er siècle après J.-C.)
(Le
traité La Vie heureuse s'attache à définir le bonheur selon la
sagesse stoïcienne, en opposition aux doctrines chrétiennes.
Sénéque fut le précepteur de l'empereur Néron. Il diffusa les
doctrines stoïciennes dans des lettres, des traités, mais aussi des
œuvres théâtrales montrant des personnages soumis à leurs
passions.)
V.1.
On peut appeler heureux (puisque je me suis mis à traiter la
question abondamment) celui qui n’a ni désir ni crainte grâce à
la raison ; car les pierres sont exemptes de crainte et de
tristesse, les bêtes également ; on ne saurait pourtant parler
de félicité chez ce qui n’a pas la notion de félicité. 2. Mets
sur la même ligne les hommes que ravalent au rang des bêtes et des
êtres inanimés leur intelligence et leur ignorance d’eux-mêmes.
Il n’y a aucune différence entre eux et ces êtres, puisque chez
ceux-ci la raison est absente, chez ceux-là elle est faussée et
ingénieuse seulement à leur nuire et à les pervertir ; car
personne ne peut être dit heureux s’il est chassé hors de la
vérité. 3. Donc la vie heureuse a pour fondement immuable la
rectitude et la fixité du jugement. Alors, en effet, l’âme est
pure et affranchie de tous maux, capable d’éviter non seulement
les déchirements, mais aussi les égratignures, décidée à se
tenir toujours au point où elle s’est arrêtée et à défendre sa
position même contre les fureurs et les assauts de la Fortune. 4.
Pour ce qui est de la volupté, elle a beau se répandre partout,
s’insinuer par toutes les voies, flatter l’âme de ses caresses,
entasser attrait sur attrait pour séduire tout ou partie de notre
moi ; qui parmi les mortels, s’il a encore quelque reste de sa
nature d’être humain, voudrait être chatouillé jour et nuit et
abandonner l’âme pour se consacrer au corps ? […]
VI.1.
– Mais l’âme aussi, dit-on, aura ses voluptés.- Qu’elle les
ait, j’y consens ; qu’elle se pose en juge des luxes et des
voluptés ; qu’elle se gorge de toutes celles qui charment
habituellement les sens, puis qu’elle jette un coup d’œil sur le
passé et qu’au souvenir des voluptés abolies elle s’enivre des
sensations éprouvées, puis qu’elle se penche déjà sur celles
qui vont suivre, qu’elle bâtisse des plans, et, tandis que le
corps baigne dans sa graisse présente, qu’elle porte ses pensées
sur celle à venir : elle me paraîtra d’autant plus
misérable ; car choisir un mal pour un bien, c’est folie. On
ne peut être heureux sans saine raison, ni sain d’esprit, quand on
recherche comme bonnes des choses futures. 2. Donc être heureux
c’est avoir un jugement droit ; être heureux c’est se
contenter de son sort présent, quel qu’il soit, et aimer ce que
l’on a ; être heureux, c’est laisser à la raison le soin
de donner son prix à tout ce qui constitue notre existence.
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