lundi 29 octobre 2018

Propos de Tavernier sur le film : La Princesse de Montpensier


Avant-propos de Bertrand Tavernier sur l’édition du scénario de La Princesse de Montpensier, ed Flammarion

SUR LE MOT « tourmenté »
« Il se trouve que je n'ai pas abordé La Princesse de Montpensier de front, mais via une première adaptation signée François-Olivier Rousseau, écrite à la demande du producteur ÉricHeumann. C'est par le filtre de cette interprétation que j'ai rencontré un monde et des personnages qui m'ont tout de suite touché, même si la conduite du récit me posait des problèmes. J'ai commencé à rêver sur des scènes qui me paraissaient riches en possibilités dramatiques, notamment celles qui décrivaient les rapports amoureux entre Henri de Guise et Marie de Mézières, entre Philippe de Montpensier et sa très jeune épouse. Ou sur l'itinéraire moral de Chabannes, car le personnage devenait le pivot de l'histoire ; mêlé à toutes les intrigues, il en était le témoin, l'acteur, y participait parfois malgré lui. Ce n'est qu'après plusieurs lectures de ce scénario que je me suis plongé dans la nouvelle. J'ai découvert alors en Marie un personnage très différent de celui que j'avais aperçu. Moins passif, moins, pour reprendre une définition d'Éric Heumann, « femme fatale ». La Marie de
Madame de Lafayette est un être déchiré entre ses devoirs, son éducation, sa loyauté à un mari qu'on lui impose et sa passion amoureuse. Je me suis arrêté sur une phrase de la nouvelle :
« Melle de Mézières, tourmentée par ses parents, voyant qu'elle ne pouvait épouser M. de Guise et
connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle souhaitait
pour mari, se résolut enfin d'obéir à ses parents et conjura M. de Guise de ne plus apporter
d'empêchements et oppositions à son mariage. » Un mot en particulier m'a saisi : « tourmentée ».
Qu'entendait par là Madame de Lafayette ? Des historiens, notamment Didier Lefur, à qui j'ai
posé la question, m'ont répondu que « tourmentée » signifiait « torturée », et qu'alors les lecteurs
entendaient ce mot dans toute sa force et sa violence. Je me suis souvenu que ce terme était utilisé
dans des textes religieux du Moyen Âge pour décrire les horreurs de l'Enfer. Marie avait donc
pu être battue, frappée, menacée d'être enfermée dans une prison, ou plus sûrement dans un
couvent. Lefur m'a ainsi raconté que la soeur de Philippe de Montpensier, qui s'était opposée au
mariage que ses parents avaient arrangé, avait été envoyée au couvent. Le mot « tourmentée » signifiait donc que Marie avait d'abord farouchement refusé ce projet de mariage. Ce qui avait été omis dans la première adaptation. Le personnage devenait alors bien plus rebelle, plus fort, plus fier que je ne l'avais imaginé. Cette révélation m'a permis d'entrevoir la couleur, l'état d'esprit, la tessiture de Marie. Cela me donnait un point de départ. J'allais bientôt saisir la tonalité, comme dans un morceau de musique. La très jeune fille que décrit Madame de Lafayette est prisonnière de sa caste, de traditions, de coutumes qui ne lui confèrent pas plus de droits, malgré son rang, que n'en a
aujourd'hui une jeune fille née dans une famille religieuse fondamentaliste turque, yéménite ou
hindoue. En un mot, je commençais à « voir » le personnage, je détenais là une première clef de
lecture de la nouvelle.

SUR LA JEUNESSE DES PERSONNAGES
La deuxième clef, je l'ai repérée en découvrant l'extrême jeunesse des personnages. Voilà qui
changeait la donne. L'histoire prenait une urgence et une énergie incroyables. J'avais affaire à des
gamins qu'on lançait dans la vie sans les y avoir vraiment préparés, sinon à faire la guerre et à tenir
leur rang. Le personnage de Philippe deMontpensier, tel que l'incarne Grégoire Leprince-Ringuet,
devenait moins un mari jaloux – cliché pesant –qu'un jeune homme démuni affectivement, qui
tombe peu à peu fou amoureux de sa femme mais se révèle incapable de trouver les mots et les
gestes qui conviennent. Guise, sous les traits de Gaspard Ulliel, n'est pas un simple prédateur. Je
le crois sincère dans son amour, au moins par intermittence. Shakespeare donne toujours raison
aux personnages les plus odieux au moins le temps qui leur est nécessaire pour se justifier.
Enfin, vu son âge, Anjou (joué par Raphaël Personaz) n'est pas seulement un cynique qui dissimule
son goût du pouvoir derrière sa culture et son ironie, mais un général courageux, un homme capable de brusques élans de sincérité.
Nous restait à respecter ces passions que décrivait Madame de Lafayette, à suivre leur progression,
mais aussi à mettre à nu ces émotions, en trouver le sens, les racines, la vérité profonde, charnelle.
Nous nous sommes mis, Jean Cosmos et moi, à décrypter ce texte si extraordinaire de limpidité,
de pureté, de dépouillement : il faut repérer ce que l'auteur a caché entre les phrases et derrière
les mots, il faut repérer aussi ce que ces mots, tels que nous les entendons aujourd'hui, nous cachent. Certaines tournures nous semblent extrêmement policées mais elles n'étaient pas comprises ainsi par les premiers lecteurs. Il fallait donc oublier certains filtres ou, au contraire, en tenir compte pour écrire et modifier des scènes. Madame de Lafayette écrivait, à une époque puritaine (on commençait à ajouter des feuilles de vigne aux statues, on vivait à l'école des précieuses et du jansénisme), une histoire qui se déroulait un siècle plus tôt. Au XVIe siècle, les moeurs étaient très différentes de ce qu'elles étaient devenues pour elle et ses contemporains : ainsi le rapport à la nudité et les règles de duel, entre autres, n'étaient pas les mêmes. (Alexandre Dumas précise que, les duels étant de plus en
plus sévèrement réprimés sous Louis XIII, les codes qu'ils devaient suivre devenaient de plus en plus sauvages.)
SUR LE CHANGEMENT DE CAMP DE CHABANNES
Les ellipses permettent à Madame de Lafayette de ne pas prendre parti sur des questions, religieuses
notamment, qui étaient très présentes à l'esprit de ses lecteurs. Parmi les ellipses auxquelles nous sommes confrontés, l'auteur écrit que le comte de Chabannes « avait été si sensible à l'estime et à la confiance de ce prince, que, contre tous ses propres intérêts, il abandonna le parti des huguenots, ne pouvant se résoudre à être opposé en quelque chose à un si grand homme et qui lui était si cher ». Aujourd'hui, cette raison de changer de camp reste vague, abstraite, proche du roman courtois. Or il s'agit là d'une décision qui expose celui qui la prend à se voir rejeté par les deux camps. Le cinéma et notamment le western peuvent aider à mesurer la violence d'un acte comparable au passage, pendant la guerre de Sécession, d'un Nordiste dans le camp des Sudistes, ou le contraire. Il fallait
donc préciser dans un prologue les raisons qui conduisent Chabannes à abandonner la guerre.
D'où la question de savoir ce qui, chez un être comme lui, à la fois guerrier, homme cultivé, d'une grande finesse d'esprit, courageux et profondément humaniste, déclenche un sentiment de honte si fort qu'il renonce à se battre. Didier Lefur m'a parlé de trois actes qui sont un peu les équivalents des « crimes de guerre » d'aujourd'hui : la destruction d'un four à pain, la destruction d'une charrue et le meurtre d'une femme enceinte. Les trois actes pouvaient conduire leur auteur à la potence. J'ai tout de suite pensé au meurtre de la femme enceinte ; c'est cet acte infâme qui détermine son destin.
J'avais le début du film.

SUR LA NUIT DE NOCE
Pour que le film se construise, je sentais qu'on devait contourner certaines impasses que la langue de Madame de Lafayette a dispersées dans la nouvelle. Ainsi n'est-il pas fait mention de la nuit de noces. Par pudeur, par respect de l'esprit de son temps, l'auteur ne s'y arrêtait pas mais, pour nous, cette scène est aujourd'hui essentielle : il est nécessaire que nous sachions ce qui va se passer entre une jeune fille et un jeune homme qui, avant de se retrouver dans le même lit, se sont à peine entrevus. J'ai appris que les nuits de noces étaient alors, dans ces familles nobles, publiques – que la première pénétration devait être publique. Il fallait s'assurer qu'on ne vous avait pas « refilé » une marchandise avariée. Pardon pour la vulgarité de l'expression, mais elle traduit des sentiments, des faits qui ont causé des désastres lors de nombreuses nuits de noces royales. Ces jeunes gens se trouvaient soumis à une pression, à une violence extrêmes. Ils ont grandi dans une sorte de désert affectif (il n'est que de voir leurs parents), ne sont en rien préparés au destin qu'on leur impose, ce qui les rend profondément touchants et attachants. L'adaptation devait avant tout chercher la signification réelle des expressions, donc celle des scènes, pour les traduire de manière concrète. Le
mot « tourmentée » que j'ai cité nous a fait écrire cinq ou six séquences – dont le dîner, la nuit de noces et le départ le lendemain matin.

SUR L’ACCEPTATION DE SON MARI
Une séquence entière – celle qui précède la cérémonie, entre Guise et Marie – est née de la seule
indication de Madame de Lafayette : « [Elle] conjura M. de Guise de ne plus apporter d'empêchements et oppositions à son mariage. » De même le dialogue avec la marquise de Mézières nous a été suggéré par ces lignes : « et connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle souhaitait pour mari, [elle] se résolut enfin d'obéir à ses parents. » Dans cet instant qui réunit la mère et la fille, j'ai introduit une phrase que Madame de Lafayette a écrite dans une lettre à son ami Ménage : « L'amour est la chose la plus incommode du monde. Et je remercie le ciel tous les jours qu'il nous ait épargné cet embarras à votre père et à moi… »

SUR LA RUPTURE DE PROMESSE
Autre exemple : « Les choses étaient en cet état, lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu'avec envie l'élévation de celle de Guise, s'apercevant de l'avantage qu'elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter et de se le procurer à elle-même en faisant épouser cette héritière au jeune prince de Montpensier. » Cette phrase est à l'origine de la scène où le duc de Montpensier convainc le marquis de Mézières de briser sa promesse. J'ai demandé à Didier Lefur quels types d'arguments Montpensier pourrait utiliser pour arracher une telle forfaiture. Lefur m'a aussitôt répondu qu'il opposerait la noblesse française traditionnelle, avec qui l'on peut s'entendre, à ces « étrangers » qu'étaient les Guise. Et Jean Cosmos d'utiliser brillamment cette idée dans le dialogue.

SUR LE DIALOGUE PRECIEUX
Nous avons enfin retiré tout ce qui dans les dialogues sonne alambiqué ou précieux, comme « Ah ! c'est trop, il faut que je me venge, […] puis je m'éclaircirai à loisir ! » ou « Ôtez-moi la vie vous-même, […] ou tirez-moi du désespoir où vous me mettez ! ». Mais je le répète, nous avons respecté toutes les émotions, tous les retournements auxquels ces phrases renvoient. Pour comprendre le texte, il était donc indispensable de laisser de côté certaines conventions stylistiques ou narratives dues à l'époque où il fut écrit. Il en est de même pour les films anciens : ils peuvent comporter trop de musique, les extérieurs en studios peuvent être trop voyants, défauts superficiels qui masquent pour certains spectateurs les qualités profondes de l'écriture filmique, sa vraie modernité. Ce ne sont que des détails qui oblitèrent ce qui compte vraiment. Mais si l'on distingue le vernis de l'invention, de la beauté du trait, du dessin, on peut éprouver alors une véritable émotion, et apprécier tout ce qu'elle exprime de profondément moderne.

SUR LE BAL MASQUE
L'adaptation scénique a exigé plusieurs changements majeurs. Madame de Lafayette situe l'épisode de la méprise, au cours de laquelle Marie parle à Anjou en croyant s'adresser à Guise, pendant un grand bal où tous les danseurs (dont les deux amoureux de Marie) portent un costume identique. Cela me posait des problèmes énormes. En agissant ainsi au milieu d'une foule, au vu et au su de tout le monde (même s'il y avait des paravents et des piliers), Marie risquait de passer pour une écervelée. Tout le monde ayant le même costume, pourquoi ne s'assurait-elle pas de l'identité de l'homme à qui elle murmurait son message ? J'avais bien conçu une mise en scène reposant sur le principe de bonneteau, avec, lors d'un détournement du regard, substitution d'acteurs. Mais elle paraissait futile et l'intrigue prenait le pas sur les personnages. Quand on a dû réduire le budget, Frédéric Bourboulon m'a suggéré de supprimer le bal. Et ce fut l'illumination. Il fallait déplacer ces scènesdans les coulisses du bal, parmi les jongleurs, les musiciens, les convives, tous ceux qui se préparent à entrer dans la salle principale : Marie, qui vient de danser, n'a pas eu le temps de s'apercevoir que les participants au ballet suivant – Anjou et ses mignons, Guise – sont tous déguisés en Maures. Elle n'a vu que Guise qu'elle veut rejoindre dans une pièce voisine pour l'inciter à se méfier de son mari. Mais elle tombe sur un autre Maure, Anjou, qui devient le confident involontaire de son amour. Le scénario me paraît ici plus juste, plus inventif que la nouvelle (Madame de Lafayette ne s'attachait pas du tout aux problèmes de la vraisemblance), moins soumis à la dictature de l'intrigue.

Et le tournage dans ces petites pièces, ces corridors, ces escaliers m'a inspiré ce découpage haletant,
ces mouvements d'appareil rapides, ces changements d'axes qui imitent le mouvement intérieur des personnages.



SUR LES RELATIONS SEXUELLES ENTRE GUISE ET LA PRINCESSE
La deuxième modification tient au fait que, dans la nouvelle, Marie et Guise ne font pas l'amour. Or, il me semblait que la tension sexuelle et amoureuse, en creux dans leurs rapports, devait se résoudre. Sinon le ton risquait de paraître moralisateur ou abstrait. Par ailleurs, j'ai découvert dans l'appareil critique de mon ouvrage que Madame de Lafayette est partie d'une histoire réelle où Guise avait fait un enfant à la femme dont elle s'est inspirée pour le personnage de Marie deMontpensier. J'ai pensé un moment utiliser cette anecdote, mais Jean Cosmos la trouvait trop convenue, trop attendue, orientant vers le mélodrame. Simplement, Madame de Lafayette avait édulcoré la réalité. C'est d'ailleurs ce que lui reprochent ses détracteurs, et c'est là le seul aspect de la nouvelle qui me gênait vraiment. À l'image de La Princesse de Clèves, La Princesse de Montpensier a été conçue comme une oeuvre à thèse pour prévenir les jeunes filles et femmes des dangers de l'amour – ce que souligne Bernard Pingaud, grand exégète de ces chefsd'oeuvre. Je voulais gommer cette dimension de thèse, cette volonté moralisatrice.

SUR LE DENOUEMENT
Et en corollaire, j'ai refusé de faire mourir Marie à la fin. En fait, je conteste la formulation de la dernière phrase de la nouvelle : « Elle mourut peu de jours après, dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la plus heureuse si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions. » Madame de Lafayette lui refuse le péché de chair, pourtant elle la punit, la marque d'un sceau moralisateur, alors que Marie a essayé d'être vertueuse (elle l'est dans la nouvelle) et prudente. Pourquoi la condamner une deuxième fois ? J'ai souhaité une fin ouverte, où elle retrouve Chabannes, pour laisser le spectateur libre de son jugement.

SUR LE DESIR DE LA PRINCESSE D’APPRENDRE A LIRE
Le troisième changement regroupe quelques ajouts, en premier lieu le désir qu'éprouve Marie d'apprendre à écrire. Donner au personnage ce désir d'apprendre, cette volonté de s'ouvrir au monde me semblait une idée belle et forte. Surtout, j'ai songé à Madame de Lafayette elle même, au moment où elle commence à écrire, à jeter les ébauches de ses premiers textes. Elle se trouvait alors un peu dans la situation de son personnage, en position de provoquer le scandale, ce qui explique d'ailleurs que, dans un premier temps, elle ne signe pas ses écrits. Leur attitude indigne à chaque époque.

SUR LA MORT DE CHABANNES
Un dernier ajout porte sur la mort de Chabannes, laquelle survient de manière accidentelle, fortuite dans la nouvelle. Je trouvais que Chabannes méritait mieux. Pris dans un massacre, il a la possibilité de s'échapper mais, apercevant une femme enceinte poursuivie par les tueurs, il voit l'occasion de racheter son péché. J'aime les personnages qui choisissent leur destin : la scène transforme Chabannes en vrai personnage tragique. Et Lambert Wilson l'incarne de manière bouleversante.


La nouvelle elle-même me frappe par le sens de la progression dramatique qui porte l'écriture. Pour donner corps à ses personnages, Madame de Lafayette se passe des artifices habituels disposés jusqu'alors par les écrivains, les confidents notamment, et ne livre que des faits et des sentiments : en cela, le texte est révolutionnaire. Grâce à une fluidité narrative admirable, elle se permet certaines libertés historiques assez étranges : elle invente une histoire en mêlant des personnages parfois fictifs ou transposés (Chabannes et Marie) à des figures historiques appartenant à un passé relativement proche, tout en brodant librement sur la vie des seconds. En 1662, les noms de Guise et d'Anjou ne sont pas seulement très célèbres, ils sont encore sur toutes les lèvres et l'on cherche la raison de ces approximations. Jusqu'à présent, les personnages des contes et des romans appartenaient souvent à des univers créés de toute pièce, comme chez Rabelais, ou à des mondes plus lointains. Sous le couvert de l'Histoire, Madame de Lafayette nous parle de son époque, de son temps. En cela également, La Princesse de Montpensier apparaît comme le précurseur du roman d'amour psychologique mais aussi des grands romans historiques qui deviendront si populaires dans les siècles suivants. Certains chroniqueurs de l'époque ont jugé d'ailleurs que ces récits pouvaient être cause de scandales, parce qu'attentant à la mémoire de personnalités connues. Madame de Lafayette a consulté avant d'écrire nombre d'ouvrages historiques, travaillant un peu comme plus tard Alexandre Dumas. Elle annonce aussi Stendhal.
Nous avons souhaité donner une dimension stendhalienne, sous-jacente dans le texte, aux personnages, car, si le langage est profondément différent, les passions sont identiques, prises entre
désir et remords, peur et amour. Marie de Montpensier ressemble aux grandes héroïnes de Stendhal,
qui connaissent de vraies passions charnelles, surmontent interdits et empêchements, et composent
sans cesse avec le remords.

Comme la langue de la nouvelle est magnifique, notre travail d'adaptation consistait enfin à rechercher cette sève qui irrigue le texte, ce courant qui le traverse. Il fallait aussi retrouver cette précision avec laquelle l'auteur décrit les personnages dans leur infinie complexité. Ce ne sont ni des traîtres ni des héros : chacun fait montre de qualités et de défauts. Ils ont leurs raisons et leurs torts, tous sont déchirés, Guise entre son amour (qu'on peut croire sincère par moments) et ses instincts de prédateur, Anjou entre l'amour réel qu'il a pour Marie, le goût du pouvoir, la rivalité avec Guise et les pressions politiques, Philippe entre l'amour et la jalousie. Marie est partagée entre son éducation et le désir que Guise lui inspire.

SUR CHABANNES
Quant à Chabannes, au centre de toutes ces passions, il est lui-même amoureux d’une femme qui le repousse, soit parce qu’elle n’est pas amoureuse de lui, soit parce qu’il est trop âgé et d’une condition inférieure à la sienne. Qu’il soit devenu le confident de presque tous les personnages avive encore ses blessures. Chabannes est un personnage extraordinaire, porté par des motivations secrètes et compliquées, qui relie les gens entre eux et permet au lecteur, au spectateur, de les comprendre, de les aimer : il entend protéger la princesse mais à certains moments, il semble traversé d’un désir de revanche. On a alors l’impression qu’il joue la politique du pire. Un instant plus tard en servant la jeune femme il obtiendra d’elle ce qu’il en attend.


SUR LA PRINCESSE DE MONTPENSIER (le personnage et l’actrice)
Dès que l’on refuse de porter sur elle un jugement moralisateur, que l’on se débarrasse de cette volonté de la condamner, la princesse de Montpensier s’impose comme un personnage d’une extrême modernité que j’ai adoré et qui trouve en Mélanie Thierry une actrice exceptionnelle. Forte et vulnérable, rebelle et victime, assumant ses choix jusqu’à se mettre en péril. Il devient alors possible de donner à son histoire un sens tout à fait féministe : ce sont les hommes et l’organisation sociale de son temps qui la placent dans la situation intenable qui est la sienne. »

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