Avant-propos
de Bertrand Tavernier sur l’édition du scénario de La
Princesse de Montpensier,
ed Flammarion
SUR
LE MOT « tourmenté »
« Il
se trouve que je n'ai pas abordé La
Princesse de Montpensier de
front, mais via une première adaptation signée François-Olivier
Rousseau, écrite à la demande du producteur ÉricHeumann. C'est par
le filtre de cette interprétation que j'ai rencontré un monde et
des personnages qui m'ont tout de suite touché, même si la conduite
du récit me posait des problèmes. J'ai commencé à rêver sur des
scènes qui me paraissaient riches en possibilités dramatiques,
notamment celles qui décrivaient les rapports amoureux entre Henri
de Guise et Marie de Mézières, entre Philippe de Montpensier et sa
très jeune épouse. Ou sur l'itinéraire moral de Chabannes, car le
personnage devenait le pivot de l'histoire ; mêlé à toutes les
intrigues, il en était le témoin, l'acteur, y participait parfois
malgré lui. Ce n'est qu'après plusieurs lectures de ce scénario
que je me suis plongé dans la nouvelle. J'ai découvert alors en
Marie un personnage très différent de celui que j'avais aperçu.
Moins passif, moins, pour reprendre une définition d'Éric Heumann,
« femme fatale ». La Marie de
Madame
de Lafayette est un être déchiré entre ses devoirs, son éducation,
sa loyauté à un mari qu'on lui impose et sa passion amoureuse. Je
me suis arrêté sur une phrase de la nouvelle :
«
Melle de Mézières, tourmentée par ses parents, voyant qu'elle ne
pouvait épouser M. de Guise et
connaissant
par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme
qu'elle souhaitait
pour
mari, se résolut enfin d'obéir à ses parents et conjura M. de
Guise de ne plus apporter
d'empêchements
et oppositions à son mariage. » Un mot en particulier m'a saisi : «
tourmentée ».
Qu'entendait
par là Madame de Lafayette ? Des historiens, notamment Didier Lefur,
à qui j'ai
posé
la question, m'ont répondu que « tourmentée » signifiait «
torturée », et qu'alors les lecteurs
entendaient
ce mot dans toute sa force et sa violence. Je me suis souvenu que ce
terme était utilisé
dans
des textes religieux du Moyen Âge pour décrire les horreurs de
l'Enfer. Marie avait donc
pu
être battue, frappée, menacée d'être enfermée dans une prison,
ou plus sûrement dans un
couvent.
Lefur m'a ainsi raconté que la soeur de Philippe de Montpensier, qui
s'était opposée au
mariage
que ses parents avaient arrangé, avait été envoyée au couvent. Le
mot « tourmentée » signifiait donc que Marie avait d'abord
farouchement refusé ce projet de mariage. Ce qui avait été omis
dans la première adaptation. Le personnage devenait alors bien plus
rebelle, plus fort, plus fier que je ne l'avais imaginé. Cette
révélation m'a permis d'entrevoir la couleur, l'état d'esprit, la
tessiture de Marie. Cela me donnait un point de départ. J'allais
bientôt saisir la tonalité, comme dans un morceau de musique. La
très jeune fille que décrit Madame de Lafayette est prisonnière de
sa caste, de traditions, de coutumes qui ne lui confèrent pas plus
de droits, malgré son rang, que n'en a
aujourd'hui
une jeune fille née dans une famille religieuse fondamentaliste
turque, yéménite ou
hindoue.
En un mot, je commençais à « voir » le personnage, je détenais
là une première clef de
lecture
de la nouvelle.
SUR
LA JEUNESSE DES PERSONNAGES
La
deuxième clef, je l'ai repérée en découvrant l'extrême jeunesse
des personnages. Voilà qui
changeait
la donne. L'histoire prenait une urgence et une énergie incroyables.
J'avais affaire à des
gamins
qu'on lançait dans la vie sans les y avoir vraiment préparés,
sinon à faire la guerre et à tenir
leur
rang. Le personnage de Philippe deMontpensier, tel que l'incarne
Grégoire Leprince-Ringuet,
devenait
moins un mari jaloux – cliché pesant –qu'un jeune homme démuni
affectivement, qui
tombe
peu à peu fou amoureux de sa femme mais se révèle incapable de
trouver les mots et les
gestes
qui conviennent. Guise, sous les traits de Gaspard Ulliel, n'est pas
un simple prédateur. Je
le
crois sincère dans son amour, au moins par intermittence.
Shakespeare donne toujours raison
aux
personnages les plus odieux au moins le temps qui leur est nécessaire
pour se justifier.
Enfin,
vu son âge, Anjou (joué par Raphaël Personaz) n'est pas seulement
un cynique qui dissimule
son
goût du pouvoir derrière sa culture et son ironie, mais un général
courageux, un homme capable de brusques élans de sincérité.
Nous
restait à respecter ces passions que décrivait Madame de Lafayette,
à suivre leur progression,
mais
aussi à mettre à nu ces émotions, en trouver le sens, les racines,
la vérité profonde, charnelle.
Nous
nous sommes mis, Jean Cosmos et moi, à décrypter ce texte si
extraordinaire de limpidité,
de
pureté, de dépouillement : il faut repérer ce que l'auteur a caché
entre les phrases et derrière
les
mots, il faut repérer aussi ce que ces mots, tels que nous les
entendons aujourd'hui, nous cachent. Certaines tournures nous
semblent extrêmement policées mais elles n'étaient pas comprises
ainsi par les premiers lecteurs. Il fallait donc oublier certains
filtres ou, au contraire, en tenir compte pour écrire et modifier
des scènes. Madame de Lafayette écrivait, à une époque puritaine
(on commençait à ajouter des feuilles de vigne aux statues, on
vivait à l'école des précieuses et du jansénisme), une histoire
qui se déroulait un siècle plus tôt. Au XVIe
siècle,
les moeurs étaient très différentes de ce qu'elles étaient
devenues pour elle et ses contemporains : ainsi le rapport à la
nudité et les règles de duel, entre autres, n'étaient pas les
mêmes. (Alexandre Dumas précise que, les duels étant de plus en
plus
sévèrement réprimés sous Louis XIII, les codes qu'ils devaient
suivre devenaient de plus en plus sauvages.)
SUR
LE CHANGEMENT DE CAMP DE CHABANNES
Les
ellipses permettent à Madame de Lafayette de ne pas prendre parti
sur des questions, religieuses
notamment,
qui étaient très présentes à l'esprit de ses lecteurs. Parmi les
ellipses auxquelles nous sommes confrontés, l'auteur écrit que le
comte de Chabannes « avait été si sensible à l'estime et à la
confiance de ce prince, que, contre tous ses propres intérêts, il
abandonna le parti des huguenots, ne pouvant se résoudre à être
opposé en quelque chose à un si grand homme et qui lui était si
cher ». Aujourd'hui, cette raison de changer de camp reste vague,
abstraite, proche du roman courtois. Or il s'agit là d'une décision
qui expose celui qui la prend à se voir rejeté par les deux camps.
Le cinéma et notamment le western peuvent aider à mesurer la
violence d'un acte comparable au passage, pendant la guerre de
Sécession, d'un Nordiste dans le camp des Sudistes, ou le contraire.
Il fallait
donc
préciser dans un prologue les raisons qui conduisent Chabannes à
abandonner la guerre.
D'où
la question de savoir ce qui, chez un être comme lui, à la fois
guerrier, homme cultivé, d'une grande finesse d'esprit, courageux et
profondément humaniste, déclenche un sentiment de honte si fort
qu'il renonce à se battre. Didier Lefur m'a parlé de trois actes
qui sont un peu les équivalents des « crimes de guerre »
d'aujourd'hui : la destruction d'un four à pain, la destruction
d'une charrue et le meurtre d'une femme enceinte. Les trois actes
pouvaient conduire leur auteur à la potence. J'ai tout de suite
pensé au meurtre de la femme enceinte ; c'est cet acte infâme qui
détermine son destin.
J'avais
le début du film.
SUR
LA NUIT DE NOCE
Pour
que le film se construise, je sentais qu'on devait contourner
certaines impasses que la langue de Madame de Lafayette a dispersées
dans la nouvelle. Ainsi n'est-il pas fait mention de la nuit de
noces. Par pudeur, par respect de l'esprit de son temps, l'auteur ne
s'y arrêtait pas mais, pour nous, cette scène est aujourd'hui
essentielle : il est nécessaire que nous sachions ce qui va se
passer entre une jeune fille et un jeune homme qui, avant de se
retrouver dans le même lit, se sont à peine entrevus. J'ai appris
que les nuits de noces étaient alors, dans ces familles nobles,
publiques – que la première pénétration devait être publique.
Il fallait s'assurer qu'on ne vous avait pas « refilé » une
marchandise avariée. Pardon pour la vulgarité de l'expression, mais
elle traduit des sentiments, des faits qui ont causé des désastres
lors de nombreuses nuits de noces royales. Ces jeunes gens se
trouvaient soumis à une pression, à une violence extrêmes. Ils ont
grandi dans une sorte de désert affectif (il n'est que de voir leurs
parents), ne sont en rien préparés au destin qu'on leur impose, ce
qui les rend profondément touchants et attachants. L'adaptation
devait avant tout chercher la signification réelle des expressions,
donc celle des scènes, pour les traduire de manière concrète. Le
mot
« tourmentée » que j'ai cité nous a fait écrire cinq ou six
séquences – dont le dîner, la nuit de noces et le départ le
lendemain matin.
SUR
L’ACCEPTATION DE SON MARI
Une
séquence entière – celle qui précède la cérémonie, entre
Guise et Marie – est née de la seule
indication
de Madame de Lafayette : « [Elle] conjura M. de Guise de ne plus
apporter d'empêchements et oppositions à son mariage. » De même
le dialogue avec la marquise de Mézières nous a été suggéré par
ces lignes : « et connaissant par sa vertu qu'il était dangereux
d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle souhaitait pour mari,
[elle] se résolut enfin d'obéir à ses parents. » Dans cet instant
qui réunit la mère et la fille, j'ai introduit une phrase que
Madame de Lafayette a écrite dans une lettre à son ami Ménage : «
L'amour est la chose la plus incommode du monde. Et je remercie le
ciel tous les jours qu'il nous ait épargné cet embarras à votre
père et à moi… »
SUR
LA RUPTURE DE PROMESSE
Autre
exemple : « Les choses étaient en cet état, lorsque la maison de
Bourbon, qui ne pouvait voir qu'avec envie l'élévation de celle de
Guise, s'apercevant de l'avantage qu'elle recevrait de ce mariage, se
résolut de le lui ôter et de se le procurer à elle-même en
faisant épouser cette héritière au jeune prince de Montpensier. »
Cette phrase est à l'origine de la scène où le duc de Montpensier
convainc le marquis de Mézières de briser sa promesse. J'ai demandé
à Didier Lefur quels types d'arguments Montpensier pourrait utiliser
pour arracher une telle forfaiture. Lefur m'a aussitôt répondu
qu'il opposerait la noblesse française traditionnelle, avec qui l'on
peut s'entendre, à ces « étrangers » qu'étaient les Guise. Et
Jean Cosmos d'utiliser brillamment cette idée dans le dialogue.
SUR
LE DIALOGUE PRECIEUX
Nous
avons enfin retiré tout ce qui dans les dialogues sonne alambiqué
ou précieux, comme « Ah ! c'est trop, il faut que je me venge, […]
puis je m'éclaircirai à loisir ! » ou « Ôtez-moi la vie
vous-même, […] ou tirez-moi du désespoir où vous me mettez ! ».
Mais je le répète, nous avons respecté toutes les émotions, tous
les retournements auxquels ces phrases renvoient. Pour comprendre le
texte, il était donc indispensable de laisser de côté certaines
conventions stylistiques ou narratives dues à l'époque où il fut
écrit. Il en est de même pour les films anciens : ils peuvent
comporter trop de musique, les extérieurs en studios peuvent être
trop voyants, défauts superficiels qui masquent pour certains
spectateurs les qualités profondes de l'écriture filmique, sa vraie
modernité. Ce ne sont que des détails qui oblitèrent ce qui compte
vraiment. Mais si l'on distingue le vernis de l'invention, de la
beauté du trait, du dessin, on peut éprouver alors une véritable
émotion, et apprécier tout ce qu'elle exprime de profondément
moderne.
SUR
LE BAL MASQUE
L'adaptation
scénique a exigé plusieurs changements majeurs. Madame de Lafayette
situe l'épisode de la méprise, au cours de laquelle Marie parle à
Anjou en croyant s'adresser à Guise, pendant un grand bal où tous
les danseurs (dont les deux amoureux de Marie) portent un costume
identique. Cela me posait des problèmes énormes. En agissant ainsi
au milieu d'une foule, au vu et au su de tout le monde (même s'il y
avait des paravents et des piliers), Marie risquait de passer pour
une écervelée. Tout le monde ayant le même costume, pourquoi ne
s'assurait-elle pas de l'identité de l'homme à qui elle murmurait
son message ? J'avais bien conçu une mise en scène reposant sur le
principe de bonneteau, avec, lors d'un détournement du regard,
substitution d'acteurs. Mais elle paraissait futile et l'intrigue
prenait le pas sur les personnages. Quand on a dû réduire le
budget, Frédéric Bourboulon m'a suggéré de supprimer le bal. Et
ce fut l'illumination. Il fallait déplacer ces scènesdans les
coulisses du bal, parmi les jongleurs, les musiciens, les convives,
tous ceux qui se préparent à entrer dans la salle principale :
Marie, qui vient de danser, n'a pas eu le temps de s'apercevoir que
les participants au ballet suivant – Anjou et ses mignons, Guise –
sont tous déguisés en Maures. Elle n'a vu que Guise qu'elle veut
rejoindre dans une pièce voisine pour l'inciter à se méfier de son
mari. Mais elle tombe sur un autre Maure, Anjou, qui devient le
confident involontaire de son amour. Le scénario me paraît ici plus
juste, plus inventif que la nouvelle (Madame de Lafayette ne
s'attachait pas du tout aux problèmes de la vraisemblance), moins
soumis à la dictature de l'intrigue.
Et
le tournage dans ces petites pièces, ces corridors, ces escaliers
m'a inspiré ce découpage haletant,
ces
mouvements d'appareil rapides, ces changements d'axes qui imitent le
mouvement intérieur des personnages.
SUR
LES RELATIONS SEXUELLES ENTRE GUISE ET LA PRINCESSE
La
deuxième modification tient au fait que, dans la nouvelle, Marie et
Guise ne font pas l'amour. Or, il me semblait que la tension sexuelle
et amoureuse, en creux dans leurs rapports, devait se résoudre.
Sinon le ton risquait de paraître moralisateur ou abstrait. Par
ailleurs, j'ai découvert dans l'appareil critique de mon ouvrage que
Madame de Lafayette est partie d'une histoire réelle où Guise avait
fait un enfant à la femme dont elle s'est inspirée pour le
personnage de Marie deMontpensier. J'ai pensé un moment utiliser
cette anecdote, mais Jean Cosmos la trouvait trop convenue, trop
attendue, orientant vers le mélodrame. Simplement, Madame de
Lafayette avait édulcoré la réalité. C'est d'ailleurs ce que lui
reprochent ses détracteurs, et c'est là le seul aspect de la
nouvelle qui me gênait vraiment. À l'image de La
Princesse de Clèves,
La
Princesse de Montpensier a
été conçue comme une oeuvre à thèse pour prévenir les jeunes
filles et femmes des dangers de l'amour – ce que souligne Bernard
Pingaud, grand exégète de ces chefsd'oeuvre. Je voulais gommer
cette dimension de thèse, cette volonté moralisatrice.
SUR
LE DENOUEMENT
Et
en corollaire, j'ai refusé de faire mourir Marie à la fin. En fait,
je conteste la formulation de la dernière phrase de la nouvelle : «
Elle mourut peu de jours après, dans la fleur de son âge, une des
plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la
plus heureuse si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses
actions. » Madame de Lafayette lui refuse le péché de chair,
pourtant elle la punit, la marque d'un sceau moralisateur, alors que
Marie a essayé d'être vertueuse (elle l'est dans la nouvelle) et
prudente. Pourquoi la condamner une deuxième fois ? J'ai souhaité
une fin ouverte, où elle retrouve Chabannes, pour laisser le
spectateur libre de son jugement.
SUR
LE DESIR DE LA PRINCESSE D’APPRENDRE A LIRE
Le
troisième changement regroupe quelques ajouts, en premier lieu le
désir qu'éprouve Marie d'apprendre à écrire. Donner au personnage
ce désir d'apprendre, cette volonté de s'ouvrir au monde me
semblait une idée belle et forte. Surtout, j'ai songé à Madame de
Lafayette elle même, au moment où elle commence à écrire, à
jeter les ébauches de ses premiers textes. Elle se trouvait alors un
peu dans la situation de son personnage, en position de provoquer le
scandale, ce qui explique d'ailleurs que, dans un premier temps, elle
ne signe pas ses écrits. Leur attitude indigne à chaque époque.
SUR
LA MORT DE CHABANNES
Un
dernier ajout porte sur la mort de Chabannes, laquelle survient de
manière accidentelle, fortuite dans la nouvelle. Je trouvais que
Chabannes méritait mieux. Pris dans un massacre, il a la possibilité
de s'échapper mais, apercevant une femme enceinte poursuivie par les
tueurs, il voit l'occasion de racheter son péché. J'aime les
personnages qui choisissent leur destin : la scène transforme
Chabannes en vrai personnage tragique. Et Lambert Wilson l'incarne de
manière bouleversante.
La
nouvelle elle-même me frappe par le sens de la progression
dramatique qui porte l'écriture. Pour donner corps à ses
personnages, Madame de Lafayette se passe des artifices habituels
disposés jusqu'alors par les écrivains, les confidents notamment,
et ne livre que des faits et des sentiments : en cela, le texte est
révolutionnaire. Grâce à une fluidité narrative admirable, elle
se permet certaines libertés historiques assez étranges : elle
invente une histoire en mêlant des personnages parfois fictifs ou
transposés (Chabannes et Marie) à des figures historiques
appartenant à un passé relativement proche, tout en brodant
librement sur la vie des seconds. En 1662, les noms de Guise et
d'Anjou ne sont pas seulement très célèbres, ils sont encore sur
toutes les lèvres et l'on cherche la raison de ces approximations.
Jusqu'à présent, les personnages des contes et des romans
appartenaient souvent à des univers créés de toute pièce, comme
chez Rabelais, ou à des mondes plus lointains. Sous le couvert de
l'Histoire, Madame de Lafayette nous parle de son époque, de son
temps. En cela également, La
Princesse de Montpensier apparaît
comme le précurseur du roman d'amour psychologique mais aussi des
grands romans historiques qui deviendront si populaires dans les
siècles suivants. Certains chroniqueurs de l'époque ont jugé
d'ailleurs que ces récits pouvaient être cause de scandales, parce
qu'attentant à la mémoire de personnalités connues. Madame de
Lafayette a consulté avant d'écrire nombre d'ouvrages historiques,
travaillant un peu comme plus tard Alexandre Dumas. Elle annonce
aussi Stendhal.
Nous
avons souhaité donner une dimension stendhalienne, sous-jacente dans
le texte, aux personnages, car, si le langage est profondément
différent, les passions sont identiques, prises entre
désir
et remords, peur et amour. Marie de Montpensier ressemble aux grandes
héroïnes de Stendhal,
qui
connaissent de vraies passions charnelles, surmontent interdits et
empêchements, et composent
sans
cesse avec le remords.
Comme
la langue de la nouvelle est magnifique, notre travail d'adaptation
consistait enfin à rechercher cette sève qui irrigue le texte, ce
courant qui le traverse. Il fallait aussi retrouver cette précision
avec laquelle l'auteur décrit les personnages dans leur infinie
complexité. Ce ne sont ni des traîtres ni des héros : chacun fait
montre de qualités et de défauts. Ils ont leurs raisons et leurs
torts, tous sont déchirés, Guise entre son amour (qu'on peut croire
sincère par moments) et ses instincts de prédateur, Anjou entre
l'amour réel qu'il a pour Marie, le goût du pouvoir, la rivalité
avec Guise et les pressions politiques, Philippe entre l'amour et la
jalousie. Marie est partagée entre son éducation et le désir que
Guise lui inspire.
SUR
CHABANNES
Quant
à Chabannes, au centre de toutes ces passions, il est lui-même
amoureux
d’une femme qui le repousse, soit parce qu’elle n’est pas
amoureuse de lui, soit parce qu’il est trop âgé et d’une
condition inférieure à la sienne. Qu’il soit devenu le confident
de presque tous les personnages avive encore ses blessures. Chabannes
est un personnage extraordinaire, porté par des motivations secrètes
et compliquées, qui relie les gens entre eux et permet au lecteur,
au spectateur, de les comprendre, de les aimer : il entend
protéger la princesse mais à certains moments, il semble traversé
d’un désir de revanche. On a alors l’impression qu’il joue la
politique du pire. Un instant plus tard en servant la jeune femme il
obtiendra d’elle ce qu’il en attend.
SUR
LA PRINCESSE DE MONTPENSIER (le personnage et l’actrice)
Dès
que l’on refuse de porter sur elle un jugement moralisateur, que
l’on se débarrasse de cette volonté de la condamner, la princesse
de Montpensier s’impose comme un personnage d’une extrême
modernité que j’ai adoré et qui trouve en Mélanie Thierry une
actrice exceptionnelle. Forte et vulnérable, rebelle et victime,
assumant ses choix jusqu’à se mettre en péril. Il devient alors
possible de donner à son histoire un sens tout à fait féministe :
ce sont les hommes et l’organisation sociale de son temps qui la
placent dans la situation intenable qui est la sienne. »
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