mercredi 22 novembre 2017

séquence : Réécritures, du XVIIe siècle à nos jours, Le mythe d'Oedipe, Racine, La Thébaïde ou les Frères ennemis, Acte I, scène 1



 La Thébaïde ou les Frères ennemis, Acte I, scène 1


JOCASTE
        Ils sont sortis, Olympe ? Ah mortelles douleurs !
        Qu'un moment de repos me va coûter de pleurs !
         Mes yeux depuis six mois étaient ouverts aux larmes ;
         Et le sommeil les ferme en de telles alarmes ?
5       Puisse plutôt la mort les fermer pour jamais,
         Il devrait bien plutôt les fermer à jamais,"
         Et m'empêcher de voir le plus noir des forfaits.
         Mais en sont-ils aux mains ?

OLYMPE
       Du haut de la muraille,
        Je les ai vus déjà tous rangés en bataille.
        J'ai vu déjà le fer briller de toutes parts,
10    Et pour vous avertir, j'ai quitté les remparts.
        J'ai vu le fer en main Étéocle lui-même,
        Il marche des premiers, et d'une ardeur extrême,
        Il montre aux plus hardis à braver le danger.

JOCASTE
       N'en doutons plus, Olympe, ils se vont égorger.
À un garde.
15    Que l'on coure avertir et hâter la princesse,
        Je l'attends. Juste ciel ! soutenez ma faiblesse.
        Il faut courir, Olympe, après ces inhumains,
        Il les faut séparer, ou mourir par leurs mains.
        Nous voici donc, hélas ! à ce jour détestable
20     Dont la seule frayeur me rendait misérable.
        Ni prières, ni pleurs ne m'ont de rien servi,
        Et le courroux du sort voulait être assouvi.
        Ô toi, soleil, ô toi, qui rends le jour au monde,
        Que ne l'as-tu laissé dans une nuit profonde ?
25    À de si noirs forfaits, prêtes-tu tes rayons,
         Et peux-tu sans horreur voir ce que nous voyons ?
         Mais ces monstres, hélas ! ne t'épouvantent guères,
         La race de Laïus les a rendus vulgaires.
         Tu peux voir sans frayeur les crimes de mes fils,
30     Après ceux que le père et la mère ont commis :
         Tu ne t'étonnes pas si mes fils sont perfides,
          S'ils sont tous deux méchants, et s'ils sont parricides ;
         Tu sais qu'ils sont sortis d'un sang incestueux,
         Et tu t'étonnerais s'ils étaient vertueux.

séquence : Réécritures, du XVIIe siècle à nos jours, Le mythe d'Oedipe, Sophocle, Oedipe Roi, " l'aveu de Tirésias"




Sophocle, Oedipe Roi (Ve siècle avant J.-C.)
Traduction de Paul Mazon, © Les Belles Lettres, Paris

TIRÉSIAS. - Hélas ! hélas ! qu'il est terrible de savoir, quand le savoir ne sert de rien à celui qui le possède ! Je ne l'ignorais pas ; mais je l'ai oublié. Je ne fusse pas venu sans cela.
OEDIPE. - Qu'est-ce là ? et pourquoi pareil désarroi à la pensée d'être venu ?
TIRÉSIAS. - Va, laisse-moi rentrer chez moi : nous aurons, si tu m'écoutes, moins de peine à porter, moi mon sort, toi le tien.
OEDIPE. - Que dis-tu ? Il n'est ni normal ni conforme à l'amour que tu dois à Thèbes, ta mère, de lui refuser un oracle.
TIRÉSIAS. - Ah ! c'est que je te vois toi même ne pas dire ici ce qu'il faut ; et, comme je crains de commettre la même erreur à mon tour...
OEDIPE. - Non, par les dieux ! si tu sais, ne te détourne pas de nous. Nous sommes tous ici à tes pieds, suppliants.
TIRÉSIAS. - C'est que tous, tous, vous ignorez... Mais non, n'attends pas de moi que je révèle mon malheur - pour ne pas dire : le tien.
OEDIPE. - Comment ? tu sais, et tu ne veux rien dire ! Ne comprends-tu pas que tu nous trahis et perds ton pays ?
TIRÉSIAS. - Je ne veux affliger ni toi ni moi. Pourquoi me pourchasser vainement de la sorte ? De moi tu ne sauras rien.
OEDIPE. - Ainsi, à le plus méchant des méchants - car vraiment tu mettrais en fureur un roc -, ainsi, tu ne veux rien dire, tu prétends te montrer insensible, entêté à ce point ?
TIRÉSIAS. - Tu me reproches mon furieux entêtement, alors que tu ne sais pas voir celui qui loge chez toi, et c'est moi qu'ensuite tu blâmes !
OEDIPE. - Et qui ne serait en fureur à entendre de ta bouche des mots qui sont autant d'affronts pour cette ville ?
TIRÉSIAS. - Les malheurs viendront bien seuls : peu importe que je me taise et cherche à te les cacher !
OEDIPE. - Mais alors, s'ils doivent venir, faut-il pas que tu me les dises ?
TIRÉSIAS. - Je n'en dirai pas plus. Après quoi, à ta guise ! laisse ton dépit déployer sa fureur la plus farouche.
OEDIPE. - Eh bien soit ! Dans la fureur où je suis je ne cèlerai rien de ce que j'entrevois. Sache donc qu'à mes yeux c'est toi qui as tramé le crime, c'est toi qui l'as commis- à cela près seulement que ton bras n'a pas frappé. Mais, si tu avais des yeux, je dirais que même cela, c'est toi, c'est toi seul qui l'as fait.
TIRÉSIAS. - Vraiment ? Eh bien, je te somme, moi, de t'en tenir à l'ordre que tu as proclamé toi-même, et donc de ne plus parler de ce jour à qui que ce soit, ni à moi, ni à ces gens ; car, sache-le, c'est toi, c'est toi, le criminel qui souille ce pays !
OEDIPE. - QUOI ? tu as l'impudence de lâcher pareil mot ! Mais comment crois-tu donc te dérober ensuite ?
TIRÉSIAS. - Je demeure hors de tes atteintes : en moi vit la force du vrai.
OEDIPE. - Et qui t'aurait appris le vrai ? ce n'est certes pas ton art.
TIRÉSIAS. - C'est toi, puisque tu m'as poussé à parler malgré moi.  

séquence : Réécritures, du XVIIe siècle à nos jours, Le mythe d'Oedipe, Fiche Présentation



Séquence  : Groupement de textes N°1
Le mythe d'Oedipe de Sophocle à Bauchau
1re L
Objet d'étude
Réécritures du XVIIe siècle à nos jours
Problématique

Objectifs






Lectures analytiques
1) Sophocle, Oedipe Roi (Ve siècle avant J.-C.), "l'aveu"




Textes complémentaires







Iconographie





Lecture cursive






Activité de classe
















Séquence : Les réécritures, du XVIIe siècle à nos jours : le monstre en littérature, Fiche présentation

Séquence  / Groupement de textes  
Le monstre en littérature
1re L
Objet d'étude
* Les réécritures, du XVIIe siècle à nos jours
Problématique

Objectifs






Lectures analytiques
1) La Bible, Le livre de Job, "Le Léviathan"


Textes complémentaires







Iconographie
le frontispice du Léviathan de Hobbes


Lecture cursive






Activité de classe
















jeudi 16 novembre 2017

Séquence : Les réécritures, du XVIIe siècle à nos jours : le monstre en littérature, le frontispice du Léviathan de Hobbes




Séquence : Les réécritures, du XVIIe siècle à nos jours : le monstre en littérature, La Bible, "Livre de Job"



https://drive.google.com/file/d/1aMVAyu9bv_GGbIObw-JpI8WOY70GyfSs/view?usp=sharing


Je ne veux pas taire ses membres,
le détail de ses exploits, la beauté de ses membres.
Qui a découvert par devant sa tunique,
pénétré dans sa double cuirasse ?
Qui a ouvert les battants de sa gueule ?
La terreur règne autour de ses dents !
Son dos, ce sont des rangées de boucliers,
que ferme un sceau de pierre.
Ils se touchent de si près
qu'un souffle ne peut s'y infiltrer.
Ils adhèrent l'un à l'autre
et font un bloc sans fissure.
Son éternuement projette de la lumière,
ses yeux ressemblent aux paupières de l'aurore.
De sa gueule jaillissent des torches,
il s'en échappe des étincelles de feu.
De ses naseaux sort une fumée,
comme un chaudron qui bout sur le feu.
Son souffle allumerait des charbons,
une flamme sort de sa gueule.
Sur son cou est campée la force,
et devant lui bondit l'épouvante.
Quand il se dresse, les flots prennent peur
et les vagues de la mer se retirent.
Les fanons de sa chair sont soudés ensemble :
ils adhèrent à elle, inébranlables.
Son cœur est dur comme le roc,
résistant comme la meule de dessous.
L'épée l'atteint sans se fixer,
de même lance, javeline ou dard.
Pour lui, le fer n'est que paille,
et l'airain, du bois pourri.
Les traits de l'arc ne le font pas fuir :
les pierres de fronde se changent en fétu.
La massue lui semble un fétu,
il se rit du javelot qui vibre.
Il a sous lui des tessons aigus,
comme une herse il passe sur la vase.
Il fait bouillonner le gouffre comme une chaudière,
il change la mer en brûle-parfums.
Il laisse derrière lui un sillage lumineux,
l'abîme semble couvert d'une toison blanche.
Sur terre, il n'a point son pareil,
il a été fait intrépide.
Il regarde en face les plus hautains,
il est roi sur tous les fils de l'orgueil.

La Bible, Ancien Testament, « Livre de Job » (IIe siècle avant J.-C.)


mercredi 15 novembre 2017

Séquence : Les réécritures du XVIIe siècle à nos jours. Les dénouements de Médée : Euripide, Médée (431 av. J.-C.)

https://drive.google.com/file/d/1VB-yBU7rymvLq-1-EqqVDEzHK-zqy2A_/view?usp=sharing



Jason fonce vers leur maison dont il ébranle les portes.
JASON , hurlant : Portiers ! Ouvrez immédiatement les verrous ! Détachez les fermetures ! Je veux voir mon double malheur, eux qui sont morts … et elle, je lui infligerai son châtiment !
Médée apparaît sur un char tiré par un dragon ailé. Elle l'arrête au-dessus de la maison. Auprès d'elle se trouve les corps des enfants.
MÉDÉE (1317-1322) ,Sarcastique : Pourquoi les secoues-tu et les forces-tu, ces portes? Rechercherais-tu des morts et moi, l'auteur de tout? Arrête de te donner tout ce mal! Si c'est de moi dont tu as besoin, parle au cas où tu veux quelque chose...
(Jason fait un geste vers elle)
Ta main ne me touchera jamais! Ce char, le père de mon père- oui Hèlios! - me le donne, comme rempart contre une agression ennemie.
JASON (1323-1350) : Ô femme la plus haïssable, toi que les dieux exècrent le plus, et moi aussi et tout le genre humain... Contre tes propres enfants tu as osé porter le fer, toi qui les a mis au monde...Tu m'as tué en me privant de mes enfants... Et dire qu'après avoir fait tout cela, tu contemples le soleil et la terre, toi qui a osé l'acte le plus impie!.. . Si tu pouvais périr... Moi, maintenant je comprends... Je n'avais rien compris avant, lorsque je t'ai fait quitter ton palais et ta terre barbare pour une maison grecque, toi ce grand fléau, toi qui trahissais ton père et la terre qui t'avait nourrie! Le génie vengeur de tes crimes, c'est contre moi que les dieux l'ont lancé, car tu venais de tuer ton frère dans votre foyer quand tu t'es embarquée sur Argo à la belle proue... C'est comme ça que tu as commencé. Toi qui as épousé celui qui te parle et m'as mis au monde des petits, c'est pour défendre ton lit d'épouse que tu les as tués! Il n'y a aucune femme grecque qui aurait osé cela... Ces femmes auxquelles je t'ai préférée comme épouse... Je me suis engagé avec une ennemie qui a causé ma perte, (1342) avec une lionne, pas une femme, car tu as une nature plus féroce que Scylla la Tyrrhénienne... Mais, bien sûr, ce n'est pas avec des reproches sans fin que je pourrais te mordre. Quelle impudence est en toi! Va-t-en à ta perte, infâme scélérate souillée du sang de tes enfants! Sur moi, sur mon destin, je ne peux plus que gémir: je ne connaîtrai pas les joies de mon nouveau mariage et les enfants que j'ai engendrés et élevés pour moi, jamais plus je ne pourrai leur parler, à eux vivants... Je les ai perdus.
MÉDÉE (1351-1360) : J'aurais beaucoup à répliquer à ces propos, si Zeus, père de l'univers, ne savait pas tout ce que tu as obtenu de moi et comment tu m'as traitée. Tu n'allais pas après avoir déshonoré ma couche poursuivre une vie agréable en me tournant en ridicule, et ta princesse non plus d'ailleurs, et Créon, qui t'a proposé ce mariage, n'allait pas m'expulser de cette terre en toute impunité... Cela étant, si cela te plaît, traite-moi de (1368) lionne ou de (1369) Scylla qui vit en Tyrrhénie, car ton coeur je l'ai, comme il se doit, atteint en retour.
JASON (1361) : Toi aussi tu souffres et tu as ta part de malheurs.
MÉDÉE (1362) : Que cela soit clair pour toi: elle m'est utile la souffrance dont tu ne ries pas.
JASON (1363) : Ô mes petits, quelle mère perverse avez-vous eue!
MÉDÉE (1364) : Ô mes enfants, vous avez péri de la passion de votre père!
JASON (1365) : Ce n'est certes pas ma main qui les a tués...
MÉDÉE (1366) : Mais bien ta démesure et tes nouvelles épousailles!
JASON (1367) : C'est pour la cause de ton lit que tu as estimé pouvoir les tuer.
MÉDÉE (1368) : Une épreuve de rien du tout pour une femme! C'est cela que tu crois?
JASON (1369) : Oui, pour celle qui est pudique. Mais toi, tu n'est que vice.
MÉDÉE (1370) (Désignant les corps des enfants) : Eux, ils ne vivent plus. C'est cela qui te rongera!
JASON (1371) : Eux, ils vivent, vengeurs cruels attachés à ta tête.
MÉDÉE (1372) : Ils le savent bien, les dieux, qui est à l'origine du mal.
JASON (1373) : Ils savent donc que ton âme est méprisable.
MÉDÉE (1374) : Prends-moi en horreur! Tes ragots odieux, je les hais.
JASON (1375) : Et moi les tiens! Il est facile d'en finir.
MÉDÉE (1376) : Comment? Qu'ai-je à faire? C'est tout ce que je veux!
JASON (1377) : Laisse-moi enterrer leurs corps et les pleurer.
MÉDÉE (1378 -1388) : Pas question! Moi, je les enterrerai de mes propres mains, je les porterai au sanctuaire d'Héra, protectrice des sommets, afin qu'aucun de mes ennemis ne les outrage en renversant leurs tombes. À cette terre de Sisyphe j'affecterai désormais une fête et des solennités en réparation de ce meurtre impie. Moi-même, j'irai dans la terre d'Érechthée pour y vivre avec Égée, fils de Pandion. (1386) Toi, comme on peut s'y attendre, tu auras la mauvaise mort d'un mauvais bougre, après avoir vu l'odieuse fin de tes nouvelles épousailles.
JASON (1389-1390) : Mais si elle pouvait l'Érynie te faire mourir pour venger des petits
L'assassinat, et la Justice aussi!
MÉDÉE (1391-1392) : Qui t'écoute? Un dieu ou un génie? Toi le parjure, toi qui berne tes hôtes!
JASON (1393) : Pheû! Pheû! Infâme créature! Tueuse d'enfants!
MÉDÉE (1394) : Rentre chez toi et enterre ta femme! 
JASON (1395) : J'y rentre, privé de mes petits, de tous les deux!
MÉDÉE (1396) : Tu n'as pas encore à te lamenter. Attends la vieillesse.
JASON (1397) : Ô mes petits tant aimés!
MÉDÉE (1397) : Par leur mère, oui! Pas par toi!
JASON (1398) : Et alors tu les as tués!
MÉDÉE (1398) : C'est bien toi qu'ils anéantissent!
JASON (1399 – 1400) Ô moi! Le visage chéri de mes enfants, je demande, pauvre de moi, à y poser les lèvres!
MÉDÉE (1401-1402) : Maintenant tu leur parles, maintenant tu leur montres de l'affection!
Avant, tu les rejetais!
JASON (1402-1403) : Laisse-moi, par les dieux, effleurer la tendre peau des petits!
MÉDÉE (1404) : C'est non! Ce sont des mots lancés en pure perte!
(Le char de Médée disparaît)
JASON (1405- 1414) : Zeus, cela l'entends-tu? Comme je suis repoussé! Comme je souffre à cause de l'infâme créature, (1407) Cette lionne tueuse d'enfants! (Regardant du côté où Médée a disparu.) Mais - et c'est tout ce que je peux encore faire - Je pleure, j'en appelle aux dieux, Je les prends à témoin qu'après m'avoir tué les petits, tu m'empêches de les effleurer et, de mes mains, ensevelir leurs corps. Eux, jamais, moi qui les ai engendrés, je n'aurais dû Les découvrir massacrés par toi! (Jason s'écroule)
CORYPHÉE (1415-1419) (Sur le devant de la scène) : De bien de circonstances l'ordonnateur en est Zeus Olympien. Bien des événements, sans qu'on s'y attende, les dieux les réalisent. Ce qui était prévu ne s'est pas accompli. À l'imprévu la divinité a ouvert la voie. Ainsi vient d'aboutir cette action.

Euripide, Médée, « le dénouement » (431 av.J.-C.) trad. De Clercq


Tragédie d’Euripide écrite en -431  Médée est une œuvre sublime, démesurée, rythmée par le murmure de la Nature et les chants rituels des hommes.

samedi 11 novembre 2017

poème : essai de définition



poème : essai de définition


1. Pièce de vers caractérisée par l'application de règles prosodiques particulières. "Tandis que le fond unique est exigible de la prose, c'est ici la forme unique qui ordonne et survit. C'est le son, c'est le rythme, ce sont les rapprochements physiques des mots, leurs effets d'induction ou leurs influences mutuelles qui dominent, aux dépens de leur propriété de se consommer en un sens défini et certain. Il faut donc que dans un poème le sens ne puisse l'emporter sur la forme et la détruire sans retour; c'est au contraire le retour, la forme conservée, ou plutôt exactement reproduite comme unique et nécessaire expression de l'état ou de la pensée qu'elle vient d'engendrer au lecteur, qui est le ressort de la puissance poétique. " Paul Valéry

2.  Pièce de littérature affranchie de certaines de ces règles, mais qui en respecte d'autres qui la maintiennent dans ce genre.: "Un poème est un raccourci prodigieux pour arriver à mettre en trois pages ou quatre ce qui demande un volume à d'autres" (MALLARMÉ)

3. (par extension) Ouvrage littéraire retenant en lui ce qui définit essentiellement la poésie non associée à la versification. " Les Misérables sont un vrai poème"

4. (par extension)  Objet artistique littéraire ou autre, auquel on attribue l'idée essentielle de création, d'être : "Enfin, ce qui domine [dans la cathédrale de Chartres(...) c'est l'idée maîtresse du poême, disposée ainsi qu'un refrain après chacune des strophes de pierre"

5. ( par métaphore) Avec une construction méliorative, pour exprimer ce qu'il y a d'essentiel dans une réalité : "Elle voulut lire un poème, le poème de son beau corps"

6. (par métaphore)  Avec une connotation péjorative.; souvent par ironie dans des locutions : "C'est tout un poème, c'est un vrai poème, quel poème!"

                                                                  Trésor de la langue française

Absurde (l')

Camus et son essai Le mythe de Sisyphe :
           Pour avoir osé défier les dieux, Sisyphe a été condamné, dans le Tartare, à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet, tel que raconté dans l’Odyssée (chant XI). Il a enchaîné Thanatos, si bien que ce dernier n’a pas pu l’emporter aux Enfers. S’apercevant que plus personne ne mourait, Zeus a envoyé Hadès délivrer Thanatos. Mais Sisyphe avait préalablement convaincu sa femme de ne pas lui faire de funérailles adéquates. Il est arrivé ainsi à convaincre Hadès de le laisser repartir chez les vivants pour régler ce problème. Une fois revenu à Corinthe, il a refusé de retourner parmi les morts. Thanatos (ou même Hermès, selon certaines traditions) a dû alors venir le chercher de force.
                                                                              Anna Manukyan,L’analyse axiologique du «Mythe de Sisyphe»


Ségalen Victor, "Libération"

Ségalen Victor, "Libération"

On souffre, on s'agite, on se plaint dans mon Empire. Des rumeurs montent à la tête. Le sang, comme un peuple irrité, bat le palais de mes enchantements.
La famine est dans mon cœur. La famine dévore mon cœur : des êtres naissent à demi, sans âmes, sans forces, issus d'un trouble sans nom.
Puis on se tait. On attend. Que par un bon vouloir s'abreuvent de nouveau vie et plénitude.
o
Comme le Fils du Ciel visitant ses domaines, et jusqu'au fond des prisons de sécheresse portant lumière et liberté,
Libère en moi-même, ô Prince qui es moi, tous les beaux prisonniers -- désirs aux geôles arbitraires, et qu'en grâce et retour,
Tombent sur mon Empire les gouttes larges de la satisfaction.

Lyrisme, poésie lyrique


La poésie lyrique

"exprime le monde intérieur, les sentiments, les contemplations et les émotions de l'âme; au lieu de retracer le développement d'une action, son essence et son but final sont l'expression des mouvements intérieurs de l'âme de l'individu" Durrenmatt, Stylistique de la poésie


Kasischke, une poésie à découvrir vite !

Mariées rebelles


Rosier

J'ai déterré mon grand-père par accident
en plantant le rosier derrière l'appentis

Ses cheveux enterrés de longue date sont aussi doux et blancs
qu'une toile d'araignée, et l'araignée est argentée
et elle la tisse la tisse
et en se relevant, il me dit : Bon
je n'ai pas beaucoup de temps pour t'expliquer, ma chérie
alors il faudra que tu organises tout
toute seule Assure-toi de trouver une place
pour chacun de nous

Mon grand-père me parle gentiment depuis le mort
et les mots sont si étincelants qu'ils volent
autour de sa tête comme une pluie
d'oiseaux éblouissants et je suis soulagée de voir
que cette modeste tombe
ait pu comprimer toute cette douleur en lumière d'étoiles
dans mon propre jardin où un beau jour mes enfants
pourront entailler ce chagrin
à coup de burins et de piques
et le faire briller et le brandir à la lumière
du soleil pour voir clairement la douleur dans la mort
comme je n'ai jamais pu la voir dans la vie Les enfants
voici l'endroit

où votre arrière-grand-père
s'est changé en cendre de verre C'était un homme
qui pleurait des larmes étincelantes
qui sa vie durant a bu
et pour qui le tourment se sirotait pur

C'était un homme gentil qui détestait les enfants
mais aimait les victimes et savait
quelles chais palper parmi les plus tendres
et les abîmés de la vie le connaissaient à des kilomètres à la ronde
et l'appelaient par son nom

Mais voyez sa souffrance s'est changée
en une poussière d'étincelles si fine qu'elle choque le regard
La mort doit finalement lui convenir
La mort doit énormément lui plaire

Il dit : Bon
Assures-toi de prévoir largement pour les uns et les autres
et n'aie pas peur nous serons rentrés lundi
et personne ne saura jamais que nous sommes partis

Je délire de joie comme un enfant fiévreux
et me rend compte qu'il est la source
de toute musique de toute la musique
que ma vie a créée de lui émane un chœur aveuglant
et je pleure enfin à genoux
dans la terre les bras chargés d'épines je
suis prête à le suivre n'importe où prête
à emmener tout le monde avec moi

Mais quand vient le jour (car il vient)
je ne suis plus si sûre je
ne suis plus si sûre d'être
prête à partir





MA PETITE LUMIÈRE DISPARUE, JE ME SUIS ASSISE DANS L’OBSCURITÉ

Ma petite lumière disparue, je me suis assise dans l'obscurité un long moment. Cette obscurité était festonnée de cendres
et n'avait aucun goût et faisait le bruit
de cette neige parasite flottant à la radio
entre deux stations : ma petite lumière
et cette obscurité.

J'ai passé toute la nuit dans l'obscurité et le matin
s'est déroulé plus obscur que le plus obscur
des placards ou des celliers si ce n'est
qu'à présent des champignons miséricordieux (chapeaux noirs et laiteux sous la langue)
sont venus au monde
et leurs milliers de voix ont fait claquer les parasites
comme le cercle d'une corde à sauter claque entre
deux petites filles aux cheveux blancs.

La rue est revenue plus obscure encore
mais mes yeux commençaient à s'habituer.
Et la mousse a poussé sur ma chaussure
et j'ai vu dans l'obscurité
beaucoup de choses peuvent exister. Un ver
chantait sous la terre comme le souffle
d'une clarinette. De la fourrure
a effleuré ma cheville, et je pouvais reconnaître le goût
d'une huitre boueuse se former dans les ombres.

Le lendemain s'est passé dans l'obscurité, une obscurité
comme le cœur d'un mur dans une maison à soi
où le termite mâchonne aveuglément
et se terre mais pour moi
elle n'était qu'un clair-obscur. Je
m'y était habituée.
Elle me connaissait. J'étais
connue parmi des choses connues :

les souris affolées qui s'agitent entre
les serres de la chouette, les poissons
qui clignotent entre les pierres glissantes -
surtout les pierres qui
n'aiment rien qui
ne croient en strictement rien.

Quand la nuit liquide est retombée, je
n'avais jamais été aussi heureuse de ma vie. Ma peau
s'est mise à se mouvoir
par les yeux perlés des mouches
et mes cheveux étaient couturés de noir
et d'humidité, et les rats noirs proliféraient
et y nichaient en paix.

Je voyais désormais que la nuit
était peuplée d'autres, et leur corps cireux
luisait et illuminait l'obscurité. Désormais
j'y voyais assez bien y compris
dans les recoins moisis où
le diable souriait.

Et il s'est incliné devant moi comme si
j'étais la reine de tout ceci suprême
parmi les autres qui avaient vieilli ici
dans cette humidité d'escargots grouillants. Désormais
les sangsues chantaient
ivres de mon sang,
et les rats ont commencé à grignoter
un trou au cœur
de l'endroit où un jour
s'était trouvé ma petite lumière.

Le diable s'est agenouillé pour m'embrasser les genoux.
Cela nous fait si plaisir de te voir, a-t-il dit,
si jeune, tu n'aura aucun mal
à t'adapter et dans
l'obscurité grandissante j'ai vu
que je n'était qu'une fille une jeune fille
attachée à une chaise une jeune fille
vêtue d'un simple uniforme (ma mère
avait cousu l'ourlet elle-même
et le fil dansait recourbé
sur mes cuisses) je pouvais lire
mon nom sur la poche. Il a souri

Il m'a fait déplier les jambes puis écarter les genoux
et la langue du diable était froide
et affutée et la douleur
et le déshonneur que j'en éprouvais ont écimé
le sommet de l'obscurité.

J'étais une enfant. J'avais des devoirs
à faire. Ma clarinette pleurait de bave
dans son étui. Les poupées
étouffaient dans la maison de poupées. Quand
il est remonté
d'entre mes cuisses, une fois de plus
il a souri (était-il gentil ?
est-ce possible ? était-il seulement timide ?)

Moi, j'étais silencieuse je devenais
l'un des nombreux secrets du diable l'un
des nombreux jouets du diable
alors je suis retourné me noyer sous l'obscurité,
la fille parfaite de ses parents, une élève enthousiaste
qui avait appris à transformer
l'angoisse en plaisir appris
que beaucoup de choses peuvent exister non sans déplaisir
dans l'obscurité, et quand
j'ai ouvert les yeux j'ai vu :

une fille sans âme flottant
dans un uniforme sans accroc jouant
d'une clarinette impeccable. Elle
s'était elle-même réinventée souriante
hors de l'obscurité, l'obscurité aussi chaleureuse
et heureuse qu'une maisonnée en enfer.



VINGT-NEUVIÈME ANNIVERSAIRE 


Extrait 1

Je m’aperçois soudain
que je porte le corps de ma mère
depuis longtemps déjà. Il lui
appartient tout entier, ici où la peau
est la plus douce et là
où elle affiche une moue dégoûtée — chaque
centimètre. Ces mêmes clous qui lui ont
démoli le corps
m’en ont fabriqué un à l’identique
et je l’ai porté
comme une maison terrible
sans avoir jamais rien remarqué — tout est
à elle, sauf ce grain de beauté sur mon bras — celui-ci
appartenait à la mère de mon père
et il m’a été transmis


Conseils de marraine

Ma chérie, le monde
et tout ce qu'il contient
et l'arrière qui bascule en avant
dans les moments cruciaux et le fruit bleu
qui nous consume : Tout

n'est par ailleurs qu'un néant à venir
où les branches noircissent les arbres
comme en hiver et l'hiver d'un coup le printemps :
Les hommes seront en colère, et 
les calculs biliaires

mais ne pleure pas : Cherche
les présages dans le ronron monotone -
tout ce qui arrive quand nous
sommes proches de nous détendre, et que les pourceaux
ronflent porcinement dans leur seau : 

Essaye de rester en vie jusqu'à ta mort.
Une nuit tu te retrouveras
à chanter dans ta voiture
dans une rue loin de chez toi
radio allumée, les yeux fatigués :

Soudain la rue est une rivière de glace
et tu fais des tonneaux sur les deux voies et apprends
les lois physiques suivantes :
Les arbres ont une bonne raison de tous
pousser dans le sens du vent, et une bille de billard roulera

exactement à la même vitesse que la bille
la heurtant par l'arrière : Le choc
et la rotation des billes dans le noir
et un camion qui tourbillonne vers toi
et le pare-brise qui t'embrassera

et le rire, et les applaudissements. Souviens-toi :
Le monde est vulgaire comme tout ce qu'il contient :
Le sucre du melon
et la vie comme un fumet de tourte à la viande.
Tu en réclameras

toujours plus : La pendule
tonnera dans la salle d'attente
pendant que le porteur de cercueil titube dans ses chaussures
et que tu sortiras hébétée
et mort-née dans la rue.

vendredi 10 novembre 2017

Séquence 5 Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours. Oeuvre Intégrale : Maylis de Kérangal, Réparer les vivants, texte complémentaire : Thérèse Raquin


https://drive.google.com/file/d/1dMc3APEgItEDATPeewSQJI4uarbr8CDb/view?usp=sharing


         Le lendemain, comme il entrait à la morgue, il reçut un coup violent dans la poitrine : en face de lui, sur une dalle, Camille le regardait, étendu sur le dos, la tête levée, les yeux entrouverts. Le meurtrier s’approcha lentement du vitrage, comme attiré, ne pouvant détacher ses yeux de sa victime. Il ne souffrait pas ; il éprouvait seulement un grand froid intérieur et de légers picotements à fleur de peau. Il aurait cru trembler davantage. Il resta immobile, pendant cinq grandes minutes, perdu dans une contemplation inconsciente, gravant malgré lui au fond de sa mémoire toutes les lignes horribles, toutes les couleurs sales du tableau qu’il avait sous les yeux.
    Camille était ignoble. Il avait séjourné quinze jours dans l’eau. Sa face paraissait encore ferme et rigide ; les traits s’étaient conservés, la peau avait seulement pris une teinte jaunâtre et boueuse. La tête, maigre, osseuse, légèrement tuméfiée, grimaçait ; elle se penchait un peu, les cheveux collés aux tempes, les paupières levées, montrant le globe blafard des yeux ; les lèvres tordues, tirées vers un des coins de la bouche, avaient un ricanement atroce ; un bout de langue noirâtre apparaissait dans la blancheur des dents. Cette tête, comme tannée et étirée, en gardant une apparence humaine, était restée plus effrayante de douleur et d’épouvante. Le corps semblait un tas de chairs dissoutes ; il avait souffert horriblement. On sentait que les bras ne tenaient plus ; les clavicules perçaient la peau des épaules. Sur la poitrine verdâtre, les côtes faisaient des bandes noires ; le flanc gauche, crevé, ouvert, se creusait au milieu de lambeaux d’un rouge sombre. Tout le torse pourrissait. Les jambes, plus fermes, s’allongeaient, plaquées de taches immondes. Les pieds tombaient.
       Laurent regardait Camille. Il n’avait pas encore vu un noyé si épouvantable. Le cadavre avait, en outre, un air étriqué, une allure maigre et pauvre ; il se ramassait dans sa pourriture ; il faisait un tout petit tas. On aurait deviné que c’était là un employé à douze cents francs, bête et maladif, que sa mère avait nourri de tisanes.Ce pauvre corps, grandi entre des couvertures chaudes, grelottait sur la dalle froide.
Quand Laurent put enfin s’arracher à la curiosité poignante qui le tenait immobile et béant, il sortit, il se mit à marcher rapidement sur le quai. Et, tout en marchant, il répétait : « Voilà ce que j’en ai fait. Il est ignoble. » Il lui semblait qu’une odeur âcre le suivait, l’odeur que devait exhaler ce corps en putréfaction.




Emile Zola, Thérèse Raquin (1867), Chapitre XIII