https://drive.google.com/file/d/1nvNfqdwSd2mnoEOvzHoh78kCi-D5Z7Y8/view?usp=sharing
Claire
a-t-elle entendu le chant de Thomas Rémiges dans ses songes
anesthésiques, ce chant de la belle mort ? A-t-elle entendu sa
voix dans la nuit de quatre heures du matin alors qu'elle recevait le
cœur de Simon Limbres ? Elle est placée sous assistance
extracorporelle pendant encore une demi-heure, puis recousue elle
aussi, écarteurs à crémaillère relâchant les tissus pour une
délicate suture de demoiselle, et demeure au bloc sous surveillance,
entourée des écrans noirs où tracent les vagues lumineuses de son
cœur, le temps que son corps récupère, le temps que l'on range la
pièce en démence, le temps que l'on dénombre les ustensiles et les
compresses, et que l'on efface le sang, le temps que l'équipe se
disloque, et que chacun ôte ses vêtements de bloc et se rhabille,
se passe de l'eau sur la figure et se nettoie les mains, puis quitte
l'enceinte de l'hôpital pour aller attraper le premier métro, le
temps qu'Alice reprenne des couleurs et risque un sourire tandis
qu'Harfang lui glisse à l'oreille, alors, petite Harfanguette,
qu'est-ce que tu dis de tout ça ?, le temps que Virgilio relève
sa charlotte et abaisse son masque, se décide à lui proposer
d'aller prendre une bière du côté de Montparnasse, une assiette de
frites, une entrecôte saignante histoire de rester dans l'ambiance,
le temps qu'elle revête son manteau blanc et qu'il en caresse le col
animal, le temps enfin que le sous-bois s'éclaire, que les mousses
bleuissent, que le chardonneret chante et s'achève le grand surf
dans la nuit digitale. Il est cinq heures qurante-neuf.
- Maylis de Kerangal,Réparer les vivants (2014),Le dénouement
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