https://drive.google.com/file/d/0B4OSt_hVPMKcbV9PeWZVV2lfcWs/view?usp=sharing
Eric-Emmanuel
Schmitt, La Nuit de Valognes (1991)
Acte III, scène
16
Don
Juan, en avouant qu'il veut maintenant aimer absolument et
éternellement, a semé la consternation et le dépit chez ses juges.
Restent pour un dernier au revoir trois femmes : la duchesse de
Vaubricourt, l'hôtesse, une belle femme âgée, Marion, sa jeune et
jolie servante et madame Cassin, l'épouse d'un orfèvre.
Dom Juan se retourne vers Madame
Cassin et la Duchesse qui sourit légèrement.
LA DUCHESSE. Marion, éteins les
bougies.
MARION. Madame, il fait encore si
sombre.
LA DUCHESSE. Chut, éteins les
bougies, voici l’aube.
Marion va progressivement éteindre
les bougies. La salle sera presque dans le noir pendant quelques
instants puis le jour, arrivant des grandes baies, envahira
progressivement la scène.
LA DUCHESSE, songeuse et musicale.
On dit que les nouveau-nés sont quasiment aveugles pendant leurs
premières semaines sur cette terre, qu’ils ne distinguent ni
formes ni couleurs, jusqu’au jour où le sourire d’une mère, les
deux mains d’un père, écartant la gaze floue et confuse qui
recouvre le berceau, leur apparaissent. Et puis, plus tard, à l’âge
adulte, il y a - parfois – de nouveau, un homme ou une femme qui
soulève le rideau, donnant forme et couleur au monde. Le Chevalier
l’a fait. Où irez-vous ?
DON JUAN. Je ne sais pas. Au-delà de
moi.
LA DUCHESSE. C’est tout près.
MADAME CASSIN. C’est très loin.
Bonne chance, Don Juan.
Le jour n’est pas encore tout à
fait levé. Marion a ouvert les rideaux qui donnent sur la lumière
naissante. Don juan met sa cape et s’apprête à partir. Il semble
hésiter un instant.
DON JUAN. Dites-moi, Duchesse, comment
cela s’appelle-t-il lorsqu’on s’apprête à sortir, plonger
dans l’inconnu, aller à la rencontre des autres ?
LA DUCHESSE. La naissance.
DON JUAN. Et comment cela
s’appelle-t-il lorsque, au même moment, on a peur d’être broyé
par la lumière, trahi par toutes les mains, ballotté par les
souffles du monde, et que l’on tremble à l’idée juste d’être
une simple et haletante poussière, perdue dans l’univers ?
LA DUCHESSE. Le courage. (Un
temps.) Bon courage, Don Juan.
Don Juan s’éloigne dans la
lumière qui croît. En partant, il donne quelque chose à
Sganarelle. Madame Cassin, Marion et la Duchesse s’approchent
des hautes fenêtres devant lesquelles elles ne sont plus que des
ombres chinoises. On découvre alors que Madame Cassin est enceinte.
Elle pose avec satisfaction ses deux mains sur son ventre.
LA DUCHESSE. Regardez-le, le jour qui
se lève, comme il nous trouble, comme il brouille tout. A nos
chandelles, les profils étaient nets, les sentiments bien simples,
les drames avaient des nœuds qu’on pouvait ou trancher ou défaire.
MADAME CASSIN. Mais Don Juan rejoint le
jour ; un homme naît.
LA DUCHESSE, tristement. Un
homme ? un petit homme, oui…
MADAME CASSIN, avec un sourire.
Un homme, c’est toujours un petit homme.
On aperçoit les femmes à
contre-jour et Don Juan qui s’éloigne lentement dans le lointain.
Sganarelle, revenu sur le devant, sanglote, assis sur le bord de la
scène, fou de chagrin.
LA DUCHESSE. Eh bien quoi, Sganarelle
?
SGANARELLE. Mes gages, Madame, mes
gages… il me les a donnés !
Don
Juan, en avouant qu'il veut maintenant aimer absolument et
éternellement, a semé la consternation et le dépit chez ses juges.
Restent pour un dernier au revoir trois femmes : la duchesse de
Vaubricourt, l'hôtesse, une belle femme âgée, Marion, sa jeune et
jolie servante et madame Cassin, l'épouse d'un orfèvre.
Don Juan s’éloigne dans la
lumière qui croît. En partant, il donne quelque chose à
Sganarelle. Madame Cassin, Marion et la Duchesse s’approchent
des hautes fenêtres devant lesquelles elles ne sont plus que des
ombres chinoises. On découvre alors que Madame Cassin est enceinte.
Elle pose avec satisfaction ses deux mains sur son ventre.
On aperçoit les femmes à
contre-jour et Don Juan qui s’éloigne lentement dans le lointain.
Sganarelle, revenu sur le devant, sanglote, assis sur le bord de la
scène, fou de chagrin.
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