mercredi 1 novembre 2017

. Séquence 5 bis L : Les réécritures / LES FINS DE DON JUAN / 1re L /. Eric-Emmanuel Schmitt, La Nuit de Valognes (1991)


https://drive.google.com/file/d/0B4OSt_hVPMKcbV9PeWZVV2lfcWs/view?usp=sharing


Eric-Emmanuel Schmitt, La Nuit de Valognes (1991)
Acte III, scène 16


Don Juan, en avouant qu'il veut maintenant aimer absolument et éternellement, a semé la consternation et le dépit chez ses juges. Restent pour un dernier au revoir trois femmes : la duchesse de Vaubricourt, l'hôtesse, une belle femme âgée, Marion, sa jeune et jolie servante et madame Cassin, l'épouse d'un orfèvre.

Dom Juan se retourne vers Madame Cassin et la Duchesse qui sourit légèrement.

LA DUCHESSE. Marion, éteins les bougies.

MARION. Madame, il fait encore si sombre.

LA DUCHESSE. Chut, éteins les bougies, voici l’aube.

Marion va progressivement éteindre les bougies. La salle sera presque dans le noir pendant quelques instants puis le jour, arrivant des grandes baies, envahira progressivement la scène.

LA DUCHESSE, songeuse et musicale. On dit que les nouveau-nés sont quasiment aveugles pendant leurs premières semaines sur cette terre, qu’ils ne distinguent ni formes ni couleurs, jusqu’au jour où le sourire d’une mère, les deux mains d’un père, écartant la gaze floue et confuse qui recouvre le berceau, leur apparaissent. Et puis, plus tard, à l’âge adulte, il y a - parfois – de nouveau, un homme ou une femme qui soulève le rideau, donnant forme et couleur au monde. Le Chevalier l’a fait. Où irez-vous ?

DON JUAN. Je ne sais pas. Au-delà de moi.

LA DUCHESSE. C’est tout près.

MADAME CASSIN. C’est très loin. Bonne chance, Don Juan.

Le jour n’est pas encore tout à fait levé. Marion a ouvert les rideaux qui donnent sur la lumière naissante. Don juan met sa cape et s’apprête à partir. Il semble hésiter un instant.

DON JUAN. Dites-moi, Duchesse, comment cela s’appelle-t-il lorsqu’on s’apprête à sortir, plonger dans l’inconnu, aller à la rencontre des autres ?

LA DUCHESSE. La naissance.

DON JUAN. Et comment cela s’appelle-t-il lorsque, au même moment, on a peur d’être broyé par la lumière, trahi par toutes les mains, ballotté par les souffles du monde, et que l’on tremble à l’idée juste d’être une simple et haletante poussière, perdue dans l’univers ?

LA DUCHESSE. Le courage. (Un temps.) Bon courage, Don Juan.

Don Juan s’éloigne dans la lumière qui croît. En partant, il donne quelque chose à Sganarelle.  Madame Cassin, Marion et la Duchesse s’approchent des hautes fenêtres devant lesquelles elles ne sont plus que des ombres chinoises. On découvre alors que Madame Cassin est enceinte. Elle pose avec satisfaction ses deux mains sur son ventre.

LA DUCHESSE. Regardez-le, le jour qui se lève, comme il nous trouble, comme il brouille tout. A nos chandelles, les profils étaient nets, les sentiments bien simples, les drames avaient des nœuds qu’on pouvait ou trancher ou défaire.

MADAME CASSIN. Mais Don Juan rejoint le jour ; un homme naît.

LA DUCHESSE, tristement. Un homme ? un petit homme, oui…

MADAME CASSIN, avec un sourire. Un homme, c’est toujours un petit homme.

On aperçoit les femmes à contre-jour et Don Juan qui s’éloigne lentement dans le lointain. Sganarelle, revenu sur le devant, sanglote, assis sur le bord de la scène, fou de chagrin.

LA DUCHESSE. Eh bien quoi, Sganarelle ?

SGANARELLE. Mes gages, Madame, mes gages… il me les a donnés !  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire