https://drive.google.com/file/d/0B4OSt_hVPMKcQmJiWGk4SVJtalU/view?usp=sharing
SGANARELLE.-
Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.
LE
PAUVRE.-
Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et détourner à
main droite quand vous serez au bout de la forêt. Mais je vous donne
avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque
temps il y a des voleurs ici autour.
DOM
JUAN.-
Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon
cœur.
LE
PAUVRE.-
Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône.
DOM
JUAN.-
Ah, ah, ton avis est intéressé, à ce que je vois.
LE
PAUVRE.-
Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois
depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous
donne toute sorte de biens.
DOM
JUAN.-
Eh, prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des
affaires des autres.
SGANARELLE.-
Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme, il ne croit qu'en deux et
deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit.
DOM
JUAN.-
Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?
LE
PAUVRE.-
De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien
qui me donnent quelque chose.
DOM
JUAN.-
Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise.
LE
PAUVRE.-
Hélas, Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.
DOM
JUAN.-
Tu te moques; un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas
manquer d'être bien dans ses affaires.
LE
PAUVRE.-
Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau
de pain à mettre sous les dents.
DOM
JUAN.-
Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins; ah,
ah, je m'en vais te donner un Louis d'or tout à l'heure, pourvu que
tu veuilles jurer.
LE
PAUVRE.-
Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?
DOM
JUAN.-
Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un Louis d'or ou non, en voici
un que je te donne si tu jures, tiens il faut jurer.
LE
PAUVRE.-
Monsieur.
SGANARELLE.-
Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal.
DOM
JUAN.-
Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc.
LE
PAUVRE.-
Non Monsieur, j'aime mieux mourir de faim.
DOM
JUAN.-
Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité, mais que vois-je
là ? Un homme attaqué par trois autres ? La partie est
trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.
(Il court au lieu du combat.)
(Il court au lieu du combat.)
Molière,
Don Juan (1665), Acte III, scène 2, « La scène du pauvre »
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