mercredi 15 novembre 2017

Séquence : Les réécritures du XVIIe siècle à nos jours. Les dénouements de Médée : Euripide, Médée (431 av. J.-C.)

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Jason fonce vers leur maison dont il ébranle les portes.
JASON , hurlant : Portiers ! Ouvrez immédiatement les verrous ! Détachez les fermetures ! Je veux voir mon double malheur, eux qui sont morts … et elle, je lui infligerai son châtiment !
Médée apparaît sur un char tiré par un dragon ailé. Elle l'arrête au-dessus de la maison. Auprès d'elle se trouve les corps des enfants.
MÉDÉE (1317-1322) ,Sarcastique : Pourquoi les secoues-tu et les forces-tu, ces portes? Rechercherais-tu des morts et moi, l'auteur de tout? Arrête de te donner tout ce mal! Si c'est de moi dont tu as besoin, parle au cas où tu veux quelque chose...
(Jason fait un geste vers elle)
Ta main ne me touchera jamais! Ce char, le père de mon père- oui Hèlios! - me le donne, comme rempart contre une agression ennemie.
JASON (1323-1350) : Ô femme la plus haïssable, toi que les dieux exècrent le plus, et moi aussi et tout le genre humain... Contre tes propres enfants tu as osé porter le fer, toi qui les a mis au monde...Tu m'as tué en me privant de mes enfants... Et dire qu'après avoir fait tout cela, tu contemples le soleil et la terre, toi qui a osé l'acte le plus impie!.. . Si tu pouvais périr... Moi, maintenant je comprends... Je n'avais rien compris avant, lorsque je t'ai fait quitter ton palais et ta terre barbare pour une maison grecque, toi ce grand fléau, toi qui trahissais ton père et la terre qui t'avait nourrie! Le génie vengeur de tes crimes, c'est contre moi que les dieux l'ont lancé, car tu venais de tuer ton frère dans votre foyer quand tu t'es embarquée sur Argo à la belle proue... C'est comme ça que tu as commencé. Toi qui as épousé celui qui te parle et m'as mis au monde des petits, c'est pour défendre ton lit d'épouse que tu les as tués! Il n'y a aucune femme grecque qui aurait osé cela... Ces femmes auxquelles je t'ai préférée comme épouse... Je me suis engagé avec une ennemie qui a causé ma perte, (1342) avec une lionne, pas une femme, car tu as une nature plus féroce que Scylla la Tyrrhénienne... Mais, bien sûr, ce n'est pas avec des reproches sans fin que je pourrais te mordre. Quelle impudence est en toi! Va-t-en à ta perte, infâme scélérate souillée du sang de tes enfants! Sur moi, sur mon destin, je ne peux plus que gémir: je ne connaîtrai pas les joies de mon nouveau mariage et les enfants que j'ai engendrés et élevés pour moi, jamais plus je ne pourrai leur parler, à eux vivants... Je les ai perdus.
MÉDÉE (1351-1360) : J'aurais beaucoup à répliquer à ces propos, si Zeus, père de l'univers, ne savait pas tout ce que tu as obtenu de moi et comment tu m'as traitée. Tu n'allais pas après avoir déshonoré ma couche poursuivre une vie agréable en me tournant en ridicule, et ta princesse non plus d'ailleurs, et Créon, qui t'a proposé ce mariage, n'allait pas m'expulser de cette terre en toute impunité... Cela étant, si cela te plaît, traite-moi de (1368) lionne ou de (1369) Scylla qui vit en Tyrrhénie, car ton coeur je l'ai, comme il se doit, atteint en retour.
JASON (1361) : Toi aussi tu souffres et tu as ta part de malheurs.
MÉDÉE (1362) : Que cela soit clair pour toi: elle m'est utile la souffrance dont tu ne ries pas.
JASON (1363) : Ô mes petits, quelle mère perverse avez-vous eue!
MÉDÉE (1364) : Ô mes enfants, vous avez péri de la passion de votre père!
JASON (1365) : Ce n'est certes pas ma main qui les a tués...
MÉDÉE (1366) : Mais bien ta démesure et tes nouvelles épousailles!
JASON (1367) : C'est pour la cause de ton lit que tu as estimé pouvoir les tuer.
MÉDÉE (1368) : Une épreuve de rien du tout pour une femme! C'est cela que tu crois?
JASON (1369) : Oui, pour celle qui est pudique. Mais toi, tu n'est que vice.
MÉDÉE (1370) (Désignant les corps des enfants) : Eux, ils ne vivent plus. C'est cela qui te rongera!
JASON (1371) : Eux, ils vivent, vengeurs cruels attachés à ta tête.
MÉDÉE (1372) : Ils le savent bien, les dieux, qui est à l'origine du mal.
JASON (1373) : Ils savent donc que ton âme est méprisable.
MÉDÉE (1374) : Prends-moi en horreur! Tes ragots odieux, je les hais.
JASON (1375) : Et moi les tiens! Il est facile d'en finir.
MÉDÉE (1376) : Comment? Qu'ai-je à faire? C'est tout ce que je veux!
JASON (1377) : Laisse-moi enterrer leurs corps et les pleurer.
MÉDÉE (1378 -1388) : Pas question! Moi, je les enterrerai de mes propres mains, je les porterai au sanctuaire d'Héra, protectrice des sommets, afin qu'aucun de mes ennemis ne les outrage en renversant leurs tombes. À cette terre de Sisyphe j'affecterai désormais une fête et des solennités en réparation de ce meurtre impie. Moi-même, j'irai dans la terre d'Érechthée pour y vivre avec Égée, fils de Pandion. (1386) Toi, comme on peut s'y attendre, tu auras la mauvaise mort d'un mauvais bougre, après avoir vu l'odieuse fin de tes nouvelles épousailles.
JASON (1389-1390) : Mais si elle pouvait l'Érynie te faire mourir pour venger des petits
L'assassinat, et la Justice aussi!
MÉDÉE (1391-1392) : Qui t'écoute? Un dieu ou un génie? Toi le parjure, toi qui berne tes hôtes!
JASON (1393) : Pheû! Pheû! Infâme créature! Tueuse d'enfants!
MÉDÉE (1394) : Rentre chez toi et enterre ta femme! 
JASON (1395) : J'y rentre, privé de mes petits, de tous les deux!
MÉDÉE (1396) : Tu n'as pas encore à te lamenter. Attends la vieillesse.
JASON (1397) : Ô mes petits tant aimés!
MÉDÉE (1397) : Par leur mère, oui! Pas par toi!
JASON (1398) : Et alors tu les as tués!
MÉDÉE (1398) : C'est bien toi qu'ils anéantissent!
JASON (1399 – 1400) Ô moi! Le visage chéri de mes enfants, je demande, pauvre de moi, à y poser les lèvres!
MÉDÉE (1401-1402) : Maintenant tu leur parles, maintenant tu leur montres de l'affection!
Avant, tu les rejetais!
JASON (1402-1403) : Laisse-moi, par les dieux, effleurer la tendre peau des petits!
MÉDÉE (1404) : C'est non! Ce sont des mots lancés en pure perte!
(Le char de Médée disparaît)
JASON (1405- 1414) : Zeus, cela l'entends-tu? Comme je suis repoussé! Comme je souffre à cause de l'infâme créature, (1407) Cette lionne tueuse d'enfants! (Regardant du côté où Médée a disparu.) Mais - et c'est tout ce que je peux encore faire - Je pleure, j'en appelle aux dieux, Je les prends à témoin qu'après m'avoir tué les petits, tu m'empêches de les effleurer et, de mes mains, ensevelir leurs corps. Eux, jamais, moi qui les ai engendrés, je n'aurais dû Les découvrir massacrés par toi! (Jason s'écroule)
CORYPHÉE (1415-1419) (Sur le devant de la scène) : De bien de circonstances l'ordonnateur en est Zeus Olympien. Bien des événements, sans qu'on s'y attende, les dieux les réalisent. Ce qui était prévu ne s'est pas accompli. À l'imprévu la divinité a ouvert la voie. Ainsi vient d'aboutir cette action.

Euripide, Médée, « le dénouement » (431 av.J.-C.) trad. De Clercq


Tragédie d’Euripide écrite en -431  Médée est une œuvre sublime, démesurée, rythmée par le murmure de la Nature et les chants rituels des hommes.

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