vendredi 28 avril 2017

Un lien vers les Ames fortes : à écouter sans modération

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/jean-giono-34-le-toit-de-lecrituretoit-de-lecriture



1re séquence : les incipit romanesques : lectures complémentaires

Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur (1979), incipit.


Le roman commence dans une gare de chemin de fer, une locomotive souffle, un sifflement de piston couvre l’ouverture du chapitre, un nuage de fumée cache en partie le premier alinéa. Dans l’odeur de gare passe une bouffée d’odeur de buffet. Quelqu’un regarde à travers les vitres embuées, ouvre la porte vitrée du bar, tout est brumeux à l’intérieur, comme vu à travers des yeux de myope ou que des escarbilles ont irrités. Ce sont les pages du livre qui sont embuées, comme les vitres d’un vieux train ; c’est sur les phrases que se pose le nuage de fumée. Soir pluvieux ; l’homme entre dans le bar, déboutonne son pardessus humide, un nuage de vapeur l’enveloppe ; un coup de sifflet s’éloigne le long des voies luisantes de pluie à perte de vue.
Quelque chose comme un sifflet de locomotive et un jet de vapeur sortent du percolateur que le vieil employé met sous pression comme il lancerait un signal : c’est du moins ce qui résulte de la succession des phrases du second alinéa, où les joueurs attablés replient contre leur poitrine l’éventail de leurs cartes et se tournent vers le nouveau venu avec une triple torsion du cou, des épaules et de leur chaise, tandis que d’autres consommateurs au comptoir soulèvent leurs petites tasses et soufflent à la surface du café, les lèvres et les yeux entrouverts, ou bien aspirent le trop-plein de leurs chopes de bière avec des précautions extrêmes, pour ne rien laisser déborder. Le chat fait le gros dos, la caissière ferme la caisse enregistreuse, qui fait
drin. Tous signes qui tendent à vous informer qu’il s’agit d’une de ces petites gares de province, où celui qui arrive est aussitôt remarqué.
Les gares se ressemblent toutes ; peu importe que les lampes ne parviennent pas à éclairer au-delà d’un halo imprécis : c’est une atmosphère que tu connais par coeur, avec son odeur de train qui subsiste bien après le départ de tous les trains, l’odeur spéciale des gares après le départ du dernier train. Les lumières de la gare et les phrases que tu lis semblent avoir la tâche de dissoudre les choses plus que de les montrer : tout émerge d’un voile d’obscurité et de brouillard. Cette gare, j’y ai débarqué ce soir pour la première fois, et il me semble déjà y avoir passé toute une vie, entrant et sortant de ce bar, passant de l’odeur de la verrière à celle de sciure mouillée des toilettes, le tout mélangé dans une unique odeur qui est celle de l’attente, l’odeur des cabines téléphoniques quand il ne reste plus qu’à récupérer les jetons puisque le numéro ne donne pas signe de vie. L’homme qui va et vient entre le bar et la cabine téléphonique, c’est moi. Ou plutôt : cet homme s’appelle « moi »,et tu ne sais rien d’autre de lui, juste comme cette gare s’appelle seulement « gare », et en dehors d’elle il n’existe rien d’autre que le signal sans réponse d’un téléphone qui sonne dans une pièce obscure d’une ville lointaine.

Commentaire : cet incipit est déroutant. Le narrateur n'apparaît pas tout de suite. Il reste dans un certain anonymat. Qui est-il ? Nous savons simplement que c'est un homme et qu'il n'est pas un familier de cette gare. A noter l'utilisation du présent et l'adresse au lecteur "tu".


Patrick Süskind, Le Parfum : Histoire d’un meurtrier(1985), incipit.



Au XVIII° siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus abominables de cette époque qui pourtant ne manqua pas de génies abominables. C’est son histoire qu’il s’agit de raconter ici. Il s’appelait Jean-Baptiste Grenouille et si son nom, à la différence de ceux d’autres scélérats de génie comme par exemple Sade, Saint-Just, Fouché, Bonaparte, etc., est aujourd’hui tombé dans l’oubli, ce n’est assurément pas que Grenouille fût moins bouffi d’orgueil, moins ennemi de l’humanité, moins immoral, en un mot moins impie que ces malfaiteurs plus illustres, mais c’est que son génie et son unique ambition se bornèrent à un domaine qui ne laisse point de traces dans l’histoire : au royaume évanescent des odeurs. A l’époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes. Les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l’urine, les cages d’escalier puaient le bois moisi et la crotte de rat, les cuisines le chou pourri et la graisse de mouton; les pièces d’habitation mal aérées puaient la poussière renfermée, les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courtepointes moites et le remugle âcre des pots de chambre. Les cheminées
crachaient une puanteur de soufre, les tanneries la puanteur de leurs bains corrosifs, et les abattoirs la puanteur du sang caillé. Les gens puaient la sueur et les vêtements non lavés; leurs bouches puaient les dents gâtées, leurs estomacs puaient le jus d’oignons, et leurs corps, dès qu’ils n’étaient plus tout jeunes, puaient le vieux fromage et le lait aigre et les tumeurs éruptives. Les rivières puaient, les places puaient, les églises puaient, cela puait sous les ponts et dans les palais. Le paysan puait comme le prêtre, le compagnon tout comme l’épouse de son maître artisan, la noblesse puait du haut jusqu’en bas, et le roi lui-même puait, il puait comme un fauve, et la reine comme une vieille chèvre, été comme hiver. Car en ce XVIII° siècle, l’activité délétère des bactéries ne rencontrait encore aucune limite, aussi n’y avait-il aucune activité humaine, qu’elle fût constructive ou destructive, aucune manifestation de la vie en germe ou bien à son déclin, qui ne fût accompagnée de puanteur. Et c’est naturellement à Paris que la puanteur était la plus grande, car Paris était la plus grande ville de France. Et au sein de la capitale il était un endroit où la puanteur régnait de façon particulièrement infernale, entre la rue aux Fers et la rue de la Ferronnerie, c’était le cimetière des Innocents. Pendant huit cents ans, on avait transporté là les morts de l’Hôtel-Dieu et des paroisses circonvoisines, pendant huit cents ans on y avait jour après jour charroyé les cadavres par douzaines et on les y avait déversés dans de longues fosses, pendant huit cents ans on avait rempli par couches successives charniers et ossuaires. Ce n’est que plus tard, à la veille de la Révolution, quand certaines de ces fosses communes se furent dangereusement effondrées et que la puanteur de ce cimetière débordant déclencha chez les riverains non plus de simples protestations, mais de véritables émeutes, qu’on finit par le fermer et par l’éventrer, et qu’on pelleta des millions d’ossements et de crânes en direction des catacombes de Montmartre, et qu’on édifia sur les lieux une place de marché. Or c’est là, à l’endroit le plus puant de tout le royaume, que vit le jour, le 17 juillet 1738, Jean-Baptiste Grenouille.

Commentaire : in incipit original qui met très vite dans l'ambiance. Le thème sera l'odeur. C'est un thème peu traité dans la littérature. Cet incipit commence par présenter le personnage principal puis élargit à toute la société pour revenir à la naissance du héros de ce roman.


Gustave Flaubert, Madame Bovary (1852 – 1856), incipit.


Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir; puis, se tournant vers le maître d’études:
- Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge.
Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et plus haut de taille qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses
jambes, en bas bleus, sortaient d’un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n’osant même croiser les cuisses, ni s’ appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d’études fut obligé de l’avertir, pour qu’il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l’habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d’avoir ensuite nos mains plus libres; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille, en faisant beaucoup de poussière; c’était là le genre. Mais, soit qu’il n’eût pas remarqué cette manœuvre ou qu’il n’eût osé s’y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait
encore sa casquette sur ses deux genoux.

Commentaire/ Cet incipit est très curieux. Le narrateur est un nous collectif qui disparaîtra par la suite pour faire place à un narrateur extérieur. Le point de vue est interne et nous devinons que c'est le jeune Charles Bovary qui fait une entrée remarquée dans la salle d'étude.

Émile ZOLA, GERMINAL (1885), incipit.


Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres.
L’homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d’un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d’un coude, tantôt de l’autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d’est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D’abord, il hésita, pris de crainte; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. L’homme avait à droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis qu’un talus d’herbe s’élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d’une vision de village aux toitures basses et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu’il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareil à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l’arrêter. C’était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d’où se dressait la silhouette d’une cheminée d’usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d’un échappement de vapeur, qu’on ne voyait point.

Incipit très classique qui suit le cheminement pénible d'un ouvrier au chômage dans une nuit glacée. Le point de vue est interne et nous, lecteur, nous ne voyons pas grand chose comme le personnage. Attention, même si c'est un roman naturaliste, la description du paysage est en harmonie totale avec les pensées du personnage. De plus il faut remarquer la description fantastique de la machine à vapeur.


VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme, chapitre 1, 1759


Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune

garçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme.
Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour cette raison qu’on le
nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu’il était fils de la soeur de
monsieur le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que 5 cette demoiselle ne voulut
jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son
arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps.
Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de laWestphalie, car son château avait
une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les chiens de ses
10 basses-cours composaient une meute dans le besoin, ses palefreniers étaient ses piqueurs, le vicaire du village était son grand aumônier. Ils l’appelaient tous Monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes.
Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très
grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore
15 plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse,
appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss était
l’oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de
son caractère.
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement
20 qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de
monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour
une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour
porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être
25 chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est
au mieux. »

VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme, chapitre 1, 1759

jeudi 27 avril 2017

Fonctions de l'incipit Séquence 1 : les incipit romanesques

Fonctions de l'incipit 

L'incipit est le début du roman. C'est la porte d'entrée dans l'univers romanesque. L'incipit a au moins quatre fonctions.
1° L'incipit informe le lecteur en donnant des informations sur les personnages, le lieu de l'action et l'époque.
Il répond dans l'idéal aux six questions :
WHO? QUI?  qui sont les personnages  ?
WHERE ? Où ? Dans quel lieu se déroule l'action ?
 When ? Quand ? A quelle époque ?
What ? Quoi ? De quoi s'agit-il?
How ? Comment ? Sous quelle forme ? Avec quelle procédure ?
 Why ? Pourquoi ? Pourquoi ces actions ? Dans quel but ?

2° L'incipit a pour fonction de séduire le lecteur, de lui plaire pour lui donner envie de lire l'oeuvre en totalité. Pour cela, le narrateur dispose de plusieurs moyens, il peut comme dans Jacques le fataliste, interpeller directement le lecteur.

3° L'incipit, c'est la porte d'entrée dans l'univers romanesque. Il faut donc si possible intriguer le lecteur. Ne pas tout dévoiler.

4° Dernière fonction : établir un programme de lecture, une sorte de contrat avec le lecteur. Le lecteur doit comprendre de quel genre d'écrit il s'agit : roman, quelle sorte de roman ? Théâtre , poème ? etc.


lundi 24 avril 2017

Les répercussions héréditaires de la déportation "Je me souviens"

https://www.franceculture.fr/conferences/maison-de-la-recherche-en-sciences-humaines/les-repercussions-hereditaires-de-la




Ces répercussions peuvent aussi être héréditaires : les dernières recherches en épigénétique démontrent que le stress et les privations ont pu modifier les gênes et donc se transmettre de génération en génération.

La rencontre de deux eaux qui ne se mélangent pas. L'extraordinaire

La rencontre de deux eaux qui ne se mélangent pas.   L'extraordinaire



des lettres pour se souvenir "je me souviens"


Des lettres pour se souvenir  "je me souviens"



19 avril 1943, début du soulèvement du Ghetto de Varsovie "Je me souviens"



19 avril 1943, début du soulèvement du Ghetto de Varsovie


Destruction du ghetto juif de Varsovie

L'art et les hommes

30 sept. 1956 1184 vues 02min 48s
Jean Marie DROT présente le martyr de la ville de Varsovie détruite par les allemands et montre des images de la déportation des juifs du ghetto de Varsovie.


L'art pour soigner la mémoire

A écouter sans modération :
 L'art pour soigner la mémoire

samedi 22 avril 2017

programme BTS 2017 "Je me souviens" et "l'extraordinaire"

Thèmes concernant l'enseignement de culture générale et expression en deuxième année de section de technicien supérieur en vue de la session 2017.   

BULLETIN OFFICIEL N°9 DU 3 MARS 2016

Thème n° 1 - Je me souviens
Problématique
Pris dans le flux de l'immédiat et du court terme, emportés par le cours accéléré de la vie, nous n'en prenons pas moins le temps de nous tourner vers le passé. Nous explorons nos souvenirs personnels, nous partageons des souvenirs communs et nous nous replongeons volontiers dans un passé reconstruit et idéalisé. Pourtant, nous acceptons aussi d'oublier, nous en percevons même la nécessité. Nous oublions ce qui est anecdotique, ce qui est accessoire ; nous oublions parfois aussi l'essentiel. La littérature contemporaine rend bien compte de ces contradictions : nous cultivons une étrange mémoire, souvent lacunaire et prête à réécrire le passé en vertu des droits de la fiction.
Notre identité n'est-elle faite que de mémoire ? Si l'individu est souvent tourné vers ses souvenirs, prompt à la nostalgie, voire à la régression, il peut aussi revendiquer son droit à l'oubli. Comment, dans un monde où l'on maîtrise mal les informations stockées dans l'espace numérique, essentiellement public, effacer les traces encombrantes dont la Toile garde l'empreinte ? Comment se construire sereinement sans l'oubli ? Quelle place accorder à l'oubli des divisions et des conflits passés ?
La société, de son côté, oscille entre la nécessité de remettre en cause les traditions, de secouer les inerties, et le devoir de mémoire : les lieux de mémoire se multiplient et les cérémonies de commémoration scandent la vie citoyenne. Entre mémoire à préserver et oubli à assumer, entre nostalgie et aspiration à la modernité, individus et société hésitent, s'inquiètent, tâtonnent. La quête est ainsi tout autant celle des temps perdus que celles des lendemains enchanteurs.
Comment concilier devoir de mémoire et nécessité de l'oubli ? Comment entretenir la mémoire tout en respectant le mouvement de la vie ? Comment, somme toute, faire que la mémoire reste vive ?
Indications bibliographiques
Ces indications ne sont en aucun cas un programme de lectures. Elles constituent des pistes et des suggestions pour permettre à chaque enseignant de s'orienter dans la réflexion sur le thème et d'élaborer son projet pédagogique.
Littérature 
Jean Anouilh, Le Voyageur sans bagage
Charles Baudelaire, « Harmonie du soir », « Spleen » : « J'ai plus de souvenirs... » « L'Horloge » in Les Fleurs du mal
Joachim du Bellay, Les Regrets
Jorge Luis Borges, « L'Immortel » in L'Aleph,  « Funes ou la mémoire », « La bibliothèque de Babel » in Fictions 
Ray Bradbury, Fahrenheit 451 
Ray Bradbury, Fahrenheit 451 
Roger Caillois, Le Fleuve Alphée
Sorj Chalandon, La Légende de nos pères
Patrick Chamoiseau, Antan d'enfance
François-René de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe
Driss Chraïbi, Le Passé simple La Civilisation, ma Mère !
Anny Duperey, Le Voile noir
Marguerite Duras, Un barrage contre le PacifiqueL'Amant
Annie Ernaux, Écrire la vie
Yannick Haenel, Jan Karski
Homère, Odyssée, VII : chez Alkinoos ; IX : les Lotophages
Milan Kundera, Livre du rire et de l'oubli 
Alphonse de Lamartine, « Le vallon » in Méditations poétiques
J.M.G. Le Clézio, L'Africain
Gilles Leroy, Alabama Song Nina Simone
Primo Levi, Si c'est un homme
Jonathan Littell, Les Bienveillantes
Patrick Modiano, œuvres complètes, particulièrement, Dora Bruder et Un pedigree
George Orwell, 1984
Georges Perec, Je me souviens ; W ou le souvenir d'enfance
Luigi Pirandello, Feu Mathias Pascal
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu 
Jean-Jacques Rousseau, Confessions ; Rêveries du promeneur solitaire
Saint-Augustin, Confessions (X)
George Sand, Histoire de ma vie
Nathalie Sarraute, Enfance
Jorge Semprun, L'Écriture ou la vie
Jules Supervielle, Oublieuse mémoire
Boris Vian, L'Herbe rouge
Virgile, Énéide (VI)
Voltaire, Aventure de la mémoire
Herbert George Wells, La Machine à explorer le temps
Elie Wiesel, La Nuit
Marguerite Yourcenar, « Le Dernier Amour du prince Genghi » in Nouvelles orientales ; Mémoires d'Hadrien
Essais
Olivier Abel (dir.), Le Pardon : briser la dette et l'oubli
Marc Augé, Les Formes de l'oubli
Henri Bergson, Matière et Mémoire
Roland Brasseur, Je me souviens encore mieux de Je me souviens : Notes pour Je me souviens de Georges Perec à l'usage des générations oublieuses et de celles qui n'ont jamais su
Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur
René Descartes, Discours de la méthode
Jean-François Fogel, Bruno Patino, La Condition numérique
Sigmund Freud, Mémoire, souvenirs, oublis 
François Hartog, Régimes d'historicité : Présentisme et expériences du temps
Simon-Daniel Kipman, L'Oubli et ses vertus
Maurice Halbwachs, La Mémoire collective
Le Corbusier, Vers une architecture ; La Charte d'Athènes
Jacques Le Goff, Histoire et Mémoire
Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire
Paul Ricoeur, La Mémoire, l'histoire, l'oubli
Tzvetan Todorov, Les Abus de la mémoire
Jean-Pierre Vernant, « Aspects mythiques de la mémoire et du temps » in Mythe et Pensée chez les Grecs 
Harald Weinrich, Léthé - Art et critique de l'oubli
Films, arts plastiques, bandes dessinées
Bertrand Bonello, Saint Laurent
Zabou Breitman, Se souvenir des belles choses
Clint Eastwood, Bird
Federico Fellini, Amarcord
Michel Gondry, Eternal sunshine of the spotless mind
Alfred Hitchcock, La Maison du docteur Edwards ; Sueurs froides
Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent
Chris Marker, La Jetée
Christopher Nolan, Memento
Alain Resnais, L'Année dernière à MarienbadToute la mémoire du monde
Marjane Satrapi, Persepolis
Martin Scorsese, Hugo Cabret
Agnès Varda, Les Plages d'Agnès
Paul Verhoeven, Total recall
Orson Welles, Citizen Kane
Len Wiseman, Total recall
Oeuvres d'Eugène Atget, Christian Boltanski, Louise Bourgeois, Sophie Calle, Robert Doisneau, Frida Kahlo, Anselm Kiefer, Jacques-Henri Lartigue, Marc Riboud, Richard Serra...
Musique, chansons
Charles Aznavour, « Chanson souvenir »
Barbara, « Mémoire, mémoire », « Marienbad »
Jacques Dutronc,  « Le petit jardin »
Léo Ferré, « La mémoire et la mer »
Mendelson, « 1983 (Barbara) »
Jeanne Moreau, « J'ai la mémoire qui flanche »
Sites Internet
Mots-clefs
Amnésie, amnistie, effacement, insouciance, Léthé, négligence, omission, pardon, rachat, reconstruction, rédemption, refoulement, réhabilitation, renaissance, résilience, trouble de la mémoire.
Arbre généalogique, (faux) souvenir, gratitude, hypermnésie, mémoire involontaire, mémoire sélective, palimpseste, récitation, reconnaissance, rémanence, réminiscence, ressassement, remémoration, régression, trace.
Archives, commémoration, conservatisme, héritage, hommage, lieu de mémoire, memorandum, modernité, patrimoine, pèlerinage, progrès, progressiste, réactionnaire, reliques, révisionnisme, témoin, tradition, vestiges.
Avant-garde, autobiographie, autofiction, biopic, chroniques, mémoires, vanités.
Bibliothèque, cloud, conservation, conservatoire, disque dur, mémoire morte, mémoire vive, muséification, stockage.
Âge d'or, apprendre par cœur, avoir une mémoire d'éléphant, dépôt légal, faire table rase, in memoriammemento mori, mettre au pilon, pour mémoire, rafraîchir la mémoire, tirer de l'oubli, tomber dans l'oubli...
Thème n° 2 - L'extraordinaire
Problématique
La vie quotidienne se caractérise par son rythme régulier et rassurant, parfois monotone. L'habitude émousse la vue, l'ouïe, l'odorat et le goût. Tout semble s'affadir et ne plus mériter l'intérêt. A l'inverse, l'extraordinaire a un véritable pouvoir de révélation. Il fait surgir des réalités hors du commun aussi bien que des sensations nouvelles.
L'événement rompt le fil continu du temps et donne à l'instant une intensité qui suscite des émotions fortes : joie, surprise, émerveillement... Il donne le sentiment d'une plénitude qui justifie tous les superlatifs. Parfois, l'événement surgit spontanément - à l'occasion d'une découverte inattendue, d'une initiative improbable, d'un trait de génie. Mais ne faut-il pas aussi susciter l'extraordinaire, le chercher puisqu'il est difficile de se satisfaire de la plate répétition du quotidien ? Faut-il alors créer le moment inédit qui fait date ?
Notre société se plaît dans la production de l'événement, en fait même une pratique si courante qu'elle frise la banalité. La recherche permanente de l'inédit, de la sensation, la surenchère organisée dans l'extraordinaire ne nous assujettissent-elles pas à une autre forme de monotonie ?
L'extraordinaire se manifeste aussi dans son extrême violence. Loin d'exciter, il anéantit. Loin de favoriser le verbe et l'hyperbole, il coupe le souffle et la parole. C'est alors le traumatisme qui prévaut et l'habitude retrouvée peut apparaître nécessaire et apaisante.
Il est difficile de juger d'un quotidien auquel on s'est accoutumé, mais il s'avère tout aussi difficile de penser l'extraordinaire, car les émotions jouent contre la prise de distance que demande l'exercice de la raison.
Comment rendre compte du banal ? Comment construire un jugement sur ce dont on finit par oublier le sens et la saveur ? Comment rendre justice à ce que l'usage et l'usure ont voué à la discrétion ?
Inversement, comment penser l'exceptionnel tout en gardant de la mesure ? Comment préserver sa lucidité sans pour autant faire preuve de détachement insensible, de sécheresse de cœur ? Comment trouver les mots qui sonnent juste, restaurer le pouvoir de la parole et éviter les excès d'un verbe affolé face à l'événement qui sidère ?
Mots clés
Acte d'héroïsme, aventure, catastrophe, événement, exceptionnel, extraordinaire, fulgurant, hasard, imprévisible, imprévu, ineffable, inouï, insolite, merveilleux, miracle, original, paroxysme, prodige, séisme, spectaculaire, surprise...
Carnaval, chef-d'œuvre, coup de théâtre, drame, édition spéciale (breaking news), événementiel, fantastique, fête, morceau de bravoure, péripéties, rebondissement, rencontre, rite de passage, romanesque, scoop...
Anéantissement, choc, déconcertant, effroi, étonnement, extase, horreur, intensité, ivresse, ravissement, sensationnel, sidération, sublime, surprise, terreur, traumatisme...
Anodin, banal, classique, coutume, ennui, familier, habitude, insignifiant, insipide, monotone, normal, ordinaire, platitude, quelconque, quotidien, rebattu, régulier, répétition, tradition, usage...
Accoutumance, apaisement, calme, confort, dégoût, ennui, indifférence, lassitude, sérénité...
Indications bibliographiques
Ces indications ne sont en aucun cas un programme de lectures. Elles constituent des pistes et des suggestions pour permettre à chaque enseignant de s'orienter dans la réflexion sur le thème et d'élaborer son projet pédagogique.
Littérature
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes
Louis Aragon, Le Paysan de Paris
J.G. Ballard, Crash ; I.G.H....
Honoré de Balzac, Eugénie Grandet
André Breton, Nadja
Russel Banks, De beaux lendemains
Dino Buzzati, Le Désert des Tartares
Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne
Cicéron, De la divination, I, 97-98
Italo Calvino, Palomar
Raymond Carver, Les Vitamines du bonheur
Nicolas de Chamfort, Tableaux historiques de la Révolution française
François-René de Chateaubriand, Mémoire d'Outre-tombe, I, Année 1789, « Effet de la prise de la Bastille sur la cour - Têtes de Foulon et de Berthier »
Marie Darrieussecq, Truismes
Philippe Delerm, Enregistrements pirates
Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires
Marguerite Duras, La Pluie d'été
Annie Ernaux, Regarde les lumières, mon amour
Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le magnifique
Gustave Flaubert, Madame Bovary
Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près
Jean Follain, Exister
Nicolas Gogol, Nouvelles
Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes
Françoise Héritier, Le Sel de la vie
Serge Joncour, L'Idole
Franz Kafka, La Métamorphose
Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé
D. H. Lawrence, L'Amant de Lady Chatterley
Guy de Maupassant, Une vie ; Nouvelles
François Mauriac, Thérèse Desqueyroux
Pierre Michon, Vies minuscules
Philippe Minyana, Inventaires
Wajdi Mouawad, Incendies
Georges Perec, L'Infra-ordinaire ; Les Choses
Edgar Allan Poe, Nouvelles histoires extraordinaires
Francis Ponge, Le Parti pris des choses
Marcel Proust, Du côté de chez Swann (« Combray »)
Romain Puértolas, L'Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea
Pascal Quignard, Villa Amalia
Philip Roth, Némésis
Madame de Sévigné, lettre à Monsieur de Coulanges, 15 décembre 1670
Stendhal, La Chartreuse de Parme, I.3
Jules Verne, Voyages extraordinaires
Michel Vinaver, 11 septembre 2001
Virginia Woolf, Mrs Dalloway
Essais
Hannah Arendt, Penser l'événement
Bruce Bégout, La Découverte du quotidien
Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens » III, IV ; « Le Narrateur »
André Breton, Le Surréalisme et la Peinture,
Michel de Certeau, L'Invention du quotidien
Régis Debray, Du bon usage des catastrophes
Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne
Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie
Pierre Zaoui, La Traversée des catastrophes
Revue Sociétés n°126, Re-penser l'ordinaire
Films, arts plastiques, bandes dessinées, blogs
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Thomas Cailley, Les Combattants
Eric Chevillard, L'Autofictif
Guy Delisle, Le Guide du mauvais père
Clint Eastwood, Sur la route de Madison
Atom Egoyan, De beaux lendemains
Sergueï Eisenstein, Le Cuirassé « Potemkine »
Roland Emmerich, Independence day
Emmanuel Guibert, La Guerre d'Alan
John Guillermin et Irwing Allen, La Tour infernale
Alfred Hitchcock, L'Auberge de la Jamaïque
Alejandro Inarritu, Birdman
Akira Kurosawa, Vivre,
Emmanuel Lepage, Un printemps à Tchernobyl
Adam McKay, The Big Short (Le Casse du siècle)
Yasujirō Ozu, Dernier Caprice
Brad Peyton, San Andreas
Alain Resnais, Hiroshima mon amour
Riad Sattouf, L'Arabe du futur
Ridley Scott, Seul sur Mars
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Paolo Sorrentino, La Grande Belleza
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Lewis Trondheim, Les Petits Riens
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L'extraordinaire. Quelques définitions :

  • « L’extraordinaire »  :
EXTRAORDINAIRE, adj. et subst. masc.
I. AdjectifA. 1. Qui se produit d'une manière imprévisible en dehors du cours ordinaire des choses. À moins de bouleversements extraordinaires, j'aurai toujours de quoi manger et me chauffer jusqu'à la fin de mes jours (FLAUB.Corresp., 1867, p. 272) :
1. Le producteur assied ses calculs sur la valeur présumable des produits au moment où ils seront achevés. Rien ne le décourage comme une variation qui se joue de tous les calculs. Les pertes qu'il fera seront aussi peu méritées que les profits extraordinaires que de telles variations peuvent lui procurer...
SAY, Écon. pol., 1832, p. 220.
2. Qui a lieu à l'occasion d'un événement exceptionnel; qui a lieu en dehors des règles prévuesUn congrès extraordinaire. Chaque fois qu'il y avait distribution extraordinaire de vivres, à l'occasion d'une fête (HUYSMANSOblat, t. 2, 1903, p. 138). La durée de la session ordinaire ou la réunion en session extraordinaire [du Parlementdépendait du gouvernement (VEDELDr. constit., 1949, p. 405).
 Courrier extraordinaire. Dépéché en dehors des courriers réguliers. Si le temps n'a pas mis obstacle à ma dépêche télégraphique, et s'il n'est point arrivé d'accident à mon courrier extraordinaire, expédié hier à quatre heures, j'espère que vous avez reçu le premier sur le continent la nouvelle de la mort subite de lord Londonderry (CHATEAUBR.Mém., t. 3, 1848, p. 120).
 Conseiller d'État en service extraordinaire. ,,Conseiller d'État qui n'a pas de traitement, et qui ne remplit pas de fonction au conseil`` (Ac. 1835-1932).
 ADMIN. Dépenses, recettes extraordinaires. Non régulières, destinées aux investissements. [Le budget départementalse subdivise en recettes ordinaires et en recettes extraordinaires; en dépenses ordinaires et en dépenses extraordinaires, obligatoires ou facultatives (BACQUIASConseil gén. et conseil arrondiss., 1934, p. 24).
 DR. Qui a des attributions spéciales :
2. Ici, nous avons besoin de nous rappeler tout ce qui a été dit dans le chapitre précédent, tant sur la nécessité de constituer le corps des représentants ordinaires, que sur celle de ne confier ce grand ouvrage qu'à une députation extraordinaire, ayant ad hoc un pouvoir spécial. On ne niera pas que la chambre du tiers aux prochains états généraux ne soit très compétente assurément à convoquer le royaume en « représentation extraordinaire ».
SIEYÈS, Tiers état, 1789, p. 84.
 DR. ANC. Procédure extraordinaire. Procédure criminelle inquisitoriale, par opposition à la procédure civile.
 Question extraordinaire. Torture renforcée. Il fut impossible au vidame de Maulle de trouver ce qu'en termes de justice on nomme un « alibi ». La condamnation à la roue fut prononcée, après la question préalable, ordinaire et extraordinaire, durant les interrogats (VILLIERS DE L'I.-A.Contes cruels, 1883, p. 266).
 DR. INTERNAT. Ambassadeur, envoyé extraordinaire. Celui qui représente un gouvernement pour une cérémonie solennelle ou qui est chargé de traiter une affaire importante. Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui (Doc. hist. contemp., 1946, p. 186).
3. OPT. Rayon extraordinaire. ,,Rayon fourni par une réfraction non prévue par les lois de Descartes`` (DUVAL 1959) :
3. Dans certains mélanges des deux sels à propriétés optiques contraires, la double réfraction était donc annulée; ou plutôt, ces mélanges se comportaient pour une extrémité du spectre, comme l'hyposulfate de plomb, en réfractant le rayon ordinaire moins que le rayon extraordinaire; et pour l'extrémité opposée, comme l'hyposulfate de strontiane, en réfractant le rayon ordinaire plus que le rayon extraordinaire...
DES CLOIZEAUX, Propriétés opt. biréfringentes, 1857, p. 8.
B. 1. Qui étonne, choque, parce qu'il n'est pas conforme à la norme prévisible ou attendue. Léautaud, que j'ai deviné à sa gueule extraordinaire et vraiment saisissante (RIVIÈRECorresp. [avec Alain-Fournier], 1913, p. 339) :
4. Nous avons l'exemple de ces influences d'une force étrangère provenant du monde sensible dans les images fixes qui nous poursuivent, nous persécutent et produisent en nous des sensations ou des sentiments extraordinaires contre nature; les passions, les maladies nerveuses offrent de ces exemples.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1823, p. 392.
5. Sur le renom de cette Espagnole, je m'attendais à des souffles prophétiques, à de formidables empans, à d'extraordinaires visions et pas du tout, c'est simplement bizarre et pompeux, pénible et froid.
HUYSMANS, En route, t. 1, 1895, p. 176.
 Surnaturel, fantastique. Les Histoires extraordinaires d'Edgar Poë.
2. Excentrique, extravagantL'extraordinaire mèche qui, partie de la nuque, s'éparpillait sur le crâne comme le delta d'un maigre fleuve (MAURIACNœud vip., 1932, p. 55) :
6. On ne peut obliger un homme à être bien mis quand c'est un pauvre diable, mais on peut lui savoir mauvais gré de forcer vos regards à s'arrêter sur lui par quelque chose d'excentrique et d'extraordinaire.
KARR, Sous tilleuls, 1832, p. 111.
 [Dans des tours exclam. marquant l'étonnement, l'impatience] C'est extraordinaire!  Vous êtes extraordinaire! s'écriaient les deux autres. Qu'est-ce qui vous faut! (ROMAINSHommes bonne vol., 1938, p. 25).
 [En incise] Chose extraordinaire. Il me doit tout, et, chose extraordinaire, il en a de la reconnaissance (DUHAMELPassion J. Pasquier, 1945, p. 19).
C. [Fonctionne comme superl. d'adj. ayant par eux-mêmes une valeur positive : grand, fort, remarquable, etc.] Qui dépasse de beaucoup le niveau moyen. [Julienlui inspirait en ce moment la passion la plus extraordinaire et la plus folle (STENDHALRouge et Noir, 1830, p. 469). Ce qui pourtant commence à m'apparaître, c'est l'extraordinaire complication, l'enchevêtrement de tous les problèmes coloniaux (GIDEVoy. Congo, 1927, p. 694) :
7. Cet exploit était si extraordinaire, étant donné l'état des moyens techniques d'alors, qu'il parut à certains incroyable, et que sa réalité fut longtemps contestée.
DECAUX, Mesure temps, 1959, p. 58.
 [En parlant d'une pers.] Très doué. Ce Porel, un extraordinaire metteur en scène, un merveilleux fabricateur d'acteurs (GONCOURTJournal, 1891, p. 151) :
8. Cet homme extraordinaire [Pichegru], enfanté par la révolution, sut s'élever, de l'obscurité d'une classe inférieure, à la place la plus brillante de son pays, et redescendre, avec non moins de grandeur, à l'ombre de sa condition première.
CHATEAUBR., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 37.
 [Dans des tours à valeur hyperbolique] Extraordinaire! C'est extraordinaire! Vous êtes extraordinaire. Cf. aussi formidable, sensationnel :
9. Nommez un tableau de temps en temps, citez un roman par-ci, par-là, et ajoutez : superbe!!! extraordinaire!!! délicieux d'exécution!!! étrangement puissant, etc. De cette façon on s'en tire toujours.
MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p. 306.
10. Prévot vient s'asseoir à côté de moi, et il me dit :  c'est extraordinaire d'être vivants... Je ne lui réponds rien et je n'éprouve aucune joie.
SAINT-EXUP., Terre hommes, 1939, p. 218.
II. Subst. masc.A. 1. Vieilli. Exception faite aux habitudes. Synon. extra. La conversation a duré jusqu'à une heure du matin, ce qui était pour nous [Napoléon et l'auteurun extraordinaire (LAS CASESMémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 925).
2. ADMIN. vx. Dépense non prévue à l'ordinaire au budget du Trésor royal. Cependant les guerres durent et s'étendent; Louvois l'emporte. Il faut que Colbert subvienne à cet extraordinaire de dépenses (SAINTE-BEUVECaus. lundi, t. 5, 1851-62, p. 263).
 Fonds (impôts) spéciaux destinés à la guerre et aux imprévus. Il sera créé sur la caisse de l'extraordinaire des assignats, portant intérêt à 5 p. 100, jusqu'à concurrence de la valeur des dits biens à vendre (Recueil textes hist., 1789-91, p. 27). Son domaine de l'extraordinaire [de Napoléons'élevait à plus de sept cents millions (LAS CASESMémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823 p. 107).
 [En parlant du budget d'une pers. privée] Je me réserverai des ressources pour les instans où le vide sera plus accablant, mais la plupart seront prises dans le mouvement et dans l'activité. Les autres ressources auront leurs limites assez étroites, et l'extraordinaire lui-même sera réglé (SENANCOURObermann, t. 2, 1840, p. 100).
3. THÉÂTRE, vx. Jouer à l'extraordinaire. Doubler, par dérogation, le prix de certaines places :
11. Une ordonnance de police de l'an 1609 avait défendu aux comédiens de prendre plus de cinq sous au parterre et dix sous aux loges et galeries, sauf le cas où, ayant à représenter des pièces pour lesquelles il conviendrait de faire plus de frais, il y serait pourvu exceptionnellement sur leur requête; les comédiens ne se faisaient pas faute de profiter de cette latitude, et, dès qu'une pièce était supposée devoir attirer la foule, ils jouaient à l'extraordinaire.
J. Loiseleur, Le Temps, 31 oct. 1876 ds LITTRÉ.
B. Ce qui sort de l'ordinaire; ce qui étonne, choque. L'homme, naturellement ami du nouveau et de l'extraordinaire, se transporte par la pensée dans les régions lointaines (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. XVII). La mode, qui décide aussi affirmativement en littérature qu'en costumes, veut à présent de l'extraordinaire, et pourvu qu'un roman soit effroyablement merveilleux, on lui passe de blesser le bon sens (FIÉVÉEDot Suzette, 1798, p. 5) :
12. On veut toujours que ce soit l'extraordinaire qui nous démonte, alors que c'est l'ordinaire qui est l'effrayant.
MONTHERL., Pitié femmes, 1936, p. 1216.
C. Rare. Ce qui est au-dessus du moyen; ce qui est excellent. L'égalité engendre l'uniformité, et c'est en sacrifiant l'excellent, le remarquable, l'extraordinaire, que l'on se débarrasse du mauvais (RENANSouv. enf., 1883, p. XIX).
III. Par extraordinaire, loc. adv. Par exception. J'ai été ce soir voir la princesse Marcelline; par extraordinaire, elle était seule (DELACROIXJournal, 1853, p. 73) :
13. [M. de Norpois était habitué à considérer] les dîners en ville comme faisant partie de ses fonctions, et à y déployer une grâce invétérée dont c'eût été trop lui demander de se départir par extraordinaire quand il venait chez nous.
PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 438.
Tout événement, fait ou phénomène qui sort de l’ordinaire, rompt avec le quotidien, bouscule les habitudes, surprend, effraie, étonne, émerveille, dérange. L’extraordinaire instaure toujours une rupture dans nos vies. L’extraordinaire renvoie à tout phénomène réel ou fictif inhabituel qui se produit en dehors du cours ordinaire des choses.

 ORDINAIRE, adj. et subst.
I. AdjectifA. 1. a) Qui découle d'un ordre de choses ou appartient à un type présenté comme commun et normal (pour ce à quoi réfère le syntagme). Synon. courant, habituel, normal; anton. exceptionnel.En position d'épithète postposée. Bourgeois, médecin, ouvrier ordinaire; état ordinaire; la vie ordinaire; vivres ordinaires; respiration ordinaire; le public ordinaire. Du jardin, qui est à la hauteur d'un premier étage ordinaire, on découvre une vue magnifique (DUMAS fils, Dame Cam., 1848, p.177). Mme Vigneron n'est pas une cliente ordinaire pour moi, je la gâte (BECQUE, Corbeaux, 1882, 3, 5, p.175). Nous ne pouvons donc, comme dans l'addition ordinaire, intervertir l'ordre des termes (H. POINCARÉ, Valeur sc., 1905, p.122):
1. Il en résulte un produit de matières grasses, qui peut à la rigueur tenir lieu de viande, et qui la remplace en effet presque entièrement dans l'alimentation ordinaire du Berbère.
VIDAL DE LA BL., Princ. géogr. hum., 1921, p.135.
En position d'épithète antéposée, littér. Ces quelques semaines d'héroïque vie commune (...) les avaient unis, plus étroitement que des années d'ordinaire amitié n'auraient pu le faire (ZOLA, Débâcle, 1892, p.488). Sa conversation mettait en poésie les plus ordinaires circonstances de la vie (FRAPIÉ, Maternelle, 1904, p.1).
Emploi impers. Il est ordinaire que/de + inf. Il était ordinaire que le costume fût fixé invariablement par les lois de chaque cité (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p.132).
b) Spécialement ART MILIT., vx. Pas ordinaire. Pas que les troupes sont censées prendre lorsqu'on ne leur en ordonne pas d'autre et qui est le plus lent de ceux qu'on leur a enseignés. La longueur du pas ordinaire est de deux pieds, et sa vitesse de soixante et seize par minute (Ac. 1835, 1878).
 DROITTribunal* ordinaire.Question ordinaire (vx). Premier degré de la torture. Arrêt qui ordonne que préalablement l'accusé subira la question ordinaire et extraordinaire (Ac. 1835, 1878).

 PHILOS. Langage ordinaire. Langage qui s'exprime par les langues naturelles (par opposition aux langages logiques ou mathématiques) et qui permet la communication dans la vie quotidienne. Anton. langage formel. La philosophie du langage ordinaire. Toutes les lois sont donc tirées de l'expérience; mais pour les énoncer, il faut une langue spéciale; le langage ordinaire est trop pauvre (H. POINCARÉ, Valeur sc., 1905, p.141).
2. [Le subst. qualifié est rapporté à qqc. ou à qqn]
a) [Le subst. exprime une fonction sociale] Dont le référent accomplit de manière habituelle ou en fonction d'un ordre établi la fonction désignée par le substantif. Synon. habituel. Dieudonné Cavrois était leur victime ordinaire (ADAM, Enf. Aust., 1902, p.183):
2. Charruel (...) demanda la permission d'allumer une cigarette, tout en dissertant de cette voix appliquée (...) qu'il «plaçait», (...) fût-ce pour commander deux oeufs sur le plat à son gargotier ordinaire.DUHAMELSuzanne, 1941, p.83.
 SpécialementHIST. [En parlant des officiers de la maison du Roi] Qui remplit ses fonctions toute l'année ou de manière habituelle. Anton. extraordinaire. Maître d'hôtel ordinaire. Médecin ordinaire (Ac.). Musicien ordinaire de la musique du roi, de la chapelle du roi (Ac. 1835-1935). Sur ce brick, se trouvait également un gentilhomme ordinaire de la chambre de SM le Roi Charles X (BALZAC, E. Grandet, 1834, p.234). C'était pourtant ce que le peintre ordinaire de sa majesté voulait exiger de notre dévouement (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p.246).
P. méton., emploi subst. Musicien ordinaire de la maison du roi. M. Francoeur le fils, l'un des vingt-quatre ordinaires de la Musique de la Chambre (LAURENCIE, Éc. fr. violon, 1922, p.197).
ADMIN., DR. Juge ordinaire, cour ordinaire. Juge, cour, qui siégeaient toute l'année et non seulement un semestre (d'apr. Ac. 1835, 1878). Il demanda son renvoi par-devant les juges ordinaires (Ac. 1835).
[Au Conseil d'État] Service ordinaire. Nul ne peut être nommé conseiller d'État en service ordinaire avant l'âge de quarante-cinq ans. Les conseillers en service extraordinaire sont nommés pour une période de quatre ans, non renouvelable avant l'expiration d'un délai de deux ans (Lar. encyclop. Suppl. 1968, s.v. conseil).
b) [Le subst. désigne une activité] Qui est exercé(e) de manière habituelle et/ou réglé(e) par quelqu'un. Synon. coutumier, normal, habituel; anton. exceptionnel, inhabituel, inaccoutumé. C'était le directeur du Casino (...) qui faisait sa partie ordinaire [de billardavec le comique de sa troupe (MAUPASS., Mt-Oriol, 1887, p.22):
3. ... nous faisions, frappant des pieds, puis des mains, la ronde rituelle, en chantant l'hymne sonrhaï. «Telles étaient nos occupations ordinaires de petites filles libres (...)»
BENOIT, Atlant., 1919, p.241.
c) [Le subst. désigne un sentiment, un affect, ou une capacité] Qu'on éprouve ou qu'on manifeste habituellement. Synon. habituel, coutumier; anton. inaccoutumé, inhabituel. Emploi épithète. Je lui annonçai avec ma franchise ordinaire que cette incapacité de travail durerait peut-être aussi longtemps que lui (ABOUT, Roi mont., 1857, p.270). Eh bien, continuons, dit enfin Bordenave de sa voix ordinaire, parfaitement calme (ZOLA, Nana, 1880, p.1328). Je savais (...) que le grand chef mentait, qu'il n'y avait pas d'entente entre les puissances. C'était son bluff ordinaire (MILLE, Barnavaux, 1908, p.227).
 Emploi attribut [Avec un compl. à valeur de datif] Sa politique [de Crassusdevait être de se ménager des amis parmi eux [les conspirateurspour le cas d'une révolution, car cette prévoyance est ordinaire à tous les riches (MÉRIMÉE, Essai, Conjur. Catilina, 1844, p.261). Le fermier (...) éprouvait une gêne évidente qui ne lui était pas ordinaire (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Hist. fille de ferme, 1881, p.289). Nul (...) ne trouvait à redire à cette attente prolongée, comme si la prostration actuelle de ces gens ne différait que peu de l'état qui leur était ordinaire (MONTHERL., Célibataires, 1934, p.899).
d) [Le subst. renvoie à un ordre de mesure] Qui a pour valeur, mesure, telle ou telle valeur, mesure habituelle. Le bail des meubles fournis pour garnir une maison entière (...) est censé fait pour la durée ordinaire des baux de maisons (Code civil, 1804, art.1757, p.319). Mais 1500 francs me semble un prix exorbitant. Je crois que 1000 francs est le prix ordinaire d'un in-8 (FLAUB., Corresp., 1861, p.413).
B. Qui présente des caractéristiques, une valeur, une qualité qui ne dépassent pas le niveau moyen par opposition à quelque chose d'autre pour lequel celles-ci sont supérieures. Synon. banal, commun, quelconque; anton. remarquable, extraordinaire. Esprit ordinaire; manières ordinaires. Lisa (...) coupait des tranches de saucisson. Elle passa au jambon fumé et au jambon ordinaire (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p.672). Chéri détourna la tête vers la dame en noir, une brune robuste, ordinaire et féline (COLETTE, Fin Chéri, 1926, p.120). Georgette a décidé de ne plus voir sur sa table de vin ordinaire à dix ou douze sous le litre (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p.245):
4. ... je suis un homme si ordinaire, si affreusement semblable à tous les hommes !
DUHAMEL, Confess. min., 1920, p.79.
 Emploi attribut. Dans le petit Saint Martin de Van Dyck, copié par Géricault, la composition est très ordinaire, cependant l'effet de ce cheval et de ce cavalier est immense (DELACROIX, Journal, 1947, p.175)Il avait beau chausser les bottes de sept lieues, frotter la lampe d'Aladin, elles avaient perdu leurs vertus magiques... Tout restait plat, ordinaire, et à la lumière crue du jour que rien ne colorait, il était obligé de voir les ruines (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p.103).
 En partic. Gens très ordinaires. De condition sociale modeste. Réfléchissez que vous êtes d'un autre rang que nous; que nous sommes des gens de travail, des gens ordinaires, et que vous êtes d'une famille distinguée (ERCKM.-CHATR., Ami Fritz, 1864, p.220).
II. Subst. masc.A. Ce qui se produit, ce qu'on fait en vertu d'un ordre des choses présenté comme commun et normal (pour une situation ou un type de choses donné). C'est un homme au-dessus de l'ordinaire (Ac. 1835-1935). Je me prononce contre l'idée d'une souscription. Une souscription, c'est l'ordinaire de ces sortes de manifestations (HUGO, Corresp., 1864, p.466).
 LocutionsÊtre (comme) à son ordinaire. Être dans sa forme, dans sa disposition habituelle. Alors, quelqu'un vous a fait quelque chose? Vous n'êtes pas comme à votre ordinaire... (BOURGET, Disciple, 1889, p.127).
À mon/ton/etc. ordinaire. À mon/ton/etc. habitude. Son Altesse le Prince de Monaco va venir, à son ordinaire, fumer un cigare sur cette terrasse (SARDOU, Rabagas, 1872, I, 1, p.1). Il était peut-être plus adroit (...) d'aller et venir dans le logement, comme à mon ordinaire (DUHAMEL, Confess. min., 1920, p.25).
Pour l'ordinaire. D'une manière conforme à l'usage. Synon. ordinairement. La conversation qui précède un grand dîner se borne, pour l'ordinaire, à des lieux communs de politesse, à des phrases banales sur le tems, la saison et les spectacles (JOUY, Hermite, t.4, 1813, p.317).
Contre l'ordinaire. D'une manière contraire à l'usage ou à l'habitude. Elle avait, contre l'ordinaire, un petit bonnet; elle n'avait pas quitté encore le vêtement flottant du matin (MICHELET, Journal, 1858, p.402).
Sortir de l'ordinaire. S'écarter de l'usage habituel, de la pratique courante:
5. Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran. De l'avis général, ils n'y étaient pas à leur place, sortant un peu de l'ordinaire.CAMUS, Peste, 1947, p.1217.
D'ordinaire. De façon habituelle. Synon. à l'accoutumée, habituellement, ordinairement. Où prenais-je l'audace et l'habileté nécessaires à ce plaidoyer, moi si timide d'ordinaire et silencieux à l'excès? (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p.128). Remarquez que, d'ordinaire, elle ne nous battait jamais sans nous en donner les motifs (H. BAZIN, Vipère, 1948, p.71).
À l'ordinaire. Suivant un usage normalement reconnu ou accepté, suivant la manière accoutumée. Synon. à l'accoutumée, ordinairement. Peu s'en fallait qu'il ne le nommât à l'ordinaire, «Buonaparte» (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p.267). Ses yeux gris-bleu, gais à l'ordinaire, avaient un reflet de tristesse au repos (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p.37).
B. En partic.1. Ce qui constitue habituellement un repas (gén. au restaurant ou dans une communauté donnée). Servir, manger l'ordinaire. D'avoir à préparer l'ordinaire, depuis la mort de sa belle-mère (...), lui était tous les jours une nouvelle pénitence (GUÈVREMONT, Survenant, 1945p.45). Trois jours plus tard, l'ordinaire, qui nous avait ébloui aux premiers repas, se réduisant à quelques trognons de choux (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p.305).
 En partic. Vin d'ordinaire. ,,Le vin de qualité ordinaire que l'on boit au cours du repas, à la différence des vins plus fins que l'on boit au rôti et au dessert, etc. Un bon vin d'ordinaire`` (Ac. 1935).
 ART MILIT.Nourriture servie à la troupe par opposition à celle du mess des sous-officiers ou du mess des officiers. Il avait oublié la boîte de sardines qu'il a achetée la veille, tellement les macaronis gris de l'ordinaire le dégoûtaient (BARBUSSE, Feu, 1916, p.156).
Subst. indiquant le grade ou la fonction + d'ordinaire. Personnel (ayant tel ou tel grade) chargé d'assurer et/ou de superviser la préparation des repas de la troupe. Le caporal d'ordinaire, sentant faiblir le cuistot désemparé, a un beau geste (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p.72). Des délégations venaient souvent s'entretenir avec l'officier d'ordinaire pour lui apporter des pourboires (MALRAUX, Cond. hum., 1933, p.246).
2. LITURG. CATH.a) Ordinaire de la messe. Ensemble des prières dont le texte est invariant et qu'on retrouve dans les messes tout au long de l'année (à la différence du «propre du temps» ou du «propre des Saints»). Pendant la grand'messe, le choeur ne chante pas toutes les prières récitées par l'officiant, mais participe à l'«ordinaire» et au «propre» (DUPRÉ, Manuel accompagn. plain-chant grégor., s.d., p.28). En réalité, ce qu'apprend une petite fille élevée, comme Angélique, dans la piété (...) ce n'est point la légende dorée, ce sont les prières, l'ordinaire de la messe (A. FRANCE, Vie littér., 1890, p.290).
b) Tout supérieur qui a juridiction spirituelle sur des religieux (ordinaire simple) ou sur les catholiques d'un district ecclésiastique (ordinaire du lieu). Il a pris un visa de l'ordinaire (Ac.). Je ne me suis pas laissé abattre par la résistance de monsieur le curé (...) Et il m'a répondu: «Nous sommes respectueusement soumis à l'ordinaire. Allez à l'archevêché (...)» (A. FRANCE, Hist. comique, 1903, p.143).
3. Vx. Coursier de la poste partant à jours réguliers. L'ordinaire de Lyon (Ac. 1835, 1878). Il s'est passé trois ordinaires sans que j'aie de vos nouvelles (Ac. 1798-1878).