Troisième
séquence :
Le
personnage de roman, du XVIIe à nos jours.
Jean
Giono, Les Âmes
fortes, « Une héroïne du XX e siècle : Thérèse »
Texte
3, édition folio pp. 332 à 333
Je
me disais : « Nous recommencerons cette petite
conversation demain, à tête reposée, ma toute belle ; à
tête reposée. »
Puis,
j'entendais son pas qui fuyait précipitamment vers la gauche.
C'est que Firmin arrivait par la droite. Je lui avais fait une
telle réputation qu'on le craignait comme la peste.
J'ouvrais
les yeux. C'était bien lui. Il arrivait à point nommé,
l'idiot ! Je la regardais fuir. Elle était ivre.
Je
me disais : « Je vous serrerai le kiki, ma belle dame,
jusqu'à ce que vous tiriez une langue d'un mètre ! »
J'étais
loin de me douter qu'à la fin elle m'échapperait.
-
As-tu fini ton histoire, Thérèse ?
-
Oui, là, somme toute, elle est finie.
-
Alors, je continue la mienne, car tu sais moi je n'ai pas dit le
plus beau.
Thérèse
sortit comme une folle de la chambre où la diaconesse veillait le
corps de monsieur Numance. Elle chercha madame Numance par toute
la maison. Cette fille si tendre était agitée par une terrible
crise de nerfs et elle hennissait comme un cheval, courait de haut
en bas dans les escaliers, faisait claquer les portes. La
religieuse lui en fit beaucoup de reproches. Elle lui répondit
vertement et des choses assez grossières. Elle fouilla jusqu'à
la cave, usant plus d'un cent d'allumettes, à éclairer tous les
recoins, pleurnichant comme une chatte. Elle saccagea tout le
portemanteau du vestibule, jetant à terre les manteaux, les
robes, les peignoirs, les piétinant avec rage et, l'instant
d'après, mordant et embrassant les lambeaux de ces étoffes où
restaient encore des parfums. Enfin, elle sauta dans la nuit, en
criant.
Elle
chercha dans le jardin, sous les buissons, et même dans les
branches basses des arbres. Firmin, à qui la victoire avait coupé
bras et jambes et que d'ailleurs Reveillard asticotait rudement
tout en attelant son cheval, finit par s'inquiéter de ces
gémissements qui se traînaient dans l'ombre. Quand il s'aperçut
que c'était Thérèse hors d'elle, il fut tout à coup soulagé
de pouvoir enfin se mettre en colère contre quelqu'un. Il aimait
mieux affronter ces cris que les petits mots tranchants de
Reveillard qui profitait des circonstances pour tirer une autre
épingle du jeu. « Cette sacrée garce, dit-il, va finir par
révolutionner le quartier. Je vais lui foutre mon pied quelque
part. »
Il
la trouva qui était en train de trébucher comme un ivrogne dans
les herbes hautes du près. « Tu n'as pas fini foutue bête,
qu'est-ce que tu as à gueuler comme ça ? » dit-il. Et
il la frappa. Mais il ne s'attendait pas à être assailli par un
chat sauvage et il roula à terre, n'ayant pas assez de ses mains
pour protéger ses yeux.
On
peut dire qu'ils se flanquèrent une bonne tripotée. Mais Thérèse
avait la passion pour elle. Elle mordait et griffait pour une
question de vie ou de mort. Firmin dut partir en courant.
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