lundi 10 avril 2017

Les Ames fortes texte 3

Troisième séquence :
Le personnage de roman, du XVIIe à nos jours.
Jean Giono, Les Âmes fortes, « Une héroïne du XX e siècle : Thérèse »

Texte 3, édition folio pp. 332 à 333

    Je me disais : « Nous recommencerons cette petite conversation demain, à tête reposée, ma toute belle ; à tête reposée. »
    Puis, j'entendais son pas qui fuyait précipitamment vers la gauche. C'est que Firmin arrivait par la droite. Je lui avais fait une telle réputation qu'on le craignait comme la peste.
    J'ouvrais les yeux. C'était bien lui. Il arrivait à point nommé, l'idiot ! Je la regardais fuir. Elle était ivre.
    Je me disais : « Je vous serrerai le kiki, ma belle dame, jusqu'à ce que vous tiriez une langue d'un mètre ! »
    J'étais loin de me douter qu'à la fin elle m'échapperait.

- As-tu fini ton histoire, Thérèse ?
- Oui, là, somme toute, elle est finie.
- Alors, je continue la mienne, car tu sais moi je n'ai pas dit le plus beau.

    Thérèse sortit comme une folle de la chambre où la diaconesse veillait le corps de monsieur Numance. Elle chercha madame Numance par toute la maison. Cette fille si tendre était agitée par une terrible crise de nerfs et elle hennissait comme un cheval, courait de haut en bas dans les escaliers, faisait claquer les portes. La religieuse lui en fit beaucoup de reproches. Elle lui répondit vertement et des choses assez grossières. Elle fouilla jusqu'à la cave, usant plus d'un cent d'allumettes, à éclairer tous les recoins, pleurnichant comme une chatte. Elle saccagea tout le portemanteau du vestibule, jetant à terre les manteaux, les robes, les peignoirs, les piétinant avec rage et, l'instant d'après, mordant et embrassant les lambeaux de ces étoffes où restaient encore des parfums. Enfin, elle sauta dans la nuit, en criant.
    Elle chercha dans le jardin, sous les buissons, et même dans les branches basses des arbres. Firmin, à qui la victoire avait coupé bras et jambes et que d'ailleurs Reveillard asticotait rudement tout en attelant son cheval, finit par s'inquiéter de ces gémissements qui se traînaient dans l'ombre. Quand il s'aperçut que c'était Thérèse hors d'elle, il fut tout à coup soulagé de pouvoir enfin se mettre en colère contre quelqu'un. Il aimait mieux affronter ces cris que les petits mots tranchants de Reveillard qui profitait des circonstances pour tirer une autre épingle du jeu. « Cette sacrée garce, dit-il, va finir par révolutionner le quartier. Je vais lui foutre mon pied quelque part. »
    Il la trouva qui était en train de trébucher comme un ivrogne dans les herbes hautes du près. « Tu n'as pas fini foutue bête, qu'est-ce que tu as à gueuler comme ça ? » dit-il. Et il la frappa. Mais il ne s'attendait pas à être assailli par un chat sauvage et il roula à terre, n'ayant pas assez de ses mains pour protéger ses yeux.
    On peut dire qu'ils se flanquèrent une bonne tripotée. Mais Thérèse avait la passion pour elle. Elle mordait et griffait pour une question de vie ou de mort. Firmin dut partir en courant.



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