samedi 20 janvier 2018

F - Dictionnaire personnel à l'usage de tous

Frayer
Frayer : frotter par va-et-vient
Le mot «frayer» vient du latin fricare, «frotter». On dit «frayer un chemin», c’est-à-dire tracer un chemin à force de passer toujours au même endroit. D’allers en venues, les pieds frottent la terre au même endroit, jusqu’à ce que l’herbe ne repousse plus. Frayer, c’est aussi emprunter si souvent le même trajet qu’on se creuse un chemin : la terre, durcie à force d’avoir été piétinée, déroule un ruban nu à travers champs. Dans l’Encyclopédie de Diderot, il est marqué : «Celui qui fait les premiers pas ouvre la route, ceux qui la suivent la fraient. Une route frayée ou qui a déjà été fréquentée, c’est la même chose. Frayer à quelqu’un la route du vice, c’est lever ses scrupules et aplanir toutes les difficultés.» De même, le cerf «fraye» lorsqu’il frotte ses bois contre les arbres, raclant leur tronc par va-et-vient, jusqu’à mettre l’os de sa ramure à nu.
Le frai du cerf
En hiver, le cerf ne se distingue guère de sa femelle. Au printemps, ses bois poussent. Les deux organes qui se dressent brusquement sur son front, peuvent atteindre 40 centimètres en trois mois et sont recouverts d’une peau aussi agréable à caresser que celle du pénis humain. On l’appelle «velours» tant cette peau est douce. A la fin de l’été, cependant, le taux de testostérone augmente chez l’animal et la vascularisation s’interrompt. Les velours se dessèchent et tombent en lambeaux. Le cerf s’en débarrasse en frottant ses bois contre les arbres : on dit qu’il fraye.
Frayer avec le beau monde
Frayer se dit aussi «des poissons quand ils s’approchent pour la génération» (Dictionnaire de l’Académie française, 1762), c’est-à-dire lorsque les femelles frottent leur ventre contre des pierres ou des algues pour y pondre leurs œufs et que les mâles s’y frottent à leur tour pour les féconder. La période de frai désigne donc – par analogie avec ces mouvements sinueux de bas-ventre – la période de reproduction. Le mot «frai» désigne jusqu’à l’usure des pièces de monnaie à force de circuler. Tout ce qui aplani les obstacles, érode les angles aigus, rend les relations plus douces entre humains. Raison pour laquelle «frayer» est synonyme d’«entretenir des relations familières et suivies». On «fraye avec le beau monde».
Erosion désirée
Diderot parle aussi de se «frayer à soi-même le chemin», soit par des efforts du génie atteindre un but par des moyens inconnus aux autres. Il y a dans l’énergie immense que l’on perd à avancer, en se frottant contre la matière, une forme d’exténuement. Mais «dans un monde qui ne connaîtrait ni frottement ni adhérence, nos gestes les plus simples deviendraient pour la plupart inopérants : tenir un crayon, lacer ses chaussures, serrer une vis, appuyer une échelle au mur ou tout simplement marcher. Nous n’aurions ni bicyclettes, ni automobiles, ni trains (excepté les trains à sustentation), du moins sous la forme qui nous est familière…» (Wikipedia). Sans frottements, il n’y aurait pas non plus de caresses, ni ces baisers qui sont toutes les formes de l’usure à laquelle nous aspirons : devenir plus légers et plus fins, enfin.

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