mardi 16 janvier 2018

Séquence : Les réécritures du XVIIe siècle à nos jours. Les dénouements de Médée : Laurent Gaudé, Médée Kali

Médée a tué ses enfants. Ne supportant pas l'idée que ses fils reposent en terre grecque, elle revient sur leur tombeau ; elle évoque ici le moment où elle a commis le double meurtre.
Scène III
[…] Je vous regarde comme une mère regarde ses enfants.
Je vous souris.
Je cherche de la main le couteau que j'ai aiguisé le matin.
Je vous prends alors dans mes bras,
Fort,
Comme nous le faisons parfois pour jouer.
Je serre
Et vous riez de cette étreinte, vous riez d'asphyxie.
Je serre encore.
Je glisse doucement le couteau sur la gorge du premier,
Et le sang coule, noir et épais, le long de ma main.
Le sang coule.
L'un de vous rit encore, je crois, à moins que ce ne soit moi.
Je vous tiens serrés.
Vous ne comprenez pas encore mais la peur vous saisit.
Vous voulez partir,
Vous voulez courir,
Je vous tiens contre moi.
Le deuxième d'entre vous, je lui sectionne le jarret,
Vos sangs se mêlent sur moi.
Il faut de la force pour vous empêcher de bouger.
Il faut de la force
Et j'en ai.
Vous êtes pâles maintenant,
Vous vous débattez moins vigoureusement.
Je sens les corps qui s'abandonnent,
Qui deviennent plus lourds au fond des bras.
J'ai les mains rouges
Et je vous embrasse doucement.
Je fais glisser mes lèvres sur vos plaies,
Le sang est tiède et me coule entre les dents.
Je ne veux pas que vous ayez mal.
Vous sentez la langue de votre mère qui vous lèche la vie.
Je suis une chienne.
Vous ne bougez plus.
Mon visage est couvert de sang.
Je vous bois, je vous enlace, je vous lèche doucement.
Je ne tremble pas,
Je vous aime,
Mes enfants,
Je vous aime et vous tiens fermement.
Vous êtes lourds maintenant et inertes.
Le sang continue à couler.
Il y a tant de sang en vous.
Mes enfants,
Vous n'êtes plus,
Mes enfants.



Ils vous ont enterrés comme des Grecs,
Avec la vanité du marbre.
C'est pour cela que je reviens.
Je veux vous extraire de la terre froide de votre père
Et vous confier aux flammes du bûcher.
Votre mère est là,
La chienne,
L'étrangère.
Je vous aime.
Tout doit disparaître.
Les ossements, les stèles,
Tout doit disparaître.
Je veux que Jason pleure sur un tombeau vide.
Mes enfants,
Je suis enragée.
Le châtiment n'est pas encore complet.
Je ne vous laisserai pas dans cette terre.
Je ne vous laisserai pas si près de votre père. 


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