mardi 16 janvier 2018

Séquence : Les réécritures du XVIIe siècle à nos jours. Les dénouements de Médée : Max Rouquette, Médée (2003)

 Max Rouquette, Médée (2003)


Max Rouquette, Médée (2003)
Scène 21
Entrent Jason et les miliciens.
Jason : Voici la sorcière aux mains rouges. Saisissez-là ! Que s'arrête ici le fleuve de sang.
Les miliciens bondissent.
Médée , soudain dressée devant la couverture rouge, Rappelle tes chiens si tu veux les revoir !
Jason, aux miliciens : un instant !...(À Médée) Qu'as-tu fait ?...En fallait-il tant encore ?… Quand la vie des enfants abordait à la paix…
Médée : J'ai donné la paix à Créuse, j'ai donné la paix à Créon. J'ai eu le souci de leur donner la soif de l'immortalité.
Au royaume des ombres ils sont descendus tandis que flambe le palais.
Te voici Roi. Seul, à tout jamais.
Jason : Donne-moi les enfants.
Médée : Tu n'en auras plus d'autres.
Jason : Ils seront rois.
Médée : Tu n'as plus qu'eux à aimer.
Jason : Je te le promets : ils seront Rois comme ton père et le leur.
Médée : Je suis heureuse. Et pourtant tout n'est pas fini.
Jason : Rends-moi les enfants pour en faire des Rois.
Médée : Pour être Rois où ils seront, ils n'auront besoin de personne.
Jason, bondissant : Tu ne le feras pas !…
Médée : Ne bouge pas !…
Jason : Oui, bien, achève sur moi ta vengeance ! Tu peux me frapper !…
Médée : Mieux me plaît que tu vives. La mort est une paix trop douce à côté de ce que je te destine.
            Bienheureuse Créuse, bienheureux Créon, qui ne savent plus ce qu'est vivre. Les autres sont morts. Ceux du grand voyage de l'amour. Mais toi tu vivras, toi, le plus criminel. De ses yeux, Médée berce les gouffres du temps.
Tu vivras, tu deviendras vieux, très vieux, car la plus grande peine est de vivre, une fois passée la vraie vie.
            Comme un chien malade, pelé, galeux, repoussé par tous, inconnu de tous, supporté comme un mal sacré ; comme une malédiction dont le motif est oublié. Plus perdu entre les hommes qu'un rocher dans toute la mer.
Relique de temps révolus. En tout étrangère à son royaume, tant par l'âge que par l'origine : la seule chance qui te reste de te faire prendre pour un dieu.
              Tu ne sera plus là que pour attendre.
Comme vit un mort avant qu'on ne l'allonge parmi les morts éternels.
Comme de milliers de morts qui se croient encore vivants parce qu'au regard du soleil-dieu, ils traînent encore leur ombre. Seul. Seul. De tes fils , il ne te restera que l'absence. Une douleur, un regret. Vois comme je t'aime : je te laisse quelqu'un sur qui pleurer. Leur souvenir sera le seul compagnon de ta solitude : une sorte de pain amer, inépuisable et moisi …
Jason : Finissons ! Je te laisse partir. Mais rends-moi les enfants.
Milicien : Elle va s'enfuir avec les enfants.
Médée se dresse comme un serpent, devant la couverture rouge, le bras tendu.
Médée : Lâche tes chiens ! Appelle la ville entière ! Pour autant que tu ouvres les yeux, ils ne seront jamais assez grands ouverts. Tu veux les enfants ?...Je te les laisse !...Prends-les !… Les voici !..
Elle écarte brusquement la couverture rouge et montre les corps des enfants étendus l'un sur l'autre.
Fais-en des Rois !…
Adieu Jason ! Je te laisse, en présent, le baiser de Créuse : jusqu'à plus de cent ans, puisse ta bouche en conserver le goût de cendre.
Adieu ! Elle passe derrière la couverture retombée.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire