jeudi 26 octobre 2017

Devoir Roman : L'Etranger, Madame de Lafayette, etc.

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :
Vous comparerez ces demandes en mariage en mettant en évidence la façon dont elles caractérisent les personnages de roman suivants : Mademoiselle de Chartres et le prince de Clèves; Jean et Madame Rosémilly; Meursault et Marie.
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire : Vous commenterez le texte de Maupassant (Texte B).

Dissertation : Comment, à travers les relations qu'il établit entre ses personnages, un roman peut-il construire une vision du monde particulière ? Vous traiterez ce sujet en vous appuyant sur les textes du corpus, les textes étudiés en classe et vos lectures personnelles.

Invention : Marie Cardona, de retour chez elle, raconte dans son journal intime le moment passé avec Meursault. Vous imaginerez et rédigerez ce passage du journal, en précisant les pensées, les impressions, les interrogations et les sentiments que vous prêtez à la narratrice.

Texte A : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves.
[L'histoire se passe à Paris, dans le milieu de la cour, au XVIème siècle, sous le règne d'Henri II. Mlle deChartres a essayé d'épouser le cousin germain du roi, mais celui-ci s'est vivement opposé à cette tentative demariage.]
    Personne n'osait plus penser à Mlle de Chartres, par la crainte de déplaire au roi ou par la pensée de ne pas réussir auprès d'une personne qui avait espéré un prince du sang. M. de Clèves ne fut retenu par aucune de ces considérations. La mort du duc de Nevers, son père, qui arriva alors, le mit dans une entière liberté de suivre son inclination et, sitôt que le temps de la bienséance du deuil fut passé, (1) il ne songea plus qu'aux moyens d'épouser Mlle de Chartres. Il se trouvait heureux d'en faire la proposition dans un temps où ce qui s'était passé avait éloigné les autres partis et où il était quasi assuré qu'on ne la lui refuserait pas. Ce qui troublait sa joie, était la crainte de ne pas lui être agréable, et il eût préféré le bonheur de lui plaire à la certitude de l'épouser sans en être aimé.
     Le chevalier de Guise (2) lui avait donné quelque sorte de jalousie; mais comme elle était plutôt fondée sur le mérite de ce prince que sur aucune des actions de Mlle de Chartres, il songea seulement à tâcher de découvrir s'il était assez heureux pour qu'elle approuvât la pensée qu'il avait pour elle. Il ne la voyait que chez les reines (3) ou aux assemblées; il était difficile d'avoir une conversation particulière. Il en trouva pourtant les moyens et lui parla de son dessein et de sa passion avec tout le respect imaginable; il la pressa de lui faire connaître quels étaient les sentiments qu'elle avait pour lui et il lui dit que ceux qu'il avait pour elle étaient d'une nature qui le rendraient éternellement malheureux si elle n'obéissait que par devoir aux volontés de madame sa mère. 
      Comme Mlle de Chartres avait le coeur très noble et très bien fait, elle fut véritablement touchée de reconnaissance du procédé du prince de Clèves. Cette reconnaissance donna à ses réponses et à ses paroles un certain air de douceur qui suffisait pour donner de l'espérance à un homme aussi éperdument amoureux que l'était ce prince; de sorte qu'il se flatta d'une partie de ce qu'il souhaitait.
     Elle rendit compte à sa mère de cette conversation, et Mme de Chartres lui dit qu'il y avait tant de grandeur et de bonnes qualités dans M. de Clèves et qu'il faisait paraître tant de sagesse pour son âge que, si elle sentait son inclination portée à l'épouser, elle y consentirait avec joie. Mlle de Chartres répondit qu'elle lui remarquait les mêmes bonnes qualités; qu'elle l'épouserait même avec moins de répugnance qu'un autre, mais qu'elle n'avait aucune inclination particulière pour sa personne.
    Dès le lendemain, ce prince fit parler à Mme de Chartres; elle reçut la proposition qu'on lui faisait et elle ne craignit point de donner à sa fille un mari qu'elle ne pût aimer en lui donnant le prince de Clèves. Les articles
                       (4 )furent conclus; on parla au roi, et ce mariage fut su de tout le monde.
1 Inclination : penchant, désir.
2 ll est tombé amoureux de Mlle de Chartres peu après son ami Clèves dont il est ainsi devenu un rival.
3 Il s'agit de quatre reines : la femme du roi (Catherine de Médicis), la favorite du roi (Diane de Poitiers), la soeur du roi et
l'épouse du fils du roi.
4 Les articles : écrits officiels faisant office de contrat.
Texte B : Guy de Maupassant, Pierre et Jean.
[Monsieur et Madame Roland sont des bourgeois aisés du XIXème siècle. Avec leurs deux fils, Pierre et Jean, ils vont passer une journée, en compagnie d'une amie de la famille, Madame Rosémilly, sur une plage de Normandie. Jean, le frère cadet, qui se prépare à vingt-cinq ans à devenir avocat, parvient à s'isoler du groupe, avec Madame Rosémilly, une jeune veuve de vingt-deux ans. Ils essaient tous deux de pêcher des crustacés entre les rochers. Madame Rosémilly, « adroite et rusée », vient justement d'en attraper plusieurs.]
Jean maintenant ne trouvait rien, mais il la suivait pas à pas, la frôlait, se penchait sur elle, simulait un
grand désespoir de sa maladresse, voulait apprendre.
- Oh ! montrez-moi, disait-il, montrez-moi !
Puis, comme leurs deux visages se reflétaient, l'un contre l'autre, dans l'eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient une glace limpide, Jean souriait à cette tête voisine qui le regardait d'en bas, et parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber dessus.
- Ah ! que vous êtes ennuyeux, disait la jeune femme; mon cher, il ne faut jamais faire deux choses à la fois.
Il répondit :
- Je n'en fais qu'une. Je vous aime.
Elle se redressa, et d'un ton sérieux :
- Voyons, qu'est-ce qui vous prend depuis dix minutes, avez-vous perdu la tête ?
- Non je n'ai pas perdu la tête. Je vous aime, et j'ose, enfin, vous le dire.
Ils étaient debout maintenant dans la mare salée qui les mouillait jusqu'aux mollets, et les mains ruisselantes appuyées sur leurs filets, ils se regardaient au fond des yeux.
Elle reprit, d'un ton plaisant et contrarié :
- Que vous êtes malavisé de me parler de ça en ce moment ! Ne pouviez-vous attendre un autre jour et ne pas me gâter ma pêche ?
Il murmura :
- Pardon, mais je ne pouvais plus me taire. Je vous aime depuis longtemps. Aujourd'hui vous m'avez grisé à me faire perdre la raison.
Alors, tout à coup, elle sembla en prendre son parti, se résigner à parler d'affaires et à renoncer aux plaisirs.
- Asseyons-nous sur ce rocher, dit-elle, nous pourrons causer tranquillement.
Ils grimpèrent sur un roc un peu haut, et lorsqu'ils y furent installés côte à côte, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit :
- Mon cher ami, vous n'êtes plus un enfant et je ne suis pas une jeune fille. Nous savons fort bien l'un et l'autre de quoi il s'agit, et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m'épouser. ll ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit niaisement :
- Mais oui.
- En avez-vous parlé à votre père et à votre mère ?
- Non, je voulais savoir si vous m'accepteriez.
Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan :
- Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n'oubliez point que je ne voudrais pas déplaire à vos parents.
- Oh ! pensez-vous que ma mère n'a rien prévu et qu'elle vous aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage entre nous ?
- C'est vrai, je suis un peu troublée.
Ils se turent. Et il s'étonnait, lui, au contraire, qu'elle fût si peu troublée, si raisonnable. Il s'attendait à des gentillesses galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau ! Et c'était fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles. Ils n'avaient plus rien à se dire puisqu'ils étaient d'accord et ils demeuraient maintenant un peu embarrassés tous deux de ce qui s'était passé, si vite, entre eux, un peu confus même, n'osant plus parler, n'osant plus pêcher, ne sachant que faire.
Texte C : Albert Camus, L'Étranger.
[L'histoire se déroule dans la première moitié du XXème siècle. Le narrateur, Meursault, vit et travaille à Alger. Le lendemain de l'enterrement de sa mère, il rencontre Marie Cardona, une ancienne collègue de bureau, et passe la nuit avec elle. Au chapitre V, il ne la connaît que depuis une dizaine de jours.]
Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier 5 avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois6, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? » a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J'ai répondu : « Non. » Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit : « Naturellement. » Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi.
J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais (7) vécu dans un temps et elle m'a demandé comment c'était. Je lui ai dit : « C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. »
Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j'ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendant un moment, nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit que nous pouvions dîner ensemble chez Céleste (8). Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé : « Tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire ? » Je voulais bien le savoir, mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher. Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.
5 Marie est venue chercher Meursault sur son lieu de travail.
6 Elle lui a posé la même question le samedi précédent, après une journée à la plage.
7 Son patron lui a proposé le matin même un poste à Paris.
8 Il s'agit d'un restaurant où se rend souvent Meursault.


Devoir Roman : Claudel, Robbe-Grillet, Kundera et Marivaux

TEXTE 1. Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, La Vie de Marianne, 1742
[Nous sommes au début du roman.]
    Avant que de donner cette histoire au public, il faut lui apprendre comment je l'ai trouvée.
    Il y a six mois que j'achetai une maison de campagne à quelques lieues de Rennes, qui, depuis trente ans, a passé successivement entre les mains de cinq ou six personnes. J'ai voulu faire changer quelque chose à la disposition du premier appartement, et dans une armoire pratiquée dans l'enfoncement d'un mur, on y a trouvé un manuscrit en plusieurs cahiers contenant l'histoire qu'on va lire, et le tout d'une écriture de femme. On me l'apporta ; je le lus avec deux de mes amis qui étaient chez moi, et qui depuis ce jour-là n'ont cessé de me dire qu'il fallait le faire imprimer : je le veux bien, d'autant plus que cette histoire n'intéresse personne. Nous voyons par la date que nous avons trouvée à la fin du manuscrit, qu'il y a quarante ans qu'il est écrit; nous avons changé le nom de deux personnes dont il y est parlé, et qui sont mortes. Ce qui y est dit d'elles est pourtant très indifférent ; mais n'importe : il est toujours mieux de supprimer leurs noms.
    Voilà tout ce que j'avais à dire : ce petit préambule m'a paru nécessaire, et je l'ai fait du mieux que j'ai pu, car je ne suis point auteur, et jamais on n'imprimera de moi que cette vingtaine de lignes-ci.
    Passons maintenant à l'histoire. C'est une femme qui raconte sa vie ; nous ne savons qui elle était. C'est la Vie de Marianne ; c'est ainsi qu'elle se nomme elle-même au commencement de son histoire ; elle prend ensuite le titre de comtesse ; elle parle à une de ses amies dont le nom est en blanc, et puis c'est tout.
Quand je vous ai fait le récit de quelques accidents de ma vie, je ne m'attendais pas, ma chère amie, que vous me prieriez de vous la donner toute entière, et d'en faire un livre à imprimer. Il est vrai que l'histoire en est particulière, mais je la gâterai, si je l'écris ; car où voulez-vous que je prenne un style ?
    II est vrai que dans le monde on m'a trouvé de l'esprit ; mais, ma chère, je crois que cet esprit-là n'est bon qu'à être dit, et qu'il ne vaudra rien à être lu.
    Nous autres jolies femmes, car j'ai été de ce nombre, personne n'a plus d'esprit que nous, quand nous en avons un peu: les hommes ne savent plus alors la valeur de ce que nous disons ; en nous écoutant parler, ils nous regardent, et ce que nous disons profite de ce qu'ils voient.
    J'ai vu une jolie femme dont la conversation passait pour un enchantement, personne au monde ne s'exprimait comme elle; c'était la vivacité, c'était la finesse même qui parlait : les connaisseurs n'y pouvaient tenir de plaisir. La petite vérole lui vint, elle en resta extrêmement marquée: quand la pauvre femme reparut, ce n'était plus qu'une babillarde incommode. Voyez combien auparavant elle avait emprunté d'esprit de son visage ! Il se pourrait bien faire que le mien m'en eût prêté aussi dans le temps qu'on m'en trouvait beaucoup. Je me souviens de mes yeux de ce temps-là, et je crois qu'ils avaient plus d'esprit que moi.
    Combien de fois me suis-je surprise à dire des choses qui auraient eu bien de la peine à passer toutes seules ! Sans le jeu d'une physionomie friponne qui les accompagnait, on ne m'aurait pas applaudie comme on faisait, et si une petite vérole était venue réduire cela à ce que cela valait, franchement, je pense que j'y aurais perdu beaucoup.
    Il n'y a pas plus d'un mois, par exemple, que vous me parliez encore d'un certain jour (et il y a douze ans que ce jour est passé) où, dans un repas, on se récria tant sur ma vivacité ; eh bien ! en conscience, je n'étais qu'une étourdie. Croiriez-vous que je l'ai été souvent exprès, pour voir jusqu'où va la duperie des hommes avec nous ? Tout me réussissait, et je vous assure que dans la bouche d'une laide, mes folies auraient paru dignes des Petites-Maisons : et peut-être que j'avais besoin d'être aimable dans tout ce que je disais de mieux. Car à cette heure que mes agréments sont passés, je vois qu'on me trouve un esprit assez ordinaire, et cependant je suis plus contente de moi que je ne l'ai jamais été. Mais enfin, puisque vous voulez que j'écrive mon histoire, et que c'est une chose que vous demandez à mon amitié, soyez satisfaite: j'aime encore mieux vous ennuyer que de vous refuser.
    Au reste, je parlais tout à l'heure de style, je ne sais pas seulement ce que c'est. Comment fait-on pour en avoir un ? Celui que je vois dans les livres, est-ce le bon ? Pourquoi donc est-ce qu'il me déplaît tant le plus souvent ? Celui de mes lettres vous paraît-il passable ? J'écrirai ceci de même.
    N'oubliez pas que vous m'avez promis de ne jamais dire qui je suis ; je ne veux être connue que de vous.
    Il y a quinze ans que je ne savais pas encore si le sang d'où je sortais était noble ou non, si j'étais bâtarde ou légitime. Ce début paraît annoncer un roman : ce n'en est pourtant pas un que je raconte; je dis la vérité comme je l'ai apprise de ceux qui m'ont élevée.
TEXTE 2. Alain Robbe-Grillet, Les Gommes, 1953
Dans la pénombre de la salle de café le patron dispose les tables et les chaises, les cendriers, les siphons d'eau gazeuse ; il est six heures du matin.
    II n'a pas besoin de voir clair, il ne sait même pas ce qu'il fait. Il dort encore. De très anciennes lois règlent le détail de ses gestes, sauvés pour une fois du flottement des intentions humaines ; chaque seconde marque un pur mouvement : un pas de côté, la chaise à trente centimètres, trois coups de torchon, demi-tour à droite, deux pas en avant, chaque seconde marque, parfaite, égale, sans bavure. Trente et un. Trente-deux. Trente-trois. Trente-quatre. Trente-cinq. Trente-six. Trente-sept. Chaque seconde à sa place exacte.
    Bientôt malheureusement le temps ne sera plus le maître. Enveloppés de leur cerne d'erreur et de doute, les événements de cette journée, si minimes qu'ils puissent être, vont dans quelques instants commencer leur besogne, entamer progressivement l'ordonnance idéale, introduire çà et là, sournoisement, une inversion, un décalage, une confusion, une courbure, pour accomplir peu à peu leur œuvre: un jour, au début de l'hiver, sans plan, sans direction, incompréhensible et monstrueux.
    Mais il est encore trop tôt, la porte de la rue vient à peine d'être déverrouillée, l'unique personnage présent en scène n'a pas encore recouvré son existence propre. II est l'heure où les douze chaises descendent doucement des tables de faux marbre où elles viennent de passer la nuit. Rien de plus. Un bras machinal remet en place le décor.
    Quand tout est prêt, la lumière s'allume...
TEXTE 3. Milan Kundera, L'Immortalité, 1990
[Le narrateur écrit un roman]
    Quand je me suis réveillé, il était déjà presque huit heures et demie ; j'imaginai Agnès. Comme moi, elle est allongée dans un grand lit. La moitié droite du lit est vide. Qui est le mari ? Apparemment, quelqu'un qui sort de bonne heure le samedi. C'est pourquoi elle est seule et, délicieusement, balance entre réveil et rêverie.
    Puis elle se lève. En face, sur un long pied, un téléviseur se dresse. Elle lance sa chemise, qui vient recouvrir l'écran d'une blanche draperie. Pour la première fois je la vois nue, Agnès, l'héroïne de mon roman. Elle se tient debout, près du lit, elle est jolie, et je ne peux la quitter des yeux. Enfin, comme si elle avait senti mon regard, elle s'enfuit dans la pièce voisine et s'habille.
    Qui est Agnès?
    De même qu’Ève est issue d'une côte d'Adam, de même que Vénus est née de l'écume, Agnès a surgi d'un geste de la dame sexagénaire, que j'ai vue au bord de la piscine saluer de la main son maître nageur et dont les traits s'estompent déjà dans ma mémoire. Son geste a alors éveillé en moi une immense, une incompréhensible nostalgie, et cette nostalgie a accouché du personnage auquel j'ai donné le nom d'Agnès.
TEXTE 4. Philippe Claudel, Les Âmes grises, 2003
Si on me demandait par quel miracle je sais tous les faits que je vais raconter, je répondrais que je les sais, un point c'est tout. Je les sais parce qu'ils me sont familiers comme le soir qui tombe et le jour qui se lève. Parce que j'ai passé ma vie à vouloir les assembler et les recoudre, pour les faire parler, pour les entendre. C'était jadis un peu mon métier.
    Je vais faire défiler beaucoup d'ombres. L'une surtout sera au premier plan. Elle appartenait à un homme qui se nommait Pierre-Ange Destinat. Il fut procureur à V., pendant plus de trente ans, et il exerça son métier comme une horloge mécanique qui jamais ne s'émeut ni ne tombe en panne. Du grand art si l'on veut, et qui n'a pas besoin de musée pour se mettre en valeur. En 1917, au moment de l'Affaire, comme on l'a appelée chez nous tout en soulignant la majuscule avec des soupirs et des mimiques, il avait plus de soixante ans et avait pris sa retraite une année plus tôt. C'était un homme grand et sec, qui ressemblait à un oiseau froid, majestueux et lointain. Il parlait peu. Il impressionnait beaucoup. Il avait des yeux clairs qui semblaient immobiles et des lèvres minces, pas de moustache, un haut front, des cheveux gris.
    V. est distant de chez nous d'une vingtaine de kilomètres. Une vingtaine de kilomètres en 1917, c'était un monde déjà, surtout en hiver, surtout avec cette guerre qui n'en finissait pas et qui nous amenait un grand fracas sur les routes, de camions et de charrettes à bras, et des fumées puantes ainsi que des coups de tonnerre par milliers car le front n'était pas loin, même si de là où nous étions, c'était pour nous comme un monstre invisible, un pays caché.
    Destinat, on l'appelait différemment selon les endroits et selon les gens. A la prison de V., la plupart des pensionnaires le surnommaient Bois-le-sang. Dans une cellule, j'ai même vu un dessin au couteau sur une grosse porte en chêne qui le représentait. C'était d'ailleurs assez ressemblant. Il faut dire que l'artiste avait eu tout le temps d'admirer le modèle durant ses quinze jours de grand procès.
    Nous autres dans la rue, quand on croisait Pierre-Ange Destinat, on l'appelait « Monsieur le Procureur ». Les hommes soulevaient leur casquette et les femmes modestes pliaient le genou. Les autres, les grandes, celles qui étaient de son monde, baissaient la tête très légèrement, comme les petits oiseaux quand ils boivent dans les gouttières. Tout cela ne le touchait guère. Il ne répondait pas, ou si peu, qu'il aurait fallu porter quatre lorgnons bien astiqués pour voir ses lèvres bouger. Ce n'était pas du mépris comme la plupart des gens le croyaient, c'était je pense tout simplement du détachement.
    Malgré tout, il y eut une jeune personne qui l'avait presque compris, une jeune fille dont je reparlerai, et qui elle, mais pour elle seule, l'avait surnommé Tristesse. C'est peut-être par sa faute que tout est arrivé, mais elle n'en a jamais rien su.
I. Question commune: Dans leur manière d'introduire les personnages, ces textes cherchent-ils à donner l'illusion du réel ?II. Au choix:
Dissertation: Un roman doit-il chercher à faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs? Commentaire: vous commenterez le texte de Marivaux.
Invention: L'extrait des 
Gommes de Alain Robbe-Grillet se termine par: « Quand tout est prêt, la lumière s'allume...». En veillant à respecter l'atmosphère installée par ce début, vous imaginerez une suite consacrée à l'arrivée d'un nouveau personnage dans le café. Vous vous inspirerez des procédés qui figurent dans le texte.


Devoir poésie : Lamartine, Florian, Jean de La Ville de Mirmont

TEXTE 1. Jean-Pierre Claris de Florian, « Le voyage » Fables, IV, 21 (1792)
Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route,
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !
TEXTE 2. Alphonse de Lamartine, « Les Voiles » poème publié en 1873 dans Œuvre posthume
Quand j'étais jeune et fier et que j'ouvrais mes ailes,
Les ailes de mon âme à tous les vents des mers,
Les voiles emportaient ma pensée avec elles,
Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers.
Je voyais dans ce vague où l'horizon se noie
Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin
Des continents de vie et des îles de joie
Où la gloire et l'amour m'appelaient de la main.
J'enviais chaque nef qui blanchissait l'écume,
Heureuse d'aspirer au rivage inconnu,
Et maintenant, assis au bord du cap qui fume,
J'ai traversé ces flots et j'en suis revenu.
Et j'aime encor ces mers autrefois tant aimées,
Non plus comme le champ de mes rêves chéris,
Mais comme un champ de mort où mes ailes semées
De moi-même partout me montrent les débris.
Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste,
Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ;
La foudre ici sur moi tomba de l'arc céleste
Et chacun de ces flots roule un peu de mon cœur.
TEXTE 3. Jean-Michel Maulpoix, L’instinct du ciel, Section III, 2000
Je suis cet homme tout bossué de sacs et de valises qui va et vient dans sa propre vie, avec des départs, des retours, portant au coeur des coups, et des bleus plein la tête, avec des cartables de cuir remplis de phrases et des serviettes bourrées de lettres, toujours rêvant de se blottir dans le sac à main d'une femme, parmi les tubes de rouge à lèvres, les miroirs, les photos d'enfants et les flacons de parfum.
Cet homme hérissé d'antennes essaie de capter son amour sur les ondes et tend vers lui des fils où il se prend les pieds. Cet homme-là ne sait pas auprès de qui il dormira le soir-même, ni en quel sens demain matin s'en ira la vie.
Tic-tac de l'encre et du désir... L'existence balance son pendule entre le côté des livres et le côté de l'amour, les tickets d'envol et les longues stations dans la chambre, le dos tourné et les bras ouverts, l'homme immobile et le piéton, celui qui ne croit plus au ciel et celui qui l'espère encore, celui qui fabrique des figures et celui qui veut un visage.
Il fut un temps où je poussais dans mes racines de par ici, ne connaissant des lointains que la rêverie et de la langue les mots les plus approximatifs. Mais j'ai quitté l'allée de buis et le petit jardin. Je ne m'alimente plus en eau par les racines mais par le ciel.
J'ai fumé la cigarette du voyage. Elle m'a piqué les yeux et fait battre le coeur plus vite. Elle a laissé sur mes retours et mes réveils un goût de tabac froid. J'ai toussé, j'ai perdu ma voix. J'ai deux grosses valises sous les yeux. Je suis un voyageur brumeux qui n'y voit plus très clair et qui croit encore nécessaire de s'en aller plus loin.
J’ai fui, j'ai pris le large. L'habitude surtout de n'être nulle part, en apnée dans ma propre vie. Portrait du poète fin-de-siècle en créature d'aéroport, avec cette tête bizarre qu'a l'homme des foules en ces lieux-là : cerveau de gélatine blanche, œil à demi ensommeillé tourné vers le dedans, mais de la fièvre au bout des doigts.
Je m'en suis allé de par le monde, à la recherche de mes semblables : les inconnus, les passagers, les hommes en vrac et en transit que l'on rencontre dans les aéroports et sur les quais des gares. Ceux dont on ne sait rien et que l'on ne connaîtra pas. Ceux que malgré tout on devine, à cause de leurs tickets, leur fatigue, leurs bagages. Ceux de nulle part et de là-bas, qui s'en vont chercher des soleils en poussant leur vie devant eux et en perdant mémoire.
TEXTE 4. Jean de La Ville de Mirmont, L’horizon chimérique, recueil posthume 1920
Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts.
La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s'arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas.
Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.
Sujet :
I. Question commune: Comparez les conceptions du voyage qui s'expriment dans ces textes.
II. Au choix :
Commentaire : vous commentez le texte de Lamartine
Dissertation: Pensez-vous que la poésie soit une invitation au voyage ?
Invention: Deux lycéens confrontent leurs points de vue sur le rôle du voyage pour nourrir l'inspiration Poétique: l'un estime le voyage indispensable, l'autre lui oppose que l'on peut faire œuvre poétique sans avoir voyagé. Imaginez ce dialogue.


Devoir théâtre : Ionesco et Giraudoux

TEXTE 1. Jean Giraudoux, Amphitryon 38, acte I scène 5 (1929)
[Jupiter veut séduire Alcmène qui est résolument fidèle à Amphitryon, son mari. Pour l’approcher et parvenir à ses fins, il lui faut donc éloigner celui-ci en l’envoyant à la guerre et prendre son apparence tandis que Mercure prendra celle de Sosie, le serviteur d’Amphitryon. Jupiter achève sa métamorphose avant de se présenter devant Alcmène. ]
MERCURE : C’est votre corps entier qui doit être sans défaut… Venez là, à la lumière, que je vous ajuste votre uniforme d’homme… Plus près, je vois mal.
JUPITER : Mes yeux sont bien ?
MERCURE : Voyons vos yeux… Trop brillants… Ils ne sont qu’un iris, sans cornée, pas de soupçon de glande lacrymale; – peut-être allez-vous avoir à pleurer ; – et les regards au lieu d’irradier des nerfs optiques, vous arrivent d’un foyer extérieur à vous à travers votre crâne… Ne commandez pas au soleil vos regards humains. La lumière des yeux terrestres correspond exactement à l’obscurité complète dans notre ciel… Même les assassins n’ont là que deux veilleuses… Vous ne preniez pas de prunelles, dans vos précédentes aventures?
JUPITER : Jamais, j’ai oublié… Comme ceci, les prunelles ?
MERCURE : Non, non, pas de phosphore… Changez ces yeux de chat ! On voit encore vos prunelles au travers de vos paupières quand vous clignez… On ne peut se voir dans ces yeux-là… Mettez-leur un fond.
JUPITER : L’aventurine ne ferait pas mal, avec ses reflets d’or.
MERCURE : À la peau maintenant !
JUPITER : À ma peau ?
MERCURE : Trop lisse, trop douce, votre peau… C’est de la peau d’enfant. Il faut une peau sur laquelle le vent ait trente ans soufflé, qui ait trente ans plongé dans l’air et dans la mer, bref qui ait son goût, car on la goûtera. Les autres femmes ne disaient rien, en constatant que la peau de Jupiter avait goût d’enfant ?
JUPITER : Leurs caresses n’en étaient pas plus maternelles.
MERCURE : Cette peau-là ne ferait pas deux voyages… Et resserrez un peu votre sac humain, vous y flottez!
JUPITER : C’est que cela me gêne… Voilà que je sens mon cœur battre, mes artères se gonfler, mes veines s’affaisser… Je me sens devenir un filtre, un sablier de sang…L’heure humaine bat en moi à me meurtrir. J’espère que mes pauvres hommes ne souffrent pas cela…
MERCURE : Le jour de leur naissance et le jour de leur mort.
JUPITER : Très désagréable, de se sentir naître et mourir à la fois.
MERCURE : Ce ne l’est pas moins, par opération séparée.
JUPITER : As-tu maintenant l’impression d’être devant un homme ?
MERCURE : Pas encore. Ce que je constate surtout, devant un homme, devant un corps vivant d’homme, c’est qu’il change à chaque seconde, qu’incessamment il vieillit. Jusque dans ses yeux, je vois la lumière vieillir.
JUPITER : Essayons. Et pour m’y habituer, je me répète : je vais mourir, je vais mourir…
MERCURE : Oh ! Oh ! Un peu vite ! Je vois vos cheveux pousser, vos ongles s’allonger, vos rides se creuser…
Là, là, plus lentement, ménagez vos ventricules. Vous vivez en ce moment la vie d’un chien ou d’un chat.
JUPITER : Comme cela ?
MERCURE : Les battements trop espacés maintenant. C’est le rythme des poissons…Là… là… Voilà ce galop moyen, cet amble, auquel Amphitryon reconnaît ses chevaux et Alcmène le cœur de son mari...
JUPITER : Tes dernières recommandations ?
MERCURE : Et votre cerveau ?
JUPITER : Mon cerveau ?
MERCURE : Oui, votre cerveau… Il convient d’y remplacer d’urgence les notions divines par les humaines… Que pensez-vous ? Que croyez-vous ? Quelles sont vos vues de l’univers, maintenant que vous êtes homme?
JUPITER : Mes vues de l’univers ? Je crois que cette terre plate est toute plate, que l’eau est simplement de l’eau, que l’air est simplement de l’air, la nature la nature, et l’esprit l’esprit… C’est tout ?
MERCURE : Avez-vous le désir de séparer vos cheveux par une raie et de les maintenir par un fixatif ?
JUPITER : En effet, je l’ai.
MERCURE : Avez-vous l’idée que vous seul existez, que vous n’êtes sûr que de votre propre existence ?
JUPITER : Oui. C’est même très curieux d’être ainsi emprisonné en soi-même.
MERCURE : Avez-vous l’idée que vous pourrez mourir un jour ?
JUPITER : Non. Que mes amis mourront, pauvres amis, hélas oui ! Mais pas moi.
MERCURE : Avez-vous oublié toutes celles que vous avez déjà aimées ?
JUPITER : Moi ? Aimer ? Je n’ai jamais aimé personne ! Je n’ai jamais aimé qu’Alcmène.
MERCURE : Très bien ! Et ce ciel, qu’en pensez-vous ?
JUPITER : Ce ciel, je pense qu’il est à moi, et beaucoup plus depuis que je suis mort que lorsque j’étais Jupiter! Et ce système solaire, je pense qu’il est bien petit, et la terre immense, et je me sens soudain plus beau qu’Apollon, plus brave et plus capable d’exploits amoureux que Mars, et pour la première fois, je me crois, je me vois, je me sens vraiment maître des dieux.
MERCURE : Alors vous voilà vraiment homme !… Allez-y ! Mercure disparaît.
TEXTE 2. Eugène Ionesco, Rhinocéros, acte II tableau 2 (1959)
[Dans une petite ville, les habitants se transforment peu à peu en rhinocéros, métaphore de la barbarie. Bérenger, venu rendre visite à son ami Jean, assiste à cette transformation.]
BÉRENGER : Parlez plus distinctement. Je ne comprends pas. Vous articulez mal.
JEAN, toujours de la salle de bains : Ouvrez vos oreilles !
BÉRENGER : Comment ?
JEAN : Ouvrez vos oreilles. J’ai dit, pourquoi ne pas être un rhinocéros ? J’aime les changements.
BÉRENGER : De telles affirmations venant de votre part… (Bérenger s’interrompt, car Jean fait une apparition effrayante. En effet, Jean est devenu tout à fait vert. La bosse de son front est presque devenue une corne de rhinocéros.) Oh ! Vous semblez vraiment perdre la tête ! (Jean se précipite vers son lit, jette les couvertures par terre, prononce des paroles furieuses et incompréhensibles, fait entendre des sons inouïs.) Mais ne soyez pas si furieux, calmez-vous ! Je ne vous reconnais plus.
JEAN, à peine distinctement : Chaud…trop chaud. Démolir tout cela, vêtements, ça gratte, vêtements, ça gratte. Il fait tomber le pantalon de son pyjama.
BÉRENGER : Que faites-vous ? Je ne vous reconnais plus ! Vous, si pudique d’habitude !
JEAN : Les marécages ! Les marécages !…
BÉRENGER : Regardez-moi ! Vous ne semblez plus me voir ! Vous ne semblez plus m’entendre !
JEAN : Je vous entends très bien ! Je vous vois très bien ! Il fonce vers Bérenger tête baissée. Celui-ci s’écarte.
BÉRENGER : Attention !
JEAN, soufflant bruyamment : Pardon ! Puis il se précipite à toute vitesse dans la salle de bains.
BÉRENGER fait mine de fuir vers la porte de gauche, puis fait demi-tour et va dans la salle de bains à la suite de Jean, en disant : Je ne peux tout de même pas le laisser comme cela, c’est un ami. (De la salle de bains.) Je vais appeler le médecin ! C’est indispensable, indispensable, croyez-moi.
JEAN, dans la salle de bain: Non.
BÉRENGER, dans la salle de bain: Si. Calmez-vous, Jean ! Vous êtes ridicule. Oh ! votre corne s’allonge à vue d’œil!… Vous êtes rhinocéros!
JEAN, dans la salle de bains : Je te piétinerai, je te piétinerai.
Grand bruit dans la salle de bains, barrissements, bruits d’objets et d’une glace qui tombe et se brise; puis on voit apparaître Bérenger tout effrayé qui ferme avec peine la porte de la salle de bains, malgré la poussée contraire que l’on devine.
TEXTE 3. Christine Montalbetti, Le cas Jekyll, 2007.
[Réécriture théâtrale d’une célèbre nouvelle de Robert Louis Stevenson, ce monologue met en scène, sous la forme d’une confession au notaire Utterson, l’histoire étrange d’un scientifique, le docteur Jekyll qui, la nuit venue, se transforme en mister Hyde, dangereux criminel. Il relate l’expérience de sa première métamorphose.]
Il y eut un soir où je sus que j’étais prêt. Je le tiens dans ma main, ce breuvage trouble et fumant, avec son précipité orange qui le zèbre en volutes doucereuses, et qui doit me permettre d’opérer physiquement la dissociation de mes pulsions ! La potion que j’ai confectionnée, hop, je me la siffle. Ah, my goodness ! Cette part-là est presque inénarrable. La douleur que c’est. L’arrachement. L’écartèlement. La réduction. Ce qui me paraît se broyer, de mes os. Ce qui se ratatine. La souffrance atroce du rétrécissement. La déformation.
Nuit maudite ! Or, aussitôt après la douleur considérable, quelque chose de délicieux se met à me couler dans les veines. Chacune est comme un petit ruisseau tout neuf et riant, et qui irrigue de vivifiantes prairies. Peinture exquise ! Je cours vers ma chambre, je veux me voir dans le miroir de ma coiffeuse. Je gambade avec la même joie, je pense, que les premiers hommes qui s’essayèrent à la bipédie. Mon pas est si sautillant, si léger ! La courette me découpe un carré de ciel qui m’est réservé et qui me couvre comme un dais. La lune très grosse entre abondamment dans la pièce et l’éclaire comme en plein jour. Celui que je vois n’est pas fort coquet, pour sûr. Mais ta vilaine face me plaît, comme un autre moi-même.
Il y a dans le mouvement de se reconnaître je ne sais quelle gratification qui dépasse les considérations esthétiques. Que m’importe cette petite taille, cette difformité vague, puisque c’est moi, enfin, sous un nouveau jour, que jusque-là je n’avais pu contempler ! Mais l’aube va naître. Mes gens grappillent leurs dernières minutes de sommeil. Parviendrai-je à reprendre mon apparence d’avant ? Ou bien garderai-je pour toujours ma figure de Hyde? Je traverse la courette dans l’autre sens, vers le laboratoire, avec au coeur un affreux suspens. Non plus sautillant, comme tout à l’heure, mais détalant comme un chat inquiet. J’ai établi soigneusement mes calculs ; or une erreur, n’est-ce pas, peut toujours s’y glisser. Je bois la seconde potion. Sacrebleu ! Dieux du ciel ! Londonienne frayeur ! Mes os de Hyde cette fois s’étirent, mes muscles s’allongent dans des souffrances terribles. Puis cela cesse. Je me dirige de nouveau, encore haletant, jusqu’à ma chambre, et, dans le miroir de ma coiffeuse, je vois qui? Jekyll, qui souffle comme un bœuf, ses jolis traits un peu tirés, mais en tout point semblable à celui qu’il a été. Utterson, for God’s sake, have mercy!
Sujet :
I. Question commune: Comment l’écriture de ces trois textes de théâtre rend-elle compte du processus de transformation des personnages?
II. Au choix :
Commentaire : vous commenterez le texte de Jean Giraudoux (texte A) à partir de « JUPITER : As-tu maintenant l’impression d’être devant un homme ? » ( ) jusqu’à la fin.Dissertation: Au théâtre le rôle du metteur en scène peut-il être plus important que celui de l’auteur ?Invention: Christine Montalbetti répond à un comédien qui s’interroge sur la façon de jouer cette scène et sur les conditions matérielles de la représentation. Vous rédigerez cette lettre, qui doit contenir des indications précises de mise en scène.


Séquence 3 L : Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme : 1re L. Devoir argumentation : Montaigne, Voltaire et Montesquieu



TEXTE A: Extrait des Essais, Montaigne (1533-1592)
Montaigne raconte la venue en France de trois “sauvages” venus d’Amérique.
Trois d'entre eux […] après avoir quitté la douceur de leur ciel pour venir voir le nôtre, furent à Rouen,du temps que leur feu roi Charles neuvième y était. Le Roi parla à eux fort longtemps; on leur fit voir notre façon, notre pompe, la forme d'une belle ville. Après cela, quelqu'un en demanda leur avis, et voulut savoir d'eux ce qu'ils y avaient trouvé de plus admirable; ils répondirent trois choses, d'où j'ai perdu la troisième, et en suis bien marri; mais j'en ai encore deux en mémoire. Ils dirent qu'ils trouvaient en premier lieu fort étrange que tant de grands hommes, portant barbe, forts et armés, qui étaient autour du Roi (il est vraisemblable qu'ils parlaient des Suisses de sa garde), se soumissent à obéir à un enfant, et qu'on ne choisisse plutôt quelqu'un d'entre eux pour commander; secondement (ils ont une façon de leur langage telle, qu'ils nomment les hommes moitié les uns des autres) qu'ils avaient aperçu qu'il y avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de commodités, et que leurs moitiés étaient mendiants à leurs portes, décharnés de faim et de pauvreté; et trouvaient étrange comme ces moitiés ici nécessiteuses pouvaient souffrir une telle injustice, qu'ils ne prissent les autres à la gorge, ou missent le feu à leurs maisons. MontaigneEssais, Livre I chapitre 31, “Des cannibales” (1588)
TEXTE B: Extrait des Lettres persanes, Montesquieu (1689-1755)
Lettre XXX : Rica à Ibben, à Smyrne

Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m'entourait. Si j'étais aux spectacles, je voyais aussitôt cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: "Il faut avouer qu'il a l'air bien persan." Chose admirable ! Je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.
    Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à la charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et quoique j'aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande ville où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan, et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique; car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé, et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche. Mais, si quelqu'un par hasard apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement: " Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ? C'est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? "
De Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712. 
Montesquieu, Lettres persanes, Lettre XXX (1721)
TEXTE C: Candide en Eldorado, extrait de Candide ou l'Optimisme, Voltaire (1694-1778)
Ce conte philosophique raconte l'itinéraire d'un jeune homme nommé Candide, découvrant le monde et mûrissant son regard sur la vie. Alors qu'il est obligé de quitter sa bien-aimée Cunégonde, Candide, en compagnie de son valet Cacambo, poursuit son chemin en Amérique du sud. Ils arrivent tous deux au pays fabuleux d'Eldorado. Un vieux savant les renseigne sur ce pays idyllique.
Candide ne se lassait pas de faire interroger ce bon vieillard; il voulut savoir comment on priait Dieu dans l’Eldorado. « Nous ne le prions point, dit le bon et respectable sage; nous n’avons rien à lui demander; il nous a donné tout ce qu’il nous faut; nous le remercions sans cesse. » Candide eut la curiosité de voir des prêtres; il fit demander où ils étaient. Le bon vieillard sourit. «Mes amis, dit-il, nous sommes tous prêtres; le roi et tous les chefs de famille chantent des cantiques d’actions de grâces solennellement tous les matins; et cinq ou six mille musiciens les accompagnent.
– Quoi ! vous n’avez point de moines qui enseignent, qui disputent, qui gouvernent, qui cabalent, et qui font brûler les gens qui ne sont pas de leur avis ? – Il faudrait que nous fussions fous, dit le vieillard ; nous sommes tous ici du même avis, et nous n’entendons pas ce que vous voulez dire avec vos moines.» Candide à tous ces discours demeurait en extase, et disait en lui-même: «Ceci est bien différent de la Westphalie et du château de monsieur le baron: si notre ami Pangloss avait vu Eldorado, il n’aurait plus dit que le château de Thunder-ten-tronckh était ce qu’il y avait de mieux sur la terre; il est certain qu’il faut voyager.»
    Après cette longue conversation, le bon vieillard fit atteler un carrosse à six moutons, et donna douze de ses domestiques aux deux voyageurs pour les conduire à la cour : «Excusez-moi, leur dit-il, si mon âge me prive de l’honneur de vous accompagner. Le roi vous recevra d’une manière dont vous ne serez pas mécontents, et vous pardonnerez sans doute aux usages du pays s’il y en a quelques-uns qui vous déplaisent.»
VoltaireCandide ou l'Optimisme, chapitre 18 (1759)

Sujet:
I - Question de corpus (4 points): Pourquoi peut-on dire que ces textes ont une portée critique ?

II - Sujet au choix (16 points):

Commentaire: Vous ferez le commentaire du texte de Montesquieu

Dissertation :En quoi l'évocation d'un monde très éloigné du sien permet-elle de faire réfléchir le lecteur ou le spectateur sur la réalité qui l'entoure ? Vous développerez votre argumentation en vous appuyant sur les textes du corpus, les œuvres étudiées en classe et celles que vous avez lues à titre personnel.

Écrit d'invention: Dans un article pour le journal du lycée, vous ferez, à votre choix, l'éloge du voyage ou vous en présenterez une critique. Vous vous appuierez sur certains thèmes évoqués dans les textes du corpus.

lundi 23 octobre 2017

Voltaire, Candide

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/la-compagnie-des-auteurs-jeudi-26-mai-2016

Le Roman

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/la-compagnie-des-auteurs-mercredi-25-mai-2016

Théâtre

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/la-compagnie-des-auteurs-mardi-24-mai-2016

Commentaire

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/bac-de-francais-2017-1-la-poesie-ronsard

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/la-compagnie-des-auteurs-mardi-24-mai-2016


Sophocle, Oedipe Roi

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/bac-de-francais-2017-4-sophocle-le-dissident



https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/cest-ton-destin-14-oedipe-roi-de-sophocle

Ecriture d'invention : Camus

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/bac-de-francais-2017-3-le-roman-camus

Ronsard

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/bac-de-francais-2017-1-la-poesie-ronsard

Victor Hugo

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/la-consolation-44-victor-hugo-l-inconsolable


La Fontaine

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/le-miroir-animal-24-les-creatures-parlantes-de-la

Shakespeare, Le marchand de Venise

Rabelais

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/la-philosophie-par-le-menu-34-rabelais-l-appetit-d

Flaubert, "La Tentation de St-Antoine"

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/tourments-de-la-seduction-34-flaubert-la-tentation

Laclos, Les Liaisons dangereuses

Madame de La Fayette, La Princesse de Clève

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/rousseau-discours-sur-lorigine-et-les-fondements-3

Proust

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/deleuze-et-la-litterature-14-sous-les-signes-de


Beckett

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/deleuze-et-la-litterature-44-beckett-lepuise


Diderot, Le neveu de Rameau

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-lumieres-en-dialogues-24-le-neveu-de-rameau-de-diderot


Montesquieu, Lettres Persanes

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-lumieres-en-dialogues-44-les-lettres-persanes-de

Ovide

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-metamorphoses-dovide-14-la-creation-dun-monde

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-metamorphoses-dovide-24-un-texte-politique

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-metamorphoses-dovide-34-les-passions-des-dieux

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-metamorphoses-dovide-44-une-aventure-du-corps


Romantisme

Le Romantisme

est né en 1820 avec la parution des Méditations Poétiques de Lamartine. Ce mouvement littéraire se caractérise par le refus des règles classiques, par le refus des Lumières et tout ce que cela a comporté : la prédominance de la Raison, l'universalisme et l'idée que l'homme est le produit de lui-même.

a. Qu’est-ce que la révolution Française (date, événement, …).
 En 1789, les bourgeois et le peuple se révoltent contre la monarchie absolue de droit divin et les privilège héréditaires des aristocrates. Cet événement a créé un climat violent en France (la Terreur) qui a influencé les auteurs romantiques. Certains auteurs étaient déçus par les résultats de la Révolution, d’autres, nés de familles nobles, en ont été les victimes.
b. En quoi les histoires d’amour de Lamartine et Musset ont-elles pu influencer leurs textes ?
Lamartine a perdu ses deux maîtresses (mortes de maladie), Musset a vécu deux histoires d’amour qui se sont terminées par la trahison ou la rupture. Ils ont donc été tous deux déçus. Leur conception de l’amour est la suivante : un sentiment fort, des histoires difficiles.
c. Explique les trois conceptions de la nature dans les poèmes ?
- miroir des sentiments du poète et gardienne du souvenir,
- interlocutrice, voire confidente,
- nature qui ne vieillit pas, voire rajeunit (contrairement au poète).
d. Explique l’expression « mal du siècle ». 
Mélancolie des artistes romantiques due à l’influence de la période (Révolution, Terreur).
e. Quelle date marque le début du courant en France, ?
1820, recueil Les méditations poétiques de Lamartine.
f. Où le romantisme est-il né avant d’atteindre la France (deux pays) ? 
Allemagne et Angleterre.
g. Cite quatre thèmes (sauf amour, mal du siècle et nature) du courant. 
Fuite du temps ;
 tristesse et souffrance ;
 mort ; 
fuite dans le passé ou l’exotisme.

h. Les poètes romantiques vivent-ils toujours en dehors de la société  ?
Non, Lamartine s’est impliqué en politique  : il a même tenté d’être président de la République

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-anti-lumieres-14-les-romantiques-contre-les-lumieres


Ecoutez  Chopin :

https://www.youtube.com/watch?v=Llni1Dn-f4U&feature=related

https://www.youtube.com/watch?v=YGRO05WcNDk&feature=related



Ecoutez Frantz Liszt

http://www.youtube.com/watch?v=tbWKOgEL02c

Ecoutez Barbara :

https://www.youtube.com/watch?v=GlVrWsEUFGY&feature=related

A   La mélancolie 

Les raisons à cette mélancolie : 
l'inadaptation de la jeunesse après Napoléon. Jeunesse sans but. Cette génération née après l'épopée napoléonienne se retrouve sans combat tout en étant bercée de légende. 
Nostalgie pour un passé idéal perdu



B Amour immodéré de la nature


Un amour immodéré de la nature sauvage et déchaînée, et des ruines. La nature est un lieu de méditation et de communion, protectrice et déchaînée.


Le rêve de pays exotiques :
 L'Algérie, près de Constantine



 Egypte :




C  l'exaltation du "MOI"

Libération de l'inspiration artistique et des sensations, privilège de l'individu sur la société, le collectif. 

D Spiritualité et aspiration au sacré