mercredi 11 octobre 2017

Séquence 3 L : Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme : 1re L : Jean de Léry Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil (1578), chapitre XVIII



Jean de Léry,
Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil (1578),


chapitre XVIII (extrait), Terres littéraires p.304-305.




Quant à la société de nos sauvages, c'est une chose presque incroyable, et qui ne peut se dire sans faire honte à ceux qui ont les lois divines et humaines, comme étant seulement conduits par leur naturel, quelque corrompu qu'il soit, s'entretiennent et vivent si bien en paix les uns avec les autres. J'entends toutefois chaque nation entre elle-même, ou celles qui sont alliées ensemble : car quant aux ennemis, il a été vu en son lieu comme ils sont étrangement traités. Que si cependant il advient que quelques-uns se querellent (ce qui se fait si peu souvent que durant près d'un an que j'ai été avec eux je ne les ai jamais vu débattre que deux fois), tant s'en faut que les autres tâchent de les séparer et d'y mettre la paix, qu'au contraire quand les contestants se devraient crever les yeux l'un l'autre, sans rien leur dire ils les laisseront faire. Toutefois si quelqu'un est blessé par son prochain, et que celui qui a fait le coup soit appréhendé, il en recevra autant au même endroit de son corps par les proches parents de l'offensé et même si la mort s'en suit, ou qu'il soit tué sur le champ, les parents du défunt feront semblablement perdre la vie au meurtrier. Tellement que pour le dire en un mot, c'est vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, etc. mais comme j'ai dit, cela se voit fort rarement entre eux.
Concernant les biens de ce peuple, consistant en maisons, et (comme j 'ai dit ailleurs) en beaucoup plus de très bonnes terres qu'il nen faudrait pour les nourrir : quant au premier, se trouvant tel village entre eux où il y a de cinq à six cents personnes, encore que plusieurs habitent en une même maison : tant y a que chaque famille (sans séparation toutefois de choses qui puisse empêcher qu'on ne voie d'un bout à l'autre de ces bâtiments, ordinairement longs de plus de soixante pas) ayant son rang à part, le mari a sa femme et ses enfants séparés. Sur quoi il faut noter (ce qui est aussi étrange chez ce peuple) que les Brésiliens ne demeurant ordinairement que cinq ou six mois en ce lieu, emportant ensuite les grosses pièces de bois et les grandes herbes de Pindo, de quoi leurs maisons sont faites et couvertes, ils changent ainsi souvent de place en place leurs villages : lesquels cependant conservent toujours leurs anciens noms : de manière que nous en avons quelquefois trouvé d'éloignés des lieux où nous avons été auparavant, d'un quart ou d'une demi-lieue. Ce qui peut faire juger à chacun, puisque leurs tabernacles sont si aisés à transporter, que non seulement ils n'ont point de grands palais élevés (comme quelqu'un a écrit qu'il y a des Indiens au Pérou qui ont leurs maisons de bois si bien bâties qu'il y a des salles longues de cent cinquante pas, et larges de quatre-vingts), mais aussi que nul de cette nation des Toüoupinambaoults dont je parle, ne commence logis ni bâtiment qu'il ne puisse voir achever, voire faire et refaire plus de vingt fois en sa vie, si toutefois il vient en l'âge d'homme. Que si vous leur demandez pourquoi ils déplacent si souvent leur maisonnée, ils n'ont d'autre réponse que de dire que changeant ainsi d'air, ils s'en portent mieux, et que s'ils faisaient autrement que leurs grands-pères ont fait, ils mourraient soudainement.



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Introduction au texte précédent :


    1492: Christophe Colomb découvre l'Amérique et permet sa colonisation. Dés le XVIIe siècle, les récits de voyage se multiplient; les écrivains humanistes redoublent d'intérêt pour les peuples du nouveau monde. Certains sont de véritables voyageurs comme Jean de Léry. Léry est un cordonnier protestant parti pour le Brésil le 19 novembre 1556, à l'âge de vint-deux ans,  pour échapper aux guerres de religion qui sévissent en Europe. Sa mission est d'établir avec d'autres coreligionnaires une tête de pont au Brésil qui pourra servir de refuge et de base de départ pour implanter le protestantisme en Amérique du sud et aider Villegagnon déjà sur place depuis 1556. Le dimanche 7 mars, Léry et treize autres de ses coreligionnaires arrivent à Guanabara dans la baie de Rio. Mais Villegagnon se reconvertit au catholicisme et les protestants sont expulsés. Léry trouve refuge chez les Indiens Tupinambas. C'est cette expérience qu'il racontera dans un livre, Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil , publié dix-huit ans après son retour. Il y fera le récit de ses aventures et la description du Brésil, tout en gardant en mémoire les drames de la Saint-Barthélemy, à laquelle il fait allusion par exemple dans la description du cannibalisme des Tupinambas, selon lui moins condamnable que celui des catholiques envers leurs frères protestants pendant les guerres de religion . A son retour en France, il devient pasteur protestant et séjourne souvent à Genève, cœur culturel du protestantisme calviniste. En 1572, c’est la Saint-Barthélemy. Les massacres commencent à Paris, mais se prolongent ensuite dans toute la France : c’est le début de la 2nde guerre de religion. Chassé par ces massacres, il se réfugie dans la place forte de Sancerre, qui va être assiégée par les catholiques de janvier à août 1573. Ce sera pour lui une expérience intellectuelle car il va y rencontrer de nombreux pasteurs protestants, parmi lesquels certains sont de célèbres humanistes, ce qui va lui permettre d’approfondir sa culture. Mais ce sera surtout une expérience terrifiante car la ville assiégée va connaître une terrible famine et il assistera impuissant à la mort de nombreux de ses compatriotes protestants. Il racontera cette aventure en 1574 dans l’Histoire mémorable de la ville de Sancerre. C’est l’aventure de Sancerre qui fait de Léry un écrivain.  
Dans cet extrait, Léry raconte les relations sociales des Tupinambas, et décrit leur mode de vie ainsi que leur habitat.


Plan de commentaire :

I Des sauvages au mode de vie étonnant :
      A) nomade
      B) polygame
II Mais qui ont des points communs avec les Européens :
       A) vivent dans des maisons
       B) importance de la religion
       C) les familles
III Et qui peuvent servir d'exemple :
       A) paisibles
       B) loi du Talion (mais qui sert rarement)

autre plan possible :
Introduction :
Cet extrait permet à Jean de Léry de présenter le mode de vie des Tououpinambaoults ; à travers les détails anecdotiques du quotidien, l’auteur présente de manière idéalisée, mais amusante, voire utopique, cette société, proche de la Nature, donc plus en adéquation avec une certaine recherche Humaniste de l’existence, incitant ainsi à relativiser la mort ;
Problématique : démontrez comment Jean de Léry évoque le mode de vie de ce peuple, les Tououpinambaoults ;

I/ un raisonnement basé sur la concession :
1° une stratégie argumentative volontairement orientée :


2° des précisions personnelles et subjectives :



3° l’importance et la fonction du commentaire personnel :


II/ Léry démontre le caractère exceptionnel de ces sauvages :
1° leur caractère pacifique et juste :


2° Léry amène à permettre d’accepter l’altérité :



3° les particularités exotiques des Tououpinambaoults:



III/ un mode de vie en apparence utopique :
1° le besoin de liberté :



2° justice et religion :


3° peuple riche et évolué, digne d’intérêt :

Conclusion :
Ce dernier extrait du récit de Jean de Léry, Voyage en terre du brésil, amène à mieux cerner les particularités de ce peuple dans lequel a vécu l’auteur durant presqu’une année ; il donne une image globalement différente des indiens d’Amérique du Sud, et démontre que leur mode de vie apparaît aussi digne d’intérêt que celui des Européens , car y règnent la justice, la religion, un mode de vie en adéquation avec la nature, et des absences de contraintes. De ce fait, le lecteur peut en déduire tous ces éléments relèvent d’une monde et d’une société en apparence utopique, différente de celle proposée par Thomas More dans son roman Utopia (1534).
En fin de compte, Jean de Léry met en valeur une notion essentielle renvoyant à l’altérité et à la découverte amusante de l’Autre, d’où comme le dit Franck Lestringant dans son Introduction : « Le Cannibale aime le rire », rire représentation de Satan ?





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