Jean
de Léry,
Histoire
d'un voyage fait en la terre du Brésil (1578),
chapitre XVIII (extrait), Terres littéraires p.304-305.
Quant
à la société de nos sauvages, c'est une chose presque incroyable,
et qui ne peut se dire sans faire honte à ceux qui ont les lois
divines et humaines, comme étant seulement conduits par leur
naturel, quelque corrompu qu'il soit, s'entretiennent et vivent si
bien en paix les uns avec les autres. J'entends toutefois chaque
nation entre elle-même, ou celles qui sont alliées ensemble :
car quant aux ennemis, il a été vu en son lieu comme ils sont
étrangement traités. Que si cependant il advient que quelques-uns
se querellent (ce qui se fait si peu souvent que durant près d'un an
que j'ai été avec eux je ne les ai jamais vu débattre que deux
fois), tant s'en faut que les autres tâchent de les séparer et d'y
mettre la paix, qu'au contraire quand les contestants se devraient
crever les yeux l'un l'autre, sans rien leur dire ils les laisseront
faire. Toutefois si quelqu'un est blessé par son prochain, et que
celui qui a fait le coup soit appréhendé, il en recevra autant au
même endroit de son corps par les proches parents de l'offensé et
même si la mort s'en suit, ou qu'il soit tué sur le champ, les
parents du défunt feront semblablement perdre la vie au meurtrier.
Tellement que pour le dire en un mot, c'est vie pour vie, œil pour
œil, dent pour dent, etc. mais comme j'ai dit, cela se voit fort
rarement entre eux.
Concernant
les biens de ce peuple, consistant en maisons, et (comme j 'ai
dit ailleurs) en beaucoup plus de très bonnes terres qu'il nen
faudrait pour les nourrir : quant au premier, se trouvant tel
village entre eux où il y a de cinq à six cents personnes, encore
que plusieurs habitent en une même maison : tant y a que chaque
famille (sans séparation toutefois de choses qui puisse empêcher
qu'on ne voie d'un bout à l'autre de ces bâtiments, ordinairement
longs de plus de soixante pas) ayant son rang à part, le mari a sa
femme et ses enfants séparés. Sur quoi il faut noter (ce qui est
aussi étrange chez ce peuple) que les Brésiliens ne demeurant
ordinairement que cinq ou six mois en ce lieu, emportant ensuite les
grosses pièces de bois et les grandes herbes de Pindo, de quoi leurs
maisons sont faites et couvertes, ils changent ainsi souvent de place
en place leurs villages : lesquels cependant conservent toujours
leurs anciens noms : de
manière que
nous en avons quelquefois trouvé d'éloignés des lieux où nous
avons été auparavant, d'un quart ou d'une demi-lieue. Ce qui peut
faire juger à chacun, puisque leurs tabernacles sont si aisés à
transporter, que non seulement ils n'ont point de grands palais
élevés (comme quelqu'un a écrit qu'il y a des Indiens au Pérou
qui ont leurs maisons de bois si bien bâties qu'il y a des salles
longues de cent cinquante pas, et larges de quatre-vingts), mais
aussi que nul de cette nation des Toüoupinambaoults
dont je parle, ne commence logis ni bâtiment qu'il ne puisse voir
achever, voire faire et refaire plus de vingt fois en sa vie, si
toutefois il vient en l'âge d'homme. Que si vous leur demandez
pourquoi ils déplacent si souvent leur maisonnée, ils n'ont d'autre
réponse que de dire que changeant ainsi d'air, ils s'en portent
mieux, et que s'ils faisaient autrement que leurs grands-pères ont
fait, ils mourraient soudainement.
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1492: Christophe Colomb découvre l'Amérique et permet sa colonisation. Dés le XVIIe siècle, les récits de voyage se multiplient; les écrivains humanistes redoublent d'intérêt pour les peuples du nouveau monde. Certains sont de véritables voyageurs comme Jean de Léry. Léry est un cordonnier protestant parti pour le Brésil le 19 novembre 1556, à l'âge de vint-deux ans, pour échapper aux guerres de religion qui sévissent en Europe. Sa mission est d'établir avec d'autres coreligionnaires une tête de pont au Brésil qui pourra servir de refuge et de base de départ pour implanter le protestantisme en Amérique du sud et aider Villegagnon déjà sur place depuis 1556. Le dimanche 7 mars, Léry et treize autres de ses coreligionnaires arrivent à Guanabara dans la baie de Rio. Mais Villegagnon se reconvertit au catholicisme et les protestants sont expulsés. Léry trouve refuge chez les Indiens Tupinambas. C'est cette expérience qu'il racontera dans un livre, Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil , publié dix-huit ans après son retour. Il y fera le récit de ses aventures et la description du Brésil, tout en gardant en mémoire les drames de la Saint-Barthélemy, à laquelle il fait allusion par exemple dans la description du cannibalisme des Tupinambas, selon lui moins condamnable que celui des catholiques envers leurs frères protestants pendant les guerres de religion . A son retour en France, il devient pasteur protestant et séjourne souvent à Genève, cœur culturel du protestantisme calviniste. En 1572, c’est la Saint-Barthélemy. Les massacres commencent à Paris, mais se prolongent ensuite dans toute la France : c’est le début de la 2nde guerre de religion. Chassé par ces massacres, il se réfugie dans la place forte de Sancerre, qui va être assiégée par les catholiques de janvier à août 1573. Ce sera pour lui une expérience intellectuelle car il va y rencontrer de nombreux pasteurs protestants, parmi lesquels certains sont de célèbres humanistes, ce qui va lui permettre d’approfondir sa culture. Mais ce sera surtout une expérience terrifiante car la ville assiégée va connaître une terrible famine et il assistera impuissant à la mort de nombreux de ses compatriotes protestants. Il racontera cette aventure en 1574 dans l’Histoire mémorable de la ville de Sancerre. C’est l’aventure de Sancerre qui fait de Léry un écrivain.
Dans cet extrait, Léry raconte les relations sociales des Tupinambas, et décrit leur mode de vie ainsi que leur habitat.
autre plan possible :
Introduction au texte précédent :
1492: Christophe Colomb découvre l'Amérique et permet sa colonisation. Dés le XVIIe siècle, les récits de voyage se multiplient; les écrivains humanistes redoublent d'intérêt pour les peuples du nouveau monde. Certains sont de véritables voyageurs comme Jean de Léry. Léry est un cordonnier protestant parti pour le Brésil le 19 novembre 1556, à l'âge de vint-deux ans, pour échapper aux guerres de religion qui sévissent en Europe. Sa mission est d'établir avec d'autres coreligionnaires une tête de pont au Brésil qui pourra servir de refuge et de base de départ pour implanter le protestantisme en Amérique du sud et aider Villegagnon déjà sur place depuis 1556. Le dimanche 7 mars, Léry et treize autres de ses coreligionnaires arrivent à Guanabara dans la baie de Rio. Mais Villegagnon se reconvertit au catholicisme et les protestants sont expulsés. Léry trouve refuge chez les Indiens Tupinambas. C'est cette expérience qu'il racontera dans un livre, Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil , publié dix-huit ans après son retour. Il y fera le récit de ses aventures et la description du Brésil, tout en gardant en mémoire les drames de la Saint-Barthélemy, à laquelle il fait allusion par exemple dans la description du cannibalisme des Tupinambas, selon lui moins condamnable que celui des catholiques envers leurs frères protestants pendant les guerres de religion . A son retour en France, il devient pasteur protestant et séjourne souvent à Genève, cœur culturel du protestantisme calviniste. En 1572, c’est la Saint-Barthélemy. Les massacres commencent à Paris, mais se prolongent ensuite dans toute la France : c’est le début de la 2nde guerre de religion. Chassé par ces massacres, il se réfugie dans la place forte de Sancerre, qui va être assiégée par les catholiques de janvier à août 1573. Ce sera pour lui une expérience intellectuelle car il va y rencontrer de nombreux pasteurs protestants, parmi lesquels certains sont de célèbres humanistes, ce qui va lui permettre d’approfondir sa culture. Mais ce sera surtout une expérience terrifiante car la ville assiégée va connaître une terrible famine et il assistera impuissant à la mort de nombreux de ses compatriotes protestants. Il racontera cette aventure en 1574 dans l’Histoire mémorable de la ville de Sancerre. C’est l’aventure de Sancerre qui fait de Léry un écrivain.
Dans cet extrait, Léry raconte les relations sociales des Tupinambas, et décrit leur mode de vie ainsi que leur habitat.
Plan de commentaire :
I Des sauvages au mode de vie étonnant :
A) nomade
B) polygame
II Mais qui ont des points communs avec les Européens :
A) vivent dans des maisons
B) importance de la religion
C) les familles
III Et qui peuvent servir d'exemple :
A) paisibles
B) loi du Talion (mais qui sert rarement)
autre plan possible :
Introduction
:
Cet
extrait permet à Jean de Léry de présenter le mode de vie des
Tououpinambaoults ; à travers les détails anecdotiques du
quotidien, l’auteur présente de manière idéalisée, mais
amusante, voire utopique, cette société, proche de la Nature, donc
plus en adéquation avec une certaine recherche Humaniste de
l’existence, incitant ainsi à relativiser la mort ;
Problématique
: démontrez comment Jean de Léry évoque le mode de vie de ce
peuple, les Tououpinambaoults ;
I/
un raisonnement basé sur la concession :
1°
une stratégie argumentative volontairement orientée :
2°
des précisions personnelles et subjectives :
3°
l’importance et la fonction du commentaire personnel :
II/
Léry démontre le caractère exceptionnel de ces sauvages :
1°
leur caractère pacifique et juste :
2°
Léry amène à permettre d’accepter l’altérité :
3°
les particularités exotiques des Tououpinambaoults:
III/
un mode de vie en apparence utopique :
1°
le besoin de liberté :
2°
justice et religion :
3°
peuple riche et évolué, digne d’intérêt :
Conclusion
:
Ce
dernier extrait du récit de Jean de Léry, Voyage en terre du
brésil, amène à mieux cerner les particularités de ce peuple dans
lequel a vécu l’auteur durant presqu’une année ; il donne une
image globalement différente des indiens d’Amérique du Sud, et
démontre que leur mode de vie apparaît aussi digne d’intérêt
que celui des Européens , car y règnent la justice, la religion, un
mode de vie en adéquation avec la nature, et des absences de
contraintes. De ce fait, le lecteur peut en déduire tous ces
éléments relèvent d’une monde et d’une société en apparence
utopique, différente de celle proposée par Thomas More dans son
roman Utopia (1534).
En
fin de compte, Jean de Léry met en valeur une notion essentielle
renvoyant à l’altérité et à la découverte amusante de l’Autre,
d’où comme le dit Franck Lestringant dans son Introduction : « Le
Cannibale aime le rire », rire représentation de Satan ?
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