jeudi 26 octobre 2017

Devoir Roman : L'Etranger, Madame de Lafayette, etc.

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :
Vous comparerez ces demandes en mariage en mettant en évidence la façon dont elles caractérisent les personnages de roman suivants : Mademoiselle de Chartres et le prince de Clèves; Jean et Madame Rosémilly; Meursault et Marie.
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire : Vous commenterez le texte de Maupassant (Texte B).

Dissertation : Comment, à travers les relations qu'il établit entre ses personnages, un roman peut-il construire une vision du monde particulière ? Vous traiterez ce sujet en vous appuyant sur les textes du corpus, les textes étudiés en classe et vos lectures personnelles.

Invention : Marie Cardona, de retour chez elle, raconte dans son journal intime le moment passé avec Meursault. Vous imaginerez et rédigerez ce passage du journal, en précisant les pensées, les impressions, les interrogations et les sentiments que vous prêtez à la narratrice.

Texte A : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves.
[L'histoire se passe à Paris, dans le milieu de la cour, au XVIème siècle, sous le règne d'Henri II. Mlle deChartres a essayé d'épouser le cousin germain du roi, mais celui-ci s'est vivement opposé à cette tentative demariage.]
    Personne n'osait plus penser à Mlle de Chartres, par la crainte de déplaire au roi ou par la pensée de ne pas réussir auprès d'une personne qui avait espéré un prince du sang. M. de Clèves ne fut retenu par aucune de ces considérations. La mort du duc de Nevers, son père, qui arriva alors, le mit dans une entière liberté de suivre son inclination et, sitôt que le temps de la bienséance du deuil fut passé, (1) il ne songea plus qu'aux moyens d'épouser Mlle de Chartres. Il se trouvait heureux d'en faire la proposition dans un temps où ce qui s'était passé avait éloigné les autres partis et où il était quasi assuré qu'on ne la lui refuserait pas. Ce qui troublait sa joie, était la crainte de ne pas lui être agréable, et il eût préféré le bonheur de lui plaire à la certitude de l'épouser sans en être aimé.
     Le chevalier de Guise (2) lui avait donné quelque sorte de jalousie; mais comme elle était plutôt fondée sur le mérite de ce prince que sur aucune des actions de Mlle de Chartres, il songea seulement à tâcher de découvrir s'il était assez heureux pour qu'elle approuvât la pensée qu'il avait pour elle. Il ne la voyait que chez les reines (3) ou aux assemblées; il était difficile d'avoir une conversation particulière. Il en trouva pourtant les moyens et lui parla de son dessein et de sa passion avec tout le respect imaginable; il la pressa de lui faire connaître quels étaient les sentiments qu'elle avait pour lui et il lui dit que ceux qu'il avait pour elle étaient d'une nature qui le rendraient éternellement malheureux si elle n'obéissait que par devoir aux volontés de madame sa mère. 
      Comme Mlle de Chartres avait le coeur très noble et très bien fait, elle fut véritablement touchée de reconnaissance du procédé du prince de Clèves. Cette reconnaissance donna à ses réponses et à ses paroles un certain air de douceur qui suffisait pour donner de l'espérance à un homme aussi éperdument amoureux que l'était ce prince; de sorte qu'il se flatta d'une partie de ce qu'il souhaitait.
     Elle rendit compte à sa mère de cette conversation, et Mme de Chartres lui dit qu'il y avait tant de grandeur et de bonnes qualités dans M. de Clèves et qu'il faisait paraître tant de sagesse pour son âge que, si elle sentait son inclination portée à l'épouser, elle y consentirait avec joie. Mlle de Chartres répondit qu'elle lui remarquait les mêmes bonnes qualités; qu'elle l'épouserait même avec moins de répugnance qu'un autre, mais qu'elle n'avait aucune inclination particulière pour sa personne.
    Dès le lendemain, ce prince fit parler à Mme de Chartres; elle reçut la proposition qu'on lui faisait et elle ne craignit point de donner à sa fille un mari qu'elle ne pût aimer en lui donnant le prince de Clèves. Les articles
                       (4 )furent conclus; on parla au roi, et ce mariage fut su de tout le monde.
1 Inclination : penchant, désir.
2 ll est tombé amoureux de Mlle de Chartres peu après son ami Clèves dont il est ainsi devenu un rival.
3 Il s'agit de quatre reines : la femme du roi (Catherine de Médicis), la favorite du roi (Diane de Poitiers), la soeur du roi et
l'épouse du fils du roi.
4 Les articles : écrits officiels faisant office de contrat.
Texte B : Guy de Maupassant, Pierre et Jean.
[Monsieur et Madame Roland sont des bourgeois aisés du XIXème siècle. Avec leurs deux fils, Pierre et Jean, ils vont passer une journée, en compagnie d'une amie de la famille, Madame Rosémilly, sur une plage de Normandie. Jean, le frère cadet, qui se prépare à vingt-cinq ans à devenir avocat, parvient à s'isoler du groupe, avec Madame Rosémilly, une jeune veuve de vingt-deux ans. Ils essaient tous deux de pêcher des crustacés entre les rochers. Madame Rosémilly, « adroite et rusée », vient justement d'en attraper plusieurs.]
Jean maintenant ne trouvait rien, mais il la suivait pas à pas, la frôlait, se penchait sur elle, simulait un
grand désespoir de sa maladresse, voulait apprendre.
- Oh ! montrez-moi, disait-il, montrez-moi !
Puis, comme leurs deux visages se reflétaient, l'un contre l'autre, dans l'eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient une glace limpide, Jean souriait à cette tête voisine qui le regardait d'en bas, et parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber dessus.
- Ah ! que vous êtes ennuyeux, disait la jeune femme; mon cher, il ne faut jamais faire deux choses à la fois.
Il répondit :
- Je n'en fais qu'une. Je vous aime.
Elle se redressa, et d'un ton sérieux :
- Voyons, qu'est-ce qui vous prend depuis dix minutes, avez-vous perdu la tête ?
- Non je n'ai pas perdu la tête. Je vous aime, et j'ose, enfin, vous le dire.
Ils étaient debout maintenant dans la mare salée qui les mouillait jusqu'aux mollets, et les mains ruisselantes appuyées sur leurs filets, ils se regardaient au fond des yeux.
Elle reprit, d'un ton plaisant et contrarié :
- Que vous êtes malavisé de me parler de ça en ce moment ! Ne pouviez-vous attendre un autre jour et ne pas me gâter ma pêche ?
Il murmura :
- Pardon, mais je ne pouvais plus me taire. Je vous aime depuis longtemps. Aujourd'hui vous m'avez grisé à me faire perdre la raison.
Alors, tout à coup, elle sembla en prendre son parti, se résigner à parler d'affaires et à renoncer aux plaisirs.
- Asseyons-nous sur ce rocher, dit-elle, nous pourrons causer tranquillement.
Ils grimpèrent sur un roc un peu haut, et lorsqu'ils y furent installés côte à côte, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit :
- Mon cher ami, vous n'êtes plus un enfant et je ne suis pas une jeune fille. Nous savons fort bien l'un et l'autre de quoi il s'agit, et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m'épouser. ll ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit niaisement :
- Mais oui.
- En avez-vous parlé à votre père et à votre mère ?
- Non, je voulais savoir si vous m'accepteriez.
Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan :
- Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n'oubliez point que je ne voudrais pas déplaire à vos parents.
- Oh ! pensez-vous que ma mère n'a rien prévu et qu'elle vous aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage entre nous ?
- C'est vrai, je suis un peu troublée.
Ils se turent. Et il s'étonnait, lui, au contraire, qu'elle fût si peu troublée, si raisonnable. Il s'attendait à des gentillesses galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau ! Et c'était fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles. Ils n'avaient plus rien à se dire puisqu'ils étaient d'accord et ils demeuraient maintenant un peu embarrassés tous deux de ce qui s'était passé, si vite, entre eux, un peu confus même, n'osant plus parler, n'osant plus pêcher, ne sachant que faire.
Texte C : Albert Camus, L'Étranger.
[L'histoire se déroule dans la première moitié du XXème siècle. Le narrateur, Meursault, vit et travaille à Alger. Le lendemain de l'enterrement de sa mère, il rencontre Marie Cardona, une ancienne collègue de bureau, et passe la nuit avec elle. Au chapitre V, il ne la connaît que depuis une dizaine de jours.]
Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier 5 avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois6, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? » a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J'ai répondu : « Non. » Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit : « Naturellement. » Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi.
J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais (7) vécu dans un temps et elle m'a demandé comment c'était. Je lui ai dit : « C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. »
Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j'ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendant un moment, nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit que nous pouvions dîner ensemble chez Céleste (8). Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé : « Tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire ? » Je voulais bien le savoir, mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher. Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.
5 Marie est venue chercher Meursault sur son lieu de travail.
6 Elle lui a posé la même question le samedi précédent, après une journée à la plage.
7 Son patron lui a proposé le matin même un poste à Paris.
8 Il s'agit d'un restaurant où se rend souvent Meursault.


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